Serge Sabouang: "La Dgre voulait qu’on donne le nom d’une personnalité"

YAOUNDE - 29 AVRIL 2010
© Adrienne Engono et Ateba Biwolé | Le Jour
Rencontre avec l’un des co-détenus de Bibi Ngota.

Nous avons appris que vous êtes gravement malade, pouvez-vous nous dire exactement comment vous vous portez?

Gravement malade non. J’ai les séquelles, les conséquences du mauvais traitement que j’ai subi à la Direction de la recherche extérieure (la Dgre). Le dos me fait atrocement mal, de temps en temps j’ai des palpitations au niveau du cœur. J’ai beaucoup plus ces deux maux, mais je marche quand même.


Vous parlez du traitement à la Dgre, comment était-il ?

En effet, la Dgre voulait qu’on donne le nom d’une personnalité qui était censée nous avoir donné le document. C’était la bastonnade à tout moment. Je leur ai dit que je n’en savais rien, que je ne connaissais même pas le document dont ils parlaient. Ils ont tellement forcé et je leur ai dit que s’ils veulent que je leur donne un nom, je vais le donner sur papier mais je n’ai pas de nom à donner, j’en sais rien. Nko’o a été aussi forcé, mais il n’a pas donné de nom. Bref c’est la bastonnade que nous avons subie et on dormait à même le sol.


Vous parlez de dormir à même le sol, où dormez-vous maintenant ?

En fait non. Moi j’ai dormi au sol pendant une semaine à la case de passage, après on dormait deux dans un petit lit de moins d’une place, au Kossovo.


Est-ce que vous êtes toujours au Kossovo ?

Non, nous sommes partis du Kossovo hier (mardi) et nous sommes au quartier n°1, local 4, Mintya et moi.


Et Bibi Ngota, comment vivait-il ?

Bibi Ngota est arrivé malade et il dormait à même le sol.


Quels étaient vos rapports avec Bibi Ngota ?

C’était un confrère. Je le connaissais depuis pratiquement dix ans. Je suis la dernière personne à avoir vu Bibi. Comme il était à l’hôpital, je lui rendais visite chaque matin. Il me disait «ça ne va pas, ça ne va pas». Il délirait déjà. Il commençait à parler, puis il se mettait à rire tout seul. Je suis allé voir Mintya, je lui ai dit: «Bibi Ngota va très mal ». Bibi Ngota me disait: «mon frère ça ne va pas ».


Et si on revenait sur la lettre d’excuses que vous avez adressée au Secrétaire général de la présidence. Est-ce à dire que vous vous reconnaissez coupable ?

Je n’ai jamais écrit une lettre d’excuses à Laurent Esso. J’ai écrit une lettre d’indulgence. Et Mintya qui a aussi écrit, je n’ai vu aucun mot d’excuses dans la lettre de Mintya. Il y a quelqu’un qui s’est présenté comme pour servir d’intermédiaire entre Laurent Esso et moi. C’est lui qui m’a demandé d’écrire une lettre d’excuses. Je lui ai dit que pour rien au monde, je n’aurais écrit une lettre d’excuses à Laurent Esso parce que je ne reconnaissais pas ce qui s’était passé. Parce que je ne me sens coupable ni de la fabrication, ni de l’exploitation dudit document. Sauf s’ils font une confusion entre l’indulgence et les excuses.


Parlons justement de votre interpellation. Comment s’est-elle faite ?

A la Dgre, première erreur, ils m’ont pris un samedi, un jour non ouvrable, ce qui n’est pas normal. Ils viennent me prendre à la maison vers 7h30. Ils m’emmènent chez eux au Lac. Et pour moi c’était la première fois que je voyais ce document (la lettre attribuée à Laurent Esso). On me dit: «allons donc au bureau.» Je ne sais pas exactement ce que ça voulait dire, parce Nko’o avait été arrêté la veille, il y avait passé la nuit. On va à mon bureau, ils me disent: « mais le document-là, qu’est-ce qui se passe ?» Il parait que Nko’o avait déclaré qu’il avait mis un de mes cachets sur le document, après, ils sont allés chez Nko’o, ils ont fouillé, ils ont pris quelques papiers. Parce que Nko’o leur disait également qu’il y avait un certain Gérard qui était impliqué dans l’affaire. Moi je n’ai pas vu la maison de Gérard. D’autres personnes de la Dgre avec qui nous étions dans la voiture sont descendues et sont allées chez Gérard mais ils ne l’ont pas trouvé. Moi je suis resté dans la voiture. Je leur ai dit que je ne savais rien. Nko’o leur a dit le lundi, et même déjà le samedi que M. Sabouang n’y était pour rien. Je ne sais pas si pendant qu’on le traumatisait il a lâché mon nom. Mintya dit aussi qu’il n’a jamais cité mon nom. Avant cette affaire, ça faisait deux ans que je n’avais pas vu Mintya. Par contre, Bibi et moi, on se voyait de temps en temps, peut-être tous les six mois ou trois mois.

C’est de la Police judiciaire qu’on vous défère à Kondengui ?

Après la Pj où on a passé dix jours, on nous emmène au parquet, on va passer une nuit au commissariat central, c’est partant du commissariat central qu’on nous ramène au parquet et on nous défère à la prison centrale.

Avez-vous aussi été maltraités au commissariat central ?

Non, nous n’avons pas été maltraités au commissariat central.

Quand vous avez appris le décès de Bibi Ngota comment avez-vous réagi ?

Lorsque j’ai appris que Bibi Ngota est mort, je suis rentré comme on dit dans nos villages dans le veuvage. J’ai gardé la barbe et je vais en babouches depuis ce jour-là jusqu’au sortir d’ici. Ça fait mal, on a fait au moins dix ans ensemble et je dis bien que la veille de sa mort jusqu’à 16h on était ensemble.


Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Il m’a dit qu’il ne connaît rien de cette affaire.


Que pouvez-vous dire à l’endroit de vos confrères et peut-être des pouvoirs publics ?

Au sujet du gouvernement, je ne sais pas ce que je peux dire. Je demande à comparaître, qu’on nous le permette. On se demande où est la célérité dont on parle au niveau de la justice. On a comme l’impression que le juge attend le mot du haut pour réagir. Je ne sais pas pourquoi le juge ne nous appelle pas. Pour ce qui est des confrères, je les remercie tous pour leur mobilisation. Ils ont tous fait preuve de solidarité et je pense que c’est bon signe pour notre presse parce que tout le monde peut être dans ce genre de coups. Nous avons comme l’impression que la justice travaille sous une certaine pression plutôt que de défendre les droits.


Quel est le rôle du secrétaire général de la présidence de la République dans cette affaire ?

C’est lui qui a porté plainte et j’ai comme l’impression que c’est lui qui a demandé qu’on nous déferre. C’est ça le rôle qu’il joue. Il se trouve qu’il est en même temps juge et arbitre. On a même comme l’impression que les juges attendent son signal pour faire quoi que ce soit.


Au sujet de cette affaire, est-ce que tu te reconnais coupable ?

Ça fait 14 ans que j’exerce comme journaliste et je n’ai jamais été inculpé pour quoi que ce soit. Je n’ai même jamais fait la cellule. Je pratique ce métier avec beaucoup de prudence et beaucoup de tact. Je suis étonné qu’aujourd’hui je sois impliqué dans une histoire comme celle-là. Jusqu’aujourