Un enseignant écrit au Premier ministre, chef du gouvernement

Cameroun: Un enseignant écrit au Premier ministre, chef du gouvernement20 propositions de réformes pour le système éducatif camerounais.
 
Monsieur le Premier ministre,

 c’est en tant que enseignant formé (à l’ENS de Yaoundé) et inspecteur pédagogique régional de mathématiques(Littoral) que je me permets de vous adresser la présente lettre. Il s’agit de porter à votre très haute attention ma modeste contribution à la réflexion souhaitée par le chef de l’Etat, S.E.M. Paul Biya :
 
«Nous devons, dès que possible, engager une réflexion d’ensemble sur l’avenir de notre système éducatif et envisager l’élaboration d’une vaste réforme…». (Discours à la jeunesse, 10 février 2012).Ma réflexion touche deux ministères, l’Education de base et les Enseignements secondaires.

Elle porte uniquement sur le sous-système francophone , celui que je maitrise le mieux, pour avoir y avoir exercé pendant de nombreuses années, dans trois régions(Nord, Centre et Littoral) ; j’ai participé à toutes les étapes d’organisation des examens officiels (de surveillant de salle à président de jury), visité plus de 250 établissements scolaires du pays, suivi prés de 350 professeurs de mathématiques (Littoral); j’ai également eu des échanges avec des milliers de parents d’élèves et d’enseignants de diverses disciplines.
 
Cela me permet, aujourd’hui, de prétendre avoir vocation pour m’exprimer au nom de tous les enseignants qui aiment leur pays et rêvent d’une école camerounaise compétitive et capable de «soutenir et accompagner les réformes sociales et économiques envisagées». Ma  démarche consiste  à orienter les questionnements sur notre système éducatif, un système qui doit innover et sortir des sentiers battus.

C’est d’ailleurs une préoccupation du gouvernement camerounais : «L’Etat veille à l'adaptation permanente du système éducatif aux réalités économiques et socio-culturelles nationales ainsi qu'à l'environnement international, particulièrement en ce qui concerne la promotion des enseignements scientifiques et technologiques, du bilinguisme et l'enseignement des langues nationales.» (Loi no 98/004 du 4 avril 1998).
 
1. La «promotion collective» est un concept importé (imposé) de l’Occident qui ne cadre pas avec notre environnement. La décision prise en février 2008 n’avait pas été entourée de mesures d’accompagnement devant faciliter son implémentation. Les enseignants déplorent le fait que, depuis cette date, aucune  évaluation pertinente n’ait été faite. Pourtant, les ravages sont considérables : incapacité des élèves à bien lire, écrire et calculer, à la fin du CM2. Au secondaire, les mêmes lacunes sont bien perceptibles.

Les taux d’échecs au concours d’entrée en sixième ou aux examens  Bepc et Cap en disent long. Je  pense qu’il ya lieu de repenser ce concept qui produit de bons résultats dans d’autres pays. A mon avis, le soutien scolaire (officiel) est un dispositif d’accompagnement incontournable qui permettra de  transformer la volonté gouvernementale de réduire les taux d’échecs scolaires en réalité pédagogique.
 
2. A propos du «soutien scolaire», un sujet resté tabou pendant de nombreuses années, il est envisagé une expérimentation. J’ai été ravi de savoir que «L’expérimentation des cours de soutien scolaire» figure parmi les 13 actions prioritaires contenues dans la feuille de route du Minesec. En effet, depuis 2010, je mène des réflexions sur le sujet, après l’expérience acquise au Collège Vogt de Yaoundé. Dans un document intitulé «Accompagnent éducatif ou soutien scolaire ?» déposé au Minesec en juillet 2012, je souhaite l’organisation d’une conférence sur le sujet.

A tous les responsables éducatifs, le ministre a prescrit :«Expérimenter dans chaque région les cours de soutien scolaire, notamment aux élèves en difficulté».(circulaire no 21/12 du 13 aout 2012). Je salue l’initiative, car s’il est bien pensé par des experts, le soutien scolaire permettra de réduire les redoublements et les échecs scolaires, et diversifier l’offre éducative ; je pense notamment aux activités d’éveil, à l’éducation artistique et la pratique orale des langues nationales.
 
 
3. L’enseignement des langues  nationales et de la culture camerounaise reste un défi majeur pour notre système éducatif. Pendant des décennies on a enseigné des langues étrangères. Aujourd’hui, je pense que  nous devons aller au-delà des expérimentations des langues nationales. Le Pr Pierre Fonkoua évoque fort bien les enjeux sociaux de l’enseignement des langues et de la culture nationale : «Un des grands défis du siècle pour cette noble  institution (l’école, ndlr) sera de donner aux jeunes une éducation interculturelle qui exige des efforts de compréhension et d’acceptation entre les gens de cultures différentes.
 
