Shanda Tonme "Le destin du Cameroun se joue dans le Nord dorénavant et nous devons nous dire la vérité"


Shanda Tonme:Camer.beAlain Njipou, rédacteur en chef du Messager rencontre le Dr SHANDA  TONME pour un entretien au sujet de Boko Haram.[...]Si le Cameroun est comme disent certains une poudrière, le nord est déjà une grenade dégoupillée. C'est énorme ce que nous devons faire, et ce n'est ni le travail du président tout seul ni le travail d'un jour ou d'une semaine. Nous avons en plus de cinq décennies, construit ce qui arrive en ce moment au grand nord et qui peut présager de développements et de contagions douloureuses pour tout le pays.

Comment comprendre les récentes attaques survenues à l'extrême nord avec à la clé, une visite musclée des assaillants à la résidence du vice-premier ministre Amadou Ali, et dans la foulée des enlèvements des Camerounais? Est-ce un signal fort au régime de Yaoundé?

Je suis plutôt que cette audace des hors-la-loi suscite des interrogations et des surprises chez nombre de personnes qui m'ont approchées, y compris certains que je considère comme suffisamment éveillées et renseignées. En réalité, des interrogations si elles ont un sens, devraient se situer sur la suite, ce qui vient ou risque de venir après. Sur l'événement en lui-même, c'est le développement logique et prévisible d'une situation de désordre, d'instabilité et de précarité institutionnelle politique arrivée à maturation  presque complète. L'ensemble du pays se trouve dans une situation que l'on qualifierai au plan géopolitique de cible accessible à toutes sortes d'adversités, d'aventures et de conquêtes externes. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire ici, de donner plus de détail, parce que mes précédentes interventions dans vos colonnes ont été assez explicites à ce sujet.
Vous parlez de l'attaque de la résidence du vive premier ministre Ali comme un message. Je dirai non et oui. Non parce qu'il y a généralement dans le comportement des groupes terroristes, une dimension vexatoire, destinée à non pas forcement à délivrer des messages, mais créer l'effet de psychose populaire doublée d'un besoin de positionnement quelconque dans l'opinion. Par ailleurs, vous avez sans doute raison, parlant de la résidence du Vice premier ministre. Je veux simplement souligner que celle-ci se trouve pratiquement à   la frontière entre les deux pays, et constitue une cible de choix. Elle est donc sensée être bien protégée .Or dans la logique d'humiliation des forces armées de l'Etat du Cameroun,  il est probable que cette action n'ait pas été fortuite, qu'elle ait été spécialement conçue et exécutée dans l'optique d'un message, le Cameroun ayant trop vanté dans les médias nationaux et internationaux, des victoires sur la secte Boko Haram. IL est donc clair que les auteurs ont eu à coeur de tourner en dérision cette publicité en frappant un symbole du pouvoir  au plus haut niveau.  Dans ce cas, les populations sont en droit de se demander où se trouvent toutes les forces dites positionnées au nord?

Le Cameroun paye-t-il l'arrogance de Paul Biya qui a déclaré en mondiovision la guerre à la nébuleuse Boko Haram?

D'une certaine manière, je répondrai par l'affirmative.  Que le président ait déclaré la guerre est une chose, mais qu'il se soit effectivement donné les moyens pour mener cette guerre, tous les moyens, je dirai très regrettablement non. Ce qui est en cause, c'est moins le fait de l'avoir fait, que le fait de n'avoir pris toutes les dispositions politiques, psychologiques, morales et diplomatiques qui s'imposent. D'un point de vue politique et moral, je me sens solidaire de la déclaration du chef de l'Etat et je la soutiens fermement et sans réserve. Mais, croyez-moi, je ressens une certaine humiliation en tant que Camerounais. Lorsqu'on est en guerre, on gère autrement le quotidien politique et le personnel politique, on bouge autrement, on met les choses en place autrement. Voyez-vous, le pays est en stand by depuis bientôt un an. Tous les décideurs tournent en rond, et on a le sentiment que même notre armée est laissée à la routine d'un discours administratif improductif et inadapté. J'ai souligné depuis longtemps qu'il y avait au moins trois choses importantes à faire: 

a) Au plan militaire et sécuritaire, changer complètement le commandement des forces combattantes et réorganiser les commandements des services de renseignement, en responsabilisant les officiers et les personnes d'avantage sur une base technique que sur des subjectivismes tribaux; 
b) Au plan civil, restructurer profondément le gouvernement, en mettant en place un gouvernement de poigne, de guerre, de travail réel tourné vers le raffermissement de la souveraineté nationale et la démonstration de la dignité nationale; rassembler, consulter et dialoguer avec les leaders politiques, les leaders d'opinion, les ministres du culte dans un élan transparent et sincère de densification de la cohésion nationale en temps de crise. 
c) Au plan diplomatique, reformer et animer l'outil central qu'est le ministère des relations extérieures. Il n'y a eu aucun mouvement des ambassadeurs depuis belle lurette, et les services centraux ressemblent à une morgue abandonnée où des fatigués flaqués de jeune novices se tournent les pouces.

