Trajectoire: Enquete sur le passé de Marafa Hamidou Yaya

YAOUNDÉ - 25 Mai 2012
© Aziz Salatou | Le Jour

Comment l’ingénieur est devenu un homme d’Etat respecté, au point de viser la magistrature suprême.

Ascension Politique: Marafa Hamidou Yaya

Un mois après son éviction du gouvernement, le 09 décembre 2011, Marafa Hamidou Yaya, l'ex-ministre d'Etat, ministre de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, reçoit une bruyante visite à sa résidence du quartier du Lac à Yaoundé. Un officier de police est venu démonter le piquet de garde auquel il a encore droit. L'officier de police ne se contente pas d'ordonner aux hommes de garde de lever le pied. Il fait un tel raffut que le maitre des lieux sort de derrière les rideaux de la maison, pour s'enquérir de ce qui se passe. Interrogé, le policier se montre insolent. Il a reçu des ordres: le ministre d'État n'a plus droit à une garde. Ce dernier reconnaît en ce fonctionnaire impudent l’un de ses anciens protégés. Selon nos sources, Marafa Hamidou Yaya apostrophe le policier: «C'est vous, un médiocre que j'ai mis à la police pour rendre service à son père, qui venez faire un boucan chez moi?»

La suite sera un vif échange entre les deux hommes, au cours duquel l'homme d'État réussit à tirer les vers du nez du jeune policier. Les dirigeants de la police ont plus tard nié avoir commandé cette «mission». Pour le sensitif Marafa Hamidou Yaya, l'intrusion du policier dans son domicile est signée. Ce jeune fonctionnaire que le ministre a reconnu est le fils d'un officier supérieur de la Direction de la sécurité présidentielle (Dsp). L'homme politique sent passer le boulet et pare au plus pressé. Le temps se gâte et il sait ce qu'il lui reste à faire quand ses ennemis se rapprochent de si près. Il décide de prendre de vitesse ceux qui veulent l'acculer à la prison et à l'oubli. Il hâte les préparatifs d'un voyage qu'il se gardait de faire dans son fief depuis sa sortie du gouvernement. Moins d'une semaine après l'algarade, son avion atterrit à Maroua. De nombreux chefs traditionnels et des notabilités de la ville l'accueillent, une fois le tarmac franchi. Un cortège de plusieurs dizaines de voitures, dans les quelles se sont entassées des centaines de supporters, l'accompagne à Garoua où il se rend en voiture.


Le prince de Garoua

Dès les aurores, une foule immense de militants du Rdpc, accourus des moindres recoins de la région, l'attend aux portes de la ville. Ils jalonnent la route qui mène à la résidence de Marafa Hamidou Yaya, au quartier Marouaré, en périphérie de la ville. Parmi eux, des notables de la ville dont, le délégué du gouvernement, en personne. De nombreux visiteurs descendus de leurs voitures immatriculés du «CA» officiel sont présents. Les organisateurs font faire un détour au cortège de plusieurs centaines de voitures auxquelles se sont agrégées des motos, elles aussi par centaines. Sur son passage la foule scande «Marafa président!».

Il vient d'adresser à ses adversaires un message subliminal, clairement décrypté par ses contempteurs. «Le grand Nord n'est pas derrière lui ; Marafa est un épiphénomène, un homme aux abois, un fauteur de troubles, Garoua, ne l'aime pas tant et, du reste, ne l'a jamais véritablement aimé» , laissent-ils filtrer à travers la presse.

Marafa Hamidou Yaya vient de marquer un coup politique et c'est à Garoua qu'il l'a réussi. Garoua, cette ville qui l'aime tant et qui, à tout le moins dans sa noblesse, l'a toujours rejeté. Le rapport du ministre d'Etat à cette ville appartient à l'histoire de la capitale de la région du Nord.

Marafa Hamidou Yaya est par sa mère, l'arrière petit-fils de Bouba Dewa, lamido de Garoua entre 1901 et 1921, à qui le scribe Hayatou a succédé par une pantalonnade. Le père de l'ancien ministre, Yaya Bedewo, est un commerçant arrivé de Bedewo, un petit village situé à proximité de l'arrondissement de Bibemi, à 60 Km de Garoua. Il s'est installé à Garoua à la fin des années 1940.Il a épousé une petite fille de Bouba Dewa. Marafa Hamidou Yaya va naître de cette union en 1952. La petite famille est installée au «camp carreau», quartier situé à la lisière de Foulbéré, le siège du lamidat.

Le jeune Marafa commence sa scolarité à l'école principale de Garoua, puis à l'école franco-arabe. Il la poursuit au lycée classique et moderne de Garoua, avant de s'envoler vers la faculté des sciences de l'université du Cameroun à Yaoundé, où il obtient une licence en géologie. Après un concours lancé par l'African American institute (AAI), il fait partie des étudiants qui obtiennent une bourse d'étude pour les Etats Unis d'Amérique. Il y obtient un Master's of science in petroleum Engineering en 1980 a l'université du Kansas. Dans cette même université, il se voit confier un poste d'assistant de recherche, de 1978 à 1980, année de son retour au Cameroun. Rentré au bercail, le jeune homme ne s'éloigne pas des amphithéâtres. Il se fait recruter comme enseignant vacataire à l'université de Yaoundé.