La finalité de cette éducation sera de cultiver chez les jeunes, le gout de construire ensemble une société où les différences ethnoculturelles seront perçues comme des acquis et non comme des éléments nuisibles…Il s’agit de pouvoir constater la diversité des façons d’être et de faire , tant à l’intérieur d’un groupe qu’entre les divers groupes ethniques, et de le reconnaître comme une source d’enrichissement personnel et social.» (Quels futurs pour l’éducation en Afrique ? L’Harmattan, 2008, pp 99 et 100).
 
C’est donc à juste titre que le Dr Charles Ateba Eyene, écrivant à Monsieur le Premier ministre, affirme : «Nos contes, nos rites, notre patrimoine artistique, culturel, notre anthropologie culinaire, nos danses, nos musiques, notre médecine, nos mythes et légendes, notre façon de penser le monde, notre littérature, nos cultes…constituent des bases de savoirs devant être transformées  pour être enseignées. C’est bien avec ces savoirs endogènes que nous devons dominer le monde demain.» (Mutations, 12 sept 2012).

Je partage cet avis et je souhaite qu’après cet autre plaidoyer pour la culture camerounaise, le gouvernement prenne des mesures énergiques, non seulement au ministère des Arts et de la Culture, mais aussi aux ministères en charge de l’éducation. Et l’une des mesures urgentes me semble être précisément l’élaboration d’une politique nationale du manuel scolaire. 4. La politique du livre scolaire enclenchée par Etoundi Charles, n’a pas été remise à l’ordre du jour. Or le manuel reste « une grosse  plaie dans notre système éducatif ». De nouvelles réflexions devront être menées sur la conception, l’édition et la distribution du livre.

Des voies et moyens devront être trouvés pour doter les écoles primaires en livres essentiels (maths, français et anglais). La gratuité de l’école primaire, et l’accès à l’éducation de base à tous ne peuvent devenir des réalités que si le problème du livre trouve une solution. Les camerounais  ont de l’initiative (exemple de Nana Payong). Nous devons solliciter et mobiliser toutes les compétences pour que ce vieux rêve « un élève, un livre » se réalise. A ce sujet, je suggère un débat regroupant responsables éducatifs, operateurs économiques et éditeurs.

5. A propos des conditions de travail de l’Enseignant, le décret présidentiel de mars 2012 améliore les revenus des fonctionnaires. Nous en sommes fiers. Mais de façon générale, les enseignants continuent d’espérer en de lendemains meilleurs. La situation des enseignants vacataires (lycées), permanents (collèges privés), maitres des parents ou instituteurs contractualisés (écoles primaires) reste très préoccupante. On pourrait dire qu’ils « enseignent en saignant ». Les surveillants et censeurs ne sont pas mieux lotis. Depuis que leurs effectifs sont pléthoriques, ces chefs de services deviennent des aigris du système.

L’inspecteur pédagogique joue désormais le rôle officieux d’inspecteur administratif, condamné à passer 70 % de son temps dans les bureaux .Certains perçoivent moins de 100 000F pour six mois (à peine 4 jours de mission !). Dans 95% des bureaux, il n’ya pas l’ombre d’un ordinateur. Voici le constat d’une dame : «Il convient de relever un fait qui ne semble plus faire rire personne, surtout au département de…Le bureau a quatre places pour 14 inspecteurs et se mouvoir dans un tel espace relève désormais d’une vraie gageure. ».Je souhaite que le gouvernement améliore les conditions de travail de tous les personnels sus évoqués.

En sus, que l’on mette à la disposition de chaque délégation régionale une voiture pour faciliter les descentes des inspecteurs. Cela est d’autant plus important que de nombreux «enseignants» exerçant dans les collèges privés (et certains lycées) n’ont pour seule (compétence) que le baccalauréat ; ils ont besoin d’être encadrés et évalués pour un meilleur rendement. Excellence, à la veille de la journée de l’Enseignant (5 octobre prochain), je tiens à relever un problème qui me semble grave : l’absence de récompenses et de mesures incitatives au sein des deux  ministères (Minesec et Minedub).

La sanction est récurrente : pour les sessions 2007, 2008 et 2009 des examens gérés par l’Office du bac du Cameroun, on signale plus de 293 enseignants sanctionnés. Pourtant, les enseignants donnent tout pendant les examens : des enseignants travaillent le dimanche, d’autres  vont jusqu’à 2 h du matin ; quelques uns ont perdu la vie, au sortir d’un sous-centre ; j’ai une pensée pour cet enseignant du lycée de Makepe(Douala) décédé, il ya quelques années, au sortir d’un secrétariat d’examen officiel. Malgré l’absence de mesures incitatives, la hiérarchie se montre toujours plus exigeante.

