Temoignage: Augustin Frederic Kodock : obsèques officielles ou profanation ?

YAOUNDE - 27 DEC. 2011
© Mutations

L’ex-Sg du parti historique (Upc) et ancien ministre a été conduit à sa dernière demeure la semaine dernière; un camarade du parti revient sur les temps forts de cette cérémonie d’adieu.

La question s’impose douloureusement à tout observateur qui n’aura pas renoncé à sa lucidité. Car il y a comme une insulte faite à Augustin Frédéric Kodock par le Pouvoir du Cameroun.

La décision proclamant «officielles» les obsèques d’Augustin Frédéric Kodock n’a pas surpris l’opinion nationale : le défunt était si proche du Prince, et se réclamait si fréquemment de sa camaraderie qu’il eût été scandaleux que ce ne fût pas le cas. Les services spécieux qu’il a rendus audit Prince, le plus souvent au détriment des valeurs démocratiques, militaient pour cette reconnaissance minimale. «Aux grands hommes, la nation reconnaissante» ? Sans doute, tant du moins que pour certains, la nation se résume à la volonté personnelle d’un Prince.

C’est alors qu’une autre question s’est imposée ? «Qui désignera-t-on comme Représentant du Chef de l’Etat ?». A. F. Kodock ayant été Ministre d’Etat, l’on n’aurait pas imaginé qu’à ses obsèques «officielles», l’on désignât moins gradé que lui. Ce serait donc soit un Ministre d’Etat, soit un Vice-premier Ministre. Et pourquoi pas le Premier Ministre, au regard de la longévité du défunt au pouvoir et de sa longue promiscuité idéologique avec les régnants.

Première claque: ce n’est même pas un simple ministre en fonction qui a été désigné : Jean Nkuete a été Ministre d’Etat et Vice-premier Ministre du Cameroun. Au moment où il est désigné comme «Représentant personnel du Chef de l’Etat» aux «obsèques officielles» d’AFK, il n’est plus ni Vice premier Ministre, ni ministre d’Etat. Il n’est même plus membre du gouvernement : Jean Nkuete est Secrétaire Général du Comité central du Rdpc, une simple Association privée qui s’active comme parti politique.

Pour avoir fusionné président de la République et président national de son parti, le Chef de l’Etat a réussi à confirmer à l’opinion qui en aurait encore douté qu’au Cameroun, le Rdpc et l’Etat ne font qu’un. Entre ce parti et l’Etat, il ne s’agit plus d’une simple passerelle : la (con) fusion est totale, irréversiblement consommée, et telle que tout est devenu interchangeable. Le ministre d’Etat, Augustin Fredéric Kodock a donc été inhumé non par un Officiel de l’Etat du Cameroun, mais par le militant le plus administratif d’un parti politique.

En clair, le secrétaire général du Comité central du Rdpc n’a été mobilisé que pour inhumer son homologue secrétaire général de l’UPC - son allié contre nature des temps difficiles. Simple parallélisme des formes ? Sans doute. Mais qu’un parti aille aux obsèques d’un dirigeant de parti n’a rien d’officiel et ne devrait en rien impliquer l’Etat, sauf si - comme dit plus haut - l’Etat et le Parti vivent dans une promiscuité fusionnelle aussi scandaleuse qu’insultante pour nos ambitions de démocratie et de bonne gouvernance.

Seconde claque : C’est donc un parti politique qui a décoré une dépouille officialisée comme Grand Officier de l’Ordre de la Valeur, distinction et prérogative qui relèvent de l’Etat et de l’Etat seul. Nous ne savions pas encore que le Rdpc disposait de telles décorations officielles. Le Grand Chancelier des Ordres a donc dû, à ses dépens, constater cet amalgame entre le privé et l’officiel, entre un parti et tout un Etat.

Le temps mis pour que ces obsèques aient lieu n’autorise pas l’hypothèse d’un quelconque hasard : la manoeuvre de profanation fut donc délibérée. Mais ce n’est pas la première fois qu’au Cameroun, une action aura été entreprise en totale négation du discours qui l’annonçait à grand bruit.

