TRIBALISME ET ETHNICISME: Le puzzle camerounais

Palais etoudi:Camer.beAhmadou Ahidjo croyait avoir laissé aux Camerounais un précieux héritage pompeusement désigné unité nationale. Son héritier Paul Biya pour mieux apâter les Camerounais a prôné l’intégration nationale. On savait depuis quelques années, contrairement au discours officiel, que le pays était fortement balkanisé par les démons du tribalisme et de l’ethnicisme. La preuve, la moindre bourgade ou le patelin le plus enclavé du pays se sent obligé d’adresser motions de remerciement et d’allégeance à Paul Biya dès lors qu’un de ses fils accède à une fonction étatique. Les membres de l’élite locale en profitent pour attirer l’attention de leurs convillageois en ces termes : “ Voyez-vous, quand on vous dit souvent que Paul sait que nous existons… ” et prêchi prêcha. Les villageois se partagent riz, boisson et quelques billets de banque. Et puis leurs bienfaiteurs occasionnels reprennent le chemin des grandes villes du pays ou de l’étranger où ils travaillent sous un nuage de poussière en saison sèche ou dans la boue des pistes en saison pluvieuse. Ne sont-ce pas là les réalités locales ? On attendra le temps d’une campagne électorale pour reprendre le scénario.

La récente révolte des laissés-pour-compte est venue comme un miroir nous renvoyer le vrai visage du Cameroun. Un visage sillonné de rides qui séparent les Camerounais les uns des autres. On a pu ainsi distinguer les désespérés : ceux qui sont convaincus depuis plus d’une dizaine d’années que pour eux plus d’espoir et qui sont entrés dans le mouvement pour faire le “ ça gâte, ça gâte. ” Il y a ceux qui, dans la désespérance ambiante, arrivent à survivre. Ceux-ci se dissimulent dans une prudente réserve. Tout en priant dans leur for intérieur que Dieu délivre enfin le Cameroun, ils préparent des motions de soutien à Paul Biya au cas où le pouvoir bravera les émeutiers de la vie chère. On a également vu de hardis prébendiers, téméraires à la limite qui, comme des loups du bois, ont vite surgi pour essayer de marquer leur territoire. Question de montrer patte blanche au grand manitou. On a aussi aperçu les hyènes, les chacals et les charognards attendant de voir un peu plus clair dans l’arène pour enfin se ranger du côté du “ plus fort ”. Ils ont surgi comme des couards qui attendent qu’on éloigne le polisson pour bomber le torse en vociférant : “ Viens alors, me voici ! Ne fuis pas ! Reviens ! ”

C’est cette dernière catégorie qui se répand depuis que le calme semble revenu en déclarations… de guerre comme leur invincible champion Paul Biya. Au plus fort de la contestation, ils étaient comme des lapins tapis dans les clapiers, terrifiés par l’incertitude. Personne n’a osé rassembler ses “ troupes ” pour aller au-devant d’un adversaire sorti de nulle part, sans organisation aucune. On est en droit de se demander aujourd’hui où étaient donc ces troupes qui constituent souvent l’essentiel des charters électoraux ? Où étaient donc ces militants – certains qui se déclarent de la première heure – qui n’ont pas pu se lever à temps pour aller au-devant des casseurs ? Où étaient donc ces nombreux militants et sympathisants du Rdpc qui votent régulièrement pour Paul Biya et qui ont fait le plein des députés Rdpc à l’Assemblée nationale ? Comment donc les “ apprentis sorciers ” qui ne maîtrisent rien ont pu spontanément lever des troupes dans les provinces du Littoral, du Sud-Ouest, de l’Ouest, du Nord-Ouest, voire Yaoundé ? et sous l’égide de qui ?

Que M. Biya et les apparatchiks du pouvoir ne se leurrent pas. Le mal camerounais est réel et profond. Ces gens qui sortent des trous aujourd’hui, flamberge au vent, vociférant diatribes et oukazes en direction d’un ennemi qui se trouve partout et nulle part, ne font que du donquichottisme d’arrière-boutique. Tant que les Camerounais dans leur très grande majorité ont des raisons de croire que le pouvoir ne s’occupe pas de leur quotidien, les mêmes causes, à tout moment, produiront les mêmes effets. M. Biya a tout intérêt à se méfier des hypocrites et des flagorneurs qui rongent le tabouret sur lequel il se croit confortablement installé. Plus de 25 ans nous séparent déjà du 6 novembre 1982. Depuis que la gabegie du système qu’il a mis en place a entraîné le pays dans les fourches caudines de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, les Camerounais sont englués dans la misère. Le bout du tunnel promis depuis 1997 demeure désespérément lointain. La croissance annoncée avec fanfare il y a quelques années ne se ressent toujours pas dans les poches et le panier de la ménagère. L’atteinte du point d’achèvement depuis avril 2006 avec toutes les promesses qui l’ont accompagnée n’a pas du tout comblé les attentes. Les services supposés publics sont de véritables hypermarchés dont l’accès est strictement interdit à ces millions de pauvres qui peuplent notre triangle national. Sous le Renouveau, tout se négocie à coups de francs Cfa ou en nature. Quand on se rend compte que 26 ans, l’âge du Renouveau, c’est aussi l’âge des millions de ces jeunes qui ont pris d’assaut la rue, les symboles de la société de consommation et des structures qui les oppressent, eux et leurs parents depuis des années, on comprend aisément les raisons de la rage qui a animé les uns et les autres. Sans cautionner le vandalisme qui a pris la route avec cette rage. Naguère, ce sont les retraités du secteur privé qui marchaient. On a trouvé solution à leur problème. Ils bénissent Louis-Paul Motazé, le directeur général de la Cnps. Mais il reste des milliers d’autres retraités du secteur public qui battent le pavé tous les jours au ministère de la Fonction publique et à celui des Finances sans jamais voir leurs dossiers aboutir au moindre paiement. Si régulièrement les pièces ne se perdent pas. Le chapelet des frustrations est long, très long, trop long. Et quand c’est trop…

Les Camerounais ont fini par comprendre que l’Etat Rdpc est un Etat de siège qui leur en demande plus qu’il ne leur en donne. Et l’unité nationale si chèrement acquise se désagrège avec d’un côté une minorité de repus qui peuvent se faire protéger par une espèce d’armée d’occupation nourrie et entretenue avec de l’argent extorqué à la majorité qui a déjà tout donné et à laquelle on en demande davantage. Il faut bien que cette exploitation malsaine cesse bien un jour.

© Le Messager 100308 : Jacques DOO BELL


29/10/2012
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