En plus de cela, le chef de l'Etat doit communiquer et s'occuper plus des problèmes immédiats, au lieu de laisser faire un gouvernement sans pouvoir ni légitimité réel dont la seule référence publique et l'unique lien communicationnel avec le peuple demeure monsieur Issa Tchiroma. Nous sommes en guerre pour le vrai et le chef de l'Etat doit pouvoir et savoir tirer toutes les conséquences qui s'imposent. Il y a urgence. Le temps de la fracture politique et de la distanciation du pouvoir face au peuple ne tient plus avec ce qui se passe au nord. Le président doit recevoir ceux qui comptent dans le pays et se concerter avec eux. Or, ce que l'on voit, c'est uniquement des étrangers, surtout des blancs, qui sont en audience tous les jours au palais. Le peuple veut voir le président avec des dignitaires camerounais. Cela dit, ce n'est pas le temps de la polémique non plus. Le chef de l'Etat doit avoir notre soutien total pour conduire le opérations en ce moment.

Que faut-il faire pour sécuriser le triangle national et singulièrement l'Extrême nord en proie aux incursions meurtrières de Boko Haram?


Ecoutez, je vais vous révéler un entretien que j'ai eu il y a une dizaine d'années avec Issa Tchiroma lorsqu'il traversait le désert, pauvre et très motivé sur la situation du grand nord dont lui et quelques autres en avaient fait presqu'un cheval de bataille politique. Un jour je le trouve chez lui, car il était alors mon voisin à Bastos à Yaoundé, avec des amis. Comme je sais taquiner, je m'exclame: Hé, mon cher ami Issa, vous êtes entre vous de l'alliance Nord-Sud qui craint chaque jour le complot Anglo-Bami?  Sa réponse fut pathétique et d'une franchise qui me fit presque couler des larmes: "Ecoute Shanda, mon frère, et non mon ami. Tu te moques de nous, car je ne sais pas de quel  Nord tu parles et qu'est ce que tu mets dans cette alliance Nord-Sud. Dis moi donc ce que nous avons pour les populations du nord, en termes de médecins, d'ingénieurs, de hauts cadres, de professeurs d'université, de pharmaciens. Le Nord se trouve dans une misère indescriptible que même notre fameux mémorandum n'a pas tout décrit. Si tu vas au nord et que tu décide de lever une armée de cinq cent mille personnes (500.000) en une heure en donnant seulement mille Francs (1000) par personne, tu  mettras pas une heure pour y parvenir. Voilà le grand nord, avec une population oubliée, martyrisée". 
Il est encore vivant et vous pouvez le lui demander. Depuis ce jour, et après que je me sois rendu sur place plusieurs fois, j'ai compris beaucoup de choses. Si le Cameroun est comme disent certains une poudrière, le nord est déjà une grenade dégoupillée. C'est énorme ce que nous devons faire, et ce n'est ni le travail du président tout seul ni le travail d'un jour ou d'une semaine. Nous avons en plus de cinq décennies, construit ce qui arrive en ce moment au grand nord et qui peut présager de développements et de contagions douloureuses pour tout le pays.

Mais voulez-vous dire qu'il faut désespérer?

Mais non, je vous tiens un langage de personne avisé, de citoyen et de patriote renseigné et honnête. Je ne peux pas tout de même vous tenir un discours qui ne pas celui de Shanda Tonme que vous connaissez. Le destin du Cameroun se joue dans le Nord dorénavant et nous devons nous dire la vérité, pour ensuite en tirer les leçons et les avantages stratégiques nécessaires pour une prise en charge maximale de la menace. N'attendez pas de moi que j'ai recours à la langue de bois pendant que notre pays brûle à feu doux. Il est impératif que le chef de l'Etat se donne les moyens de faire la guerre, se dote des outils qu'il faut, fasse confiance aux plus compétents de nos nationaux, et s'entoure des conseillers et des stratèges brillants et honnêtes de tous les horizons./.

© Le Messager : Alain Njipou


29/07/2014
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