Pour cette année scolaire, au Minedub, on déplore « cet absentéisme qui a pris de l’ampleur au point d’hypothéquer considérablement la qualité des enseignements dans les écoles, et en conséquence, les savoirs et les connaissances que notre système éducatif doit garantir. ». Je pense qu’il faut aller au-delà de cette campagne de sensibilisation. Je propose au gouvernement d’instituer une journée nationale du mérite scolaire placée sous le très haut patronage du chef de l’Etat, à l’effet de récompenser les 100 meilleurs dans chaque domaine.

On pourra, par exemples, avoir les 100 meilleurs maitres, directeurs, proviseurs, professeurs de français, inspecteurs. Au cours de cette cérémonie, on décernera des palmes académiques, des palmes d’or et d’autres distinctions. Voilà, à mon avis, un moyen de lutte contre l’absentéisme, la corruption, la mal gouvernance et bien d’autres fléaux qui minent l’école camerounaise. Nous sommes heureux d’apprendre que l’un de nos compatriotes a figuré parmi les 100 meilleurs enseignants des Etats-Unis, reçus à la maison blanche; mais très vite, nous sombrons dans la mélancolie. Surtout lorsqu’on aborde la question des promotions.

6. Concernant les nominations à des postes de responsabilité, on note des améliorations dans le processus (respect du profil de carrière). Cependant, on peut déplorer le fait que le critère « régional » soit fortement pris en compte. Prés de 80 % de proviseurs sont promus dans des établissements  scolaires de leurs régions d’origine. (Centre, Sud, Littoral, Ouest).

A ce sujet, il ya cette réflexion: «Eduquer à la citoyenneté est lié profondément à la nature de la personne qui est à la fois :citoyen de son village, de sa ville, de sa région, de son pays, et du monde…L’école doit combattre toutes formes d’intolérances qui peuvent être religieuses, lorsqu’il ya le refus d’accepter et de respecter les croyances des autres, culturelles lorsqu’on considère que certaines cultures sont inferieures, tribales lorsqu’on empêche un groupe d’accéder à l’égalité ou d’obtenir la pleine participation aux activités de la société du fait de ses origines tribales.» (P. Fonkoua, livre cité plus haut, pp102, 103).

Autrement dit, l’école républicaine doit rester le ferment de l’unité et de l’intégration nationale. A mon avis, on peut, pour le moment, maintenir la politique d’équilibre régional; mais nommer un chef d’établissement dans sa région d’origine ne sert pas  l’éducation nationale. Au contraire, c’est une mauvaise leçon pour les élèves à qui on veut inculquer des notions de civisme et de patriotisme.  Je souhaite que la Primature se penche sur cette question.

7. S’agissant de la lutte contre la corruption, l’un des chevaux de bataille du Renouveau, elle représente encore un véritable serpent de mer dans nos établissements publics. Particulièrement en période de rentrée scolaire, ce fléau est décrié ; les instructions sont claires : « Veiller au respect scrupuleux des instructions en matière des inscriptions et des recrutements contenues dans la circulaire no 17/09/MINESEC du 20 avril 2009, à l’effet d’enrayer l’anarchie et la corruption dans les recrutements des élèves et de réduire les effectifs pléthoriques dans les salles de classes.» Et pourtant, le marchandage des places et bien d’autres malversations semblent être des pratiques courantes :Le Messager (28 aout 2012, p.3) titre : « Inscriptions : arnaque à ciel ouvert au lycée de New-Bell ». Cameroon tribune, dans son édition du 29 aout 2012, renchérit : « Rentrée scolaire. Les dessous des inscriptions.

De nombreux parents n’hésitent pas à marchander pour trouver une place à leurs enfants dans les établissements scolaires.».Le Jour, quant à lui, annonce, le 5 sept 2012(p8) : « Douala. Elèves et parents crient à l’arnaque. ».Sauf à penser que tous ces journaux (y compris Cameroon tribune)  ont pris fait et cause pour la rumeur, il ya un grand malaise autour des concours (entrée en 6é, 1ere année, 2nde technique) et recrutements des élèves dans les écoles publiques. Cela contribue à discréditer notre école sur le plan national et international.

Je pense qu’il faut remettre de l’ordre dans le système de recrutements des élèves, la gestion des fonds d’Apee et concevoir une formule de « matricule unique » pour mettre fin au phénomène de faux bulletins. On ne pourra pas bâtir une « république exemplaire » sans une école exemplaire.

8. Une école exemplaire qui offre une égalité de chances à tous. Les chefs d’établissements sont concernés, au premier chef. Dans une réflexion « Baisse de niveau : une réalité ou une vue de l’esprit ? » parue dans L’Actu du 6 aout et Le Messager du 7 aout, à quelques semaines de la rentrée scolaire, j’invitais mes collègues chefs d’établissements à « s’abstenir des pratiques qui ternissent l’image du système éducatif et participent à l’affaiblissement du niveau général ». 

© Auteur : La Nouvelle Expression


21/09/2012
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