A-t-on cru que ce faisant, l’on humilierait l’UPC à l’insu des Upécistes ? Tous les militants ne dormaient pourtant pas. Certains ont vu le théâtre qui a été organisé pour distraire l’attention de la profanation qui se perpétrait. La machine de profanation a été telle que même l’oraison funèbre commandée un mois plus tôt par la famille n’est pas celle qu’on a entendue, les embarras de dernière minute entre ladite famille, l’UPC et le Cabinet civil en ayant entravé la présentation.

C’est cette oraison que nous vous la livrons ci-après, pour mémoire.

Oraison funèbre

Monsieur le président de la République,

Augustin Fréderic Kodock n’est plus.

Porter la voix de l’UPC consensuelle devant votre Excellence pendant ses obsèques officielles est à la fois un privilège et une redoutable responsabilité.

Mesdames et Messieurs,

Camarades de l’UPC,

Notre privilège est redoutable parce qu’il implique une grande responsabilité civique et politique.

A- Au plan civique, Augustin Fréderic Kodock laisse une grande leçon comme serviteur de la république. Par son exemple, cet immense Commis de l’Etat enseigne que se réclamer de l’UPC n’est pas incompatible avec le sens de l’Etat et la conscience du Service public. En se dévouant à son pays, il a démontré qu’en dehors des compromissions que l’UPC a appris à rejeter par devoir, l’UPC sait être un parti de compromis quand le même devoir l’exige, dans l’intérêt supérieur du Cameroun. Sa disparition constitue pour nous une grande leçon d’humilité.

B- Notre responsabilité politique découle de cette leçon qui rappelle que si l’UPC est «l’âme immortelle du peuple camerounais», les upécistes eux, ne sont pas des immortels. D’où la puissance pédagogique de ce que disaient nos Pères Fondateurs : «l’UPC n’appartient à personne ; mais nous appartenons tous à l’UPC». Aujourd’hui, une autre de ses grandes figures publiques quitte la scène. Mais qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas l’UPC que nous sommes venus enterrer. Bien au contraire…

Dans l’intimité de ses derniers instants de vie, AFK a souhaité que l’UPC prenne un nouveau départ, au-delà des engagements qu’il a pu prendre de son vivant, la plupart à titre personnels.

Quoique tardive, c’était sa manière à lui de reconnaitre la pertinence des efforts déployés depuis trois ans par la Commission de Consensus pour le rapprochement de tous les upécistes de tout le Cameroun. C’est dans cet esprit de Consensus que nous sommes venus à Môm. Nous repartirons de Môm dans cet esprit pour la refondation nationale de l’UPC. Ce n’est donc pas une simple page qu’il nous faut tourner : c’est tout un nouveau livre que l’UPC se doit d’écrire pour le Cameroun.

Cet impératif de Consensus pour la Refondation se justifie en trois points :
1-L’UPC est le sucre et le sel de la vie politique au Cameroun. Et le sucre, dit-on, c’est ce qui rend le café amer quand il n’est pas là. Mais qu’elle soit sel ou qu’elle soit sucre, l’UPC n’est soluble dans aucun autre parti, quoi que d’aucuns tardent à s’en convaincre.

Certains voudraient bien se passer de l’UPC. Alors comme en 1955, ils organisent son absence et la poussent au maquis. Seulement le sucre comme le sel, nul ne s’en passe de gaieté de coeur. L’on s’en prive, malgré soi, presque toujours pour cause de maladie. C’est donc par diabète politique que le Cameroun semble forcé, sur prescription de l’on ne sait quel médecin, de se priver de son sucre ou de son sel politique, pour plutôt se contenter des «édulcorants».

Or «édulcorer», c’est dénaturer, se faire illusion, tout édulcorant n’étant qu’un semblant de sucre ou de sel. Roland Pré l’avait reconnu en déclarant que toute absence de l’UPC crée «un vide politique» au Cameroun. Cela signifie, Monsieur le Président, que sans l’UPC, le Cameroun ne pourra jamais offrir aux Camerounais qu’un régime politique sans sel et sans sucre.

2-La deuxième raison: l’UPC n’a jamais été un parti d’opposition, puisque l’UPC est un parti de fondation. C’est plutôt à l’UPC en effet que les autres s’opposent depuis 1948 : les partis d’opposition rêvent d’accéder à un pouvoir qu’ils contestent au parti qui le détient. Au Cameroun, c’est l’UPC qui a fondé le pouvoir même que d’autres partis exercent ou convoitent. Cette différence est ce qui fait la différence.

