Téléphonie mobile : Brouillages au bout du filtre

Cameroun - Téléphonie mobile : Brouillages au bout du filtre Révélations sur l’attribution de la 3e licence à Viettel Cameroun.

1- Les faits

Le 10 décembre dernier, l’entreprise vietnamienne Viettel Cameroun a décroché devant Bharti Airtel, Maroc Telecom et Korea Telecom, la 3e licence de téléphonie mobile au Cameroun, la première licence 3G du pays. A peine annoncé, le sacre de Viettel Cameroun fait déjà l’objet de contestation. Le 14 décembre dernier, l’entreprise Technologie et système d’information/Korea Telecom (Tsi/Kt), candidate à l’appel d’offre restreint en vue de l’acquisition de cette 3e licence a déposé un « recours en annulation contre la décision du ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel) attribuant la troisième licence de téléphonie mobile à la société Viettel Sarl/Viettel Group », auprès du ministère des Marchés publics et des autorités compétentes.

« La loi sur les marchés publics nous donne le choix de nous opposer à une décision que je peux qualifier d’injuste », a expliqué Samuel Nono, le représentant de Tsi/Kt au Cameroun. A l’en croire, « Si les offres de Viettel sont celles données par le ministre [Minpostel] dans son interview à la radio, alors il n’avait pas la meilleure offre. Avec nos partenaires (Kt), nous avons proposé et n’importe qui peut le vérifier, 45 milliards de Fcfa pour l’achat de licence et un peu plus de 350 milliards d’investissements. En outre, j’estime à la limite que c’est une insulte d’arriver à cette situation, où on veut faire croire que Korea Telecom n’a pas pu offrir plus de 20 milliards de Fcfa pour acquérir une licence de mobile. C’est vraiment dommage ! ».

Sauf qu’après investigation, Mutations a obtenu copie d’une correspondance de l’ambassadeur de la République de Corée adressée le 17 septembre 2012 au Minpostel, Jean Pierre Biyiti bi Essam. Evoquant l’appel international à manifestation d’intérêt pour le recrutement d’un opérateur en vue de l’établissement et de l’exploitation d’un réseau de communications électroniques mobile avec les ressources fréquentielles 3G à couverture nationale, le diplomate coréen se veut formel : « La société Korea Telecom n’a à aucun moment été en partenariat avec la société Technologie et système d’information pour participer à cet appel à manifestation d’intérêt ».

Et de poursuivre: « A cet effet, l’ambassadeur de la République de Corée à Yaoundé souhaite que le ministre des Postes et Télécommunications de la République du Cameroun procède à une enquête concernant ce partenariat et qu’il publie un démenti aussitôt l’enquête achevée, ceci dans l’optique de préserver les bonnes relations qui existent entre le Cameroun et la République de Corée ».

Le rapport du comité de suivi et d’analyse des offres semble davantage enfoncer Tsi : «Pour le soumissionnaire Technologie et système d’information(Tsi), la Commission a pris connaissance de la lettre  que l’ambassadeur de la République de Corée au Cameroun a adressée au ministre des Postes et Télécommunications pour lui notifier que le Groupe Korea Telecom (Kt), cité par Tsi comme partenaire, ne s’est jamais associé avec ledit soumissionnaire. Cependant, lors de la phase de pré qualification, Tsi, qui est un Cabinet Conseil de droit camerounais, avait déclaré qu’il était en partenariat avec Kt et avait fait prévaloir dans son offre, l’expérience de Kt. Pris individuellement, Tsi dispose d’un capital social de 50 millions de fcfa, insuffisant pour opérer comme opérateur», lit-on.

La Commission fait aussi savoir que « dans sa lettre d’intention à soumissionner, Tsi a pris des engagements au nom du Groupe Kt. Conformément au paragraphe 20.2 de l’article 20 du Règlement d’Appel d’offres qui dispose que  le Minpostel peut, à tout moment, rejeter une offre ou disqualifier un soumissionnaire en cas de non-respect d’une disposition prévue au Règlement ou pour l’un des motifs suivants : (i) Offre contenant une information fausse ou mensongère…,la Commission a jugé que les engagements pris par Tsi ne sont pas respectés et, par conséquent, a décidé de ne pas examiner ses offres ».