Mais à côté de cette vie d'universitaire, Marafa Hamidou Yaya embrasse la carrière d'ingénieur pour laquelle il a été formé. Il est recruté comme ingénieur réservoir en mai 1980 à Elf Serepca, puis à la Société nationale des hydrocarbures (Snh). En juin 1981, il devient le chef du département exploration/production à la Snh. Commence alors une carrière fulgurante dans l'entreprise. Il sera le représentant du Cameroun au comité technique chargé de réaliser l'étude de faisabilité d'une suite d'usines de liquéfaction en vue de la mise en valeur du gaz naturel camerounais. Marafa Hamidou Yaya connaît les affaires de pétrole, mais il aime avant tout la politique.


L'égérie des Hayatou

Sa course derrière le cortège présidentiel le 06 novembre 1982, comme il l'a écrit, montre un peu le caractère du jeune homme qui, en 1984, va goûter une première fois aux affres de la détention. C'était lors de putsch du 06 avril. Il y avait comme une purge des élites originaires du grand nord ; il va être en tant que tel brièvement interpellé. A sa sortie de prison, il poursuit sa vie normale, qui est faite de son travail à la Snh et des visites de courtoisie qu'il fait à ses amis, essentiellement des ressortissants de Garoua comme lui. Il fréquente surtout le petit cercle de joueurs de «Koss», un jeu de carte très prisé à Garoua. Il s'intègre facilement à la trentaine de jeunes qui se réunit les après-midi chez Sanda, un vendeur de cigarettes qui tenait une petite échoppe au-lieu dit Bicic Messa, près de la caserne des sapeurs-pompiers du marché Mokolo à Yaoundé.

Tous les après midi après le travail, étudiants, fonctionnaires, commerçants, et même des chômeurs se retrouvent pour taper le carton, échanger des nouvelles de Garoua. On débat de l'actualité, parfois jusque tard le soir. Marafa se distingue par une rare intelligence pour tout ce qui concerne la politique. Les habitués de chez Sanda se fréquentent aussi assidument, ils s'assistent lors des évènements heureux comme dans le malheur. Un des piliers de cette joyeuse assemblée est le commissaire Dairou Hayatou. Marafa Hamidou Yaya et lui se sont rencontrés dès l'école et se sont retrouvés à Yaoundé. Les deux hommes sont amis. Naturellement, le commissaire présente son ami à son frère aîné, Sadou Hayatou, alors ministre des Finances.

Le courant passe très vite entre l'homme d'Etat, pourtant réputé distant et froid, et le jeune cadre de la Snh. Ils ont un feeling. Sadou Hayatou prend l'ami de son jeune frère sous son aile. Il aime ses qualités d'organisateur et de rassembleur, surtout pour ce qui concerne les questions politiques. Il a besoin de l'important carnet d'adresses du joueur de cartes. Contrairement à son mentor parti dès ses 18 ans poursuivre ses études en France, Marafa Hamidou Yaya connaît tous les jeunes cadres originaires de Garoua par le nom. Il les a connus sur les bancs du lycée et, plus tard, à l'université.

Sadou Hayatou en fait son émissaire auprès de ces jeunes et l'introduit dans les sphères du pouvoir. En 1990, Marafa Hamidou Yaya est promu conseiller technique à la présidence. En 1992, il est chargé de mission du Rdpc pour la province du Nord, pour les élections législatives. Son mentor l'avait en effet déjà introduit au comité central du parti. Mais le parti de la flamme perd lamentablement sur l'ensemble des trois provinces septentrionales. C'est la bérézina pour le Premier ministre. L'homme de la conférence tripartite qui avait une stature d'homme d'Etat, n'a pas de base électorale. Les hiérarques du Rdpc décident de lui faire la peau. Pour sacquer un prince, on en choisit un autre.

En juillet 1992, Marafa Hamidou Yaya est fait membre du comité central du Rdpc, puis passe rapidement membre du bureau politique, où il remplace Sadou Hayatou. Il est le président du comité Rdpc pour la province du Nord, dans le cadre des élections présidentielles du 11 octobre 1992. Le 27 novembre 1992, il fait ses premiers pas dans le gouvernement, où il est nommé secrétaire d'Etat aux Finances. Le 21 juillet 1994, il retourne à la présidence au poste de conseiller spécial. Le 07 décembre 1997, c'est la consécration. Marafa Hamidou Yaya est nommé secrétaire général à la présidence de la République. Le 24 août, cette fonction s'auréole du titre de ministre d'Etat et il y est maintenu.

Marafa Hamidou Yaya va atteindre une stature exceptionnelle dans l'histoire du Cameroun le 15 juin 2002. A la suite de l’échec des élections couplées législatives - municipales, reportées parce que le matériel n’était pas prêt, il est nommé ministre de l'Administration territoriale, cumulativement avec ses fonctions de secrétaire général de la présidence de la République.