3-La troisième raison, Monsieur le Président de la République, nous vient de votre Excellence même : il y a quelques années, au cours d’un congrès de votre jeune parti, vous avez solennellement demandé aux jeunes du Cameroun de respecter leurs aînés. Valable pour les hommes, cette recommandation est valable ailleurs : l’UPC a 63 ans ; les jeunes partis politiques du Cameroun doivent respecter leurs aînés. Nous voici donc déjà d’accord en matière de droit d’aînesse.

Comme par péché originel, notre pays a cru devoir lutter contre ce qui lui a permis d’exister comme nation. Mais tout Camerounais qui combat l’UPC mène contre lui-même un combat suicidaire. On le sait dans le monde. C’est ainsi que la Bibliothèque du Congres des Etats Unis a retenu que pour les cent dernières années, le seul et unique document camerounais digne d’intérêt est la «position de l’UPC vis-à-vis de l’indépendance du Kamerun», document date du 29 décembre 1959 a Conakry, signe de Félix Moumie, Ernest Ouanjie et Abel Kingue. Si aux yeux du monde l’histoire politique du Cameroun s’est ainsi conjuguée au passé avec l’UPC, l’avenir du Cameroun dans ce monde se conjuguera non pas au futur simple, mais à l’UPC de l’indicatif.

Les upécistes savent pourquoi l’UPC est devenue l’orpheline politique du Cameroun. Mais est-il bien obligatoire que l’orpheline soit aussi prisonnière politique de l’Administration du pays qu’elle a libéré? L’asphyxie née de tant d’acharnement n’étouffe pas la seule UPC : elle étrangle gravement le civisme et le patriotisme de tout un peuple.

Monsieur le Président, la République du Cameroun a mal à son UPC.
Nous redirons donc aux obsèques officielles d’A. F. Kodock ce qui a été dit l’an dernier aux obsèques officielles de Winston Ndeh Ntumazah : l’UPC a libéré le Cameroun, au Cameroun de libérer l’UPC…

La mort est toujours un grand moment de vérité.

Le pluralisme politique qui devait découler presque naturellement de notre diversité culturelle s’est paradoxalement rétréci en multipartisme numérique, alors que le Cameroun a besoin d’oecuménisme politique : n’exigeons pas du Musulman qu’il récite « je vous salue Marie » ; n’exigeons pas du Catholique qu’il fasse le Hadj à la Mecque ; n’attendons pas du Protestant qu’il aille se confesser au Vatican ; n’attendons pas de l’Animiste qu’il célèbre la Sainte Cène ou l’Eucharistie en abandonnant ses cultes ancestraux. Mais que le drapeau du Cameroun soit menacé, ou que le destin de la nation soit en jeu, alors que chacun de ces différents croyants fasse monter la flamme de son patriotisme du lieu spécifique de sa prière, pour qu’au bout du compte, le Cameroun demeure le seul vrai gagnant.

C’est vous dire, Excellence, qu’au-delà de l’UPC des morts et des morts de l’UPC qu’elle veut bien célébrer, que la République reconnaisse l’UPC des vivants pour une UPC vivante. Comme parti fondateur, l’UPC a su faire du Cameroun sa raison de vivre. C’est pour cela que jusqu’ici, seuls les upécistes ont su faire du Cameroun leur raison de mourir.

Nous ne pensons pas, et nous ne voudrions simplement pas imaginer qu’il se puisse trouver un seul dirigeant Camerounais qui ait pour ambition d’asphyxier un tel engagement patriotique. Une telle politique condamnerait définitivement notre pays à des régimes sans sel et sans sucre.

Monsieur le Président, le Cameroun n’a pas mérité d’être une nation politiquement diabétique.


Mesdames et Messieurs, Camarades,

Puisse la mort qui décime l’UPC davantage interpeller la conscience politique des populations du Cameroun ! Puissent les morts de l’UPC sceller le Consensus des upécistes vivants!

Cette prière, nous la faisons pour les deux familles biologique et politique d’Augustin Frédéric Kodock, afin que

Vive l’UPC, l’âme immortelle du Peuple camerounais.

Vive le Cameroun.

Par Charly Gabriel Mbock,
Ecrivain et Homme politique



02/01/2012
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