Tribalistes anti-xénophobes

Jean Marc Soboth:Camer.beL’un des pays les plus tribalistes au Monde mais, très paradoxalement, les moins xénophobes de la Planète c’est le Cameroun. Ce serait, pense-t-on, un effet direct du cynisme colonial français: les Camerounais semblent parfois préférer un étranger à un compatriote pour diriger, par exemple, une société du secteur productif de l’État.Des exemples ? Iya Mohamed -- Shagari Salim de ses autres patronymes --, président de la Fédération camerounaise de football (Fécafoot) depuis les années 2000 et patron de la Sodecoton depuis… bientôt 30 ans, est, comme son nom l’indique, un Haoussa du Nigeria où il a fait toutes ses études d’économie (Université de Lagos). Néanmoins ce Nigérian membre du comité central du parti au pouvoir, le RDPC, est né à Garoua dans la Bénoué et a épousé une fille de l’ancien ministre métis peulh Maidadi Sadou ;  son épouse est sœur de l’épouse du Lamido de Garoua -- et non moins ex sous-ministre de Paul Biya --, Alim Garga Hayatou…

L’ancien premier ministre Chief Ephraim Inoni est, quant à lui, né d’une princesse Bakweri de Bakingili dans le Fako au pied du Mont Cameroun et d’un résident Igbo du Nigéria voisin… Il a hérité du trône Bakweri sous le couvert de sa filiation matrilinéaire.

On pourrait dire la même chose de l’ancien ministre Abdoulaye Babalé, Haoussa nigérian, d’un général en fonction…

De fait, depuis les années 70, lorsque la France du Général de Gaulle tente d’arracher au Nigeria l’enclave pétrolière du Biafra, appuyant militairement le général Chukwuemeka Odumegwu Ojukwu – bilan: un million de tués in situ -, des millions de Nigérians affluent au Cameroun. Le président camerounais Ahmadou Ahidjo, parrain officiel de la junte militaire au pouvoir à Lagos sous le général Yakubu Gowon, est radicalement opposé à ce projet sécessionniste. Cela se traduit par le refus de tout appui à la France qui doit bricoler, non sans difficultés, depuis sa base de Libreville. Entre Ahidjo et De Gaulle, c’est le choc !

À ce jour, les Igbos résidents au Cameroun ont, sans conteste, plus de paix sociale que certaines tribus autochtones. Parmi les rares pays où les Camerounais peuvent entrer sans visa depuis ce temps, on compte toujours un legs de cette posture : le Nigeria et le Mali. Rien n’a changé depuis lors ! – c’est à croire que la diplomatie a été supprimée au Cameroun depuis 31 ans.

Et même si le pouvoir de M. Paul Biya refuse de rendre publics les (vrais) chiffres des recensements démographiques successifs - pour des raisons justement tribalistes -, on sait à travers des projections du Haut-commissariat du Nigeria à Yaoundé que les Nigérians comptent aujourd’hui pour près d’1/4 de la population camerounaise. Rappelons-le : ils n’ont jamais expérimenté la moindre xénophobie en plusieurs décennies de cohabitation avec les Camerounais.
Qui dit mieux ?

© Correspondance : Jean-Marc Soboth Journaliste


22/05/2013
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