Mais avant de remplacer Ferdinand Koungou Edima à la fonction de Minat, le Sg/Pr l'a, disent les mauvaises langues, «exploité». C'était en 2000, lors de la succession du lamido de Garoua, Ibrahim Abbo, décédé. Bousculant une tradition qui veut que la succession soit héréditaire, Marafa Hamidou Yaya exhume une loi mal ficelée qui date du temps du président Amadou Ahidjo. La loi règlemente la chefferie traditionnelle. Ce dernier avait en effet accepté de promulguer cette loi, en se gardant éventuellement de la moduler selon le contexte. Le Sg/Pr veut qu'il y ait des élections. Il convainc Yerima Iya Garo, son grand oncle maternel, de se porter candidat. Le verdict des 12 notables qui constituent le collège électoral est sans appel: 11 voix contre une en faveur de Alim Hayatou. Son candidat a perdu, mais Marafa Hamidou Yaya a du mal à se résigner. De ses positions à la fois dans le Rdpc et dans le gouvernement, il aurait monté des chefs de 2ème degré contre le nouveau lamido.


Faiseur de rois

Alim Hayatou en destitue certains. Moussa Fodoué, chef de Marouaré, un proche du Sg/ Pr, porte la fronde. Lors d'une fête religieuse, il défie le protocole. En effet, selon la tradition musulmane, le lamido est l'imam qui dirige la prière. Il délègue juste la conduite de la prière à une personne de son choix, il est donc le dernier à arriver. Mais ce jour-là, Moussa Fodoué, revêtu d'atours de lamido, à la tête d'une importante suite, s'arrange pour arriver après le lamido. C'est l'échauffourée.

L’ambition de Marafa de constituer un «maillage» administratif de la République est favorisée par la publication de la liste des recrues à la police en 1998. Depuis 1988, aucun recrutement ne s'était fait dans ce corps tentaculaire, en raison du plan d'ajustement structurel imposé par les bailleurs de fonds internationaux. Le pays venait de traverser les années de braise, du fait d'un retour houleux au multipartisme. Un concours d'entrée à la police a été organisé en 1996, des milliers de jeunes se sont rués pour le passer. Les résultats, pour des raisons obscures, n'ont été proclamés que deux ans plus tard et c'est le Sg/Pr qui, pour la première fois, les a signés.


Candidat à la présidentielle

Marafa Hamidou Yaya a écrit dernièrement qu'il avait dit au Chef de l'Etat que déposer sa candidature en 2011 ne serait pas une bonne idée. A en croire des sources bien introduites dans le Rdpc, l'ex-Sg/Pr ne s'est pas contenté de prodiguer ce conseil et d'attendre. Il aurait contacté des soutiens afin de présenter sa propre candidature. D’après nos services, il a ainsi convaincu l'ambassadeur d'une puissance étrangère qu'il avait le soutien de l'élite politique du grand Nord. Il a organisé, à l'intention du diplomate, une réunion au début de l'année 2010, où ceux qui comptent en politique dans les trois régions septentrionales ont été conviés. Beaucoup ne sont pas venus. Ceux de l'Extrême-Nord se sont carrément opposés à ce qu'un président de la République provienne encore de la région du Nord, arguant que sous Amadou Ahidjo ils ont été asservis et qu'ils n'ont connu un peu de dignité et de respect que sous la présidence de Paul Biya.

Les soutiens étrangers de Marafa Hamidou Yaya ne se seraient pas pour autant découragés. Ils lui ont concocté un plan de bataille. Marafa Hamidou Yaya devait, lors d'un incontournable congrès du Rdpc, déposer sa candidature à la présidence nationale du parti en se servant de sa popularité dans le grand Nord, surreprésenté dans les instances du parti et d'autres soutiens qu'il prétendait avoir. L'opération aurait pu réussir, mais il y a eu une fuite. Paul Biya, mis au parfum, a usé d'une ruse vieille comme la terre. Il a attendu l'ultime moment du délai prévu par la loi pour le dépôt des candidatures pour convoquer le congrès du parti. Le camp de Marafa Hamidou Yaya s'était déjà démobilisé, croyant qu'il n'y aurait pas de congrès.

Ils avaient toutefois un plan de rechange : Trouver un parti bien implanté sur l'ensemble du territoire qui a une idéologie voisine de celle du Rdpc et où Marafa Hamidou Yaya pourrait avoir des sympathies. Un seul parti correspond à ce profil: l’Undp. Des négociations sont entreprises. Elles vont bon train. Une fois encore, la nouvelle transpire. Une mise en scène spectaculaire est organisée lors du dernier congrès. A la surprise des délégués présents, le président du parti, Bello Bouba Maigari, interrompt les travaux, sort de la salle et revient accompagné du secrétaire général du Rdpc et de son adjoint, qui prennent part aux débats. Ultime échec de la «candidature» Marafa Hamidou Yaya. Le grand public devra finalement attendre sa deuxième lettre ouverte à Paul Biya, depuis le cachot de Kondengui, pour véritablement découvrir les ambitions présidentielles de cet autre ex-Sg/Pr qui a pris le chemin de la prison.


26/05/2012
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