2- Les gens

Jean-Pierre Biyiti bi Essam : Le ministre a le bon réseau
Au terme d’un écrémage mené sous sa férule, le Cameroun tient son 3e opérateur de téléphonie mobile.
Le ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel) a certainement poussé un ouf de soulagement le 10 décembre dernier après la lecture du communiqué, signé par ses soins, faisant de Viettel Cameroun le 3e opérateur de téléphonie mobile au Cameroun. Long a été en effet le chemin pour y parvenir. Pas moins qu’il n’était difficile de départager les trois derniers postulants au précieux sésame : Bharti Airtel, Maroc Telecom et Viettel. De source interne à la commission de suivi et d’analyse des offres, l’opérateur vietnamien Viettel a largement distancé ses concurrents indien, Bharti Airtel, et, marocain, Maroc Telecom. Pari gagné donc pour Jean-Pierre Biyiti bi Essam, en dépit de ce que certains fonctionnaires du Minpostel qualifient invariablement de «jérémiades d’un postulant aux abois».

Dans l’avis international à manifestation d’intérêt pour « l’établissement et l’exploitation d’un réseau de communications électroniques couplé avec les ressources fréquentielles 3G », signé le 28 mai 2012, le Minpostel précisait déjà les attentes du gouvernement sur le profil du candidat susceptible d’être retenu : une société spécialisée dans les communications électroniques mobiles de  réputation internationale n’étant pas active au Cameroun et disposant notamment de 105,4 milliards Fcfa de fonds propres au 31 décembre 2011. Hormis la capacité financière, les candidats étaient tenus de maitriser la technologie 3G, laquelle permet de communiquer avec des débits plus rapides en comparaison à la génération précédente, le Gsm.

Le choix de Viettel devrait également combler les attentes des usagers du téléphone mobile. En effet, les asiatiques, les Chinois en tête, pratiquent une politique de bas prix. Conséquence, l’entrée de Viettel comme troisième opérateur de téléphonie mobile au Cameroun brise non seulement le duopole Mtn/Orange, mais consacrera surtout la baisse des prix des communications. En rappel, le premier processus mené par le cabinet Maas l’année dernière avait donné l’opérateur Bharti Airtel gagnant. Selon le Minpostel, Viettel a déboursé 20 milliards Fcfa pour obtenir la licence 3G au Cameroun. Dans l’appréciation de sa feuille de route, pas de doute, Jean-Pierre Biyiti bi Essam vient de marquer de précieux points.

3- Bon à savoir

Qui est Viettel ?
Cameroun - Téléphonie mobile : Brouillages au bout du filtre Viettel Cameroun Sarl est une filiale du groupe Viettel, opérateur public de télécommunications au Vietnam. Cette compagnie gérée par le ministère vietnamien de la Défense est le premier groupe du pays dans le secteur des télécommunications. Avec près de 60 millions d’abonnés, ses opérations couvrent actuellement six marchés d’Asie (Cambodge et Laos), d’Amérique latine (Haïti et Perou).

En Afrique, la compagnie est présente dans un seul pays : le Mozambique, où elle est actionnaire majoritaire de Movitel, troisième opérateur de téléphonie mobile du pays, installé en mai 2012. Movitel vise deux millions d’abonnés à la fin de cette année 2012. Le groupe vietnamien nourrit des ambitions pour le marché africain. Notamment le Kenya qui semble être sa prochaine cible.

D’après Nguyên Manh Hùng, directeur général adjoint de Viettel, le groupe vise 500 millions d’abonnés dans dix pays en 2015 et un milliard d’abonnés en 2020. Le revenu total de Viettel en 2011 était, d’après son Dg, de près de 6 milliards de dollars Us.

Dans un entretien accordé au Daily News en Tanzanie en juillet dernier, le directeur général du Groupe Viettel, Nguyen Duy Tho, avait indiqué que « la couverture mobile n’atteint en moyenne que 60% de la population africaine et principalement dans les zones urbaines. Seulement 20% des Africains vivant en zone rurale ont accès au signal mobile. L’Afrique est un marché au potentiel immense ». De même, indiquait-il, « la pénétration du haut débit en Afrique subsaharienne reste faible, environ 2% dans les zones urbaines et 1% dans les zones rurales ».

Toute chose que son groupe veut inverser à travers ses investissements. «Parmi les 30 entreprises de télécommunications internationales, nous sommes la plus petite », reconnaît son Dg. «Mais Viettel est la seule entreprise qui s’est développée à partir des défis et des difficultés. Du niveau le plus bas et dans une courte période de deux ans, nous avons atteint le plus haut niveau dans un marché concurrentiel féroce », a-t-il affirmé au Daily News.

© Mutations : Georges Alain Boyomo


19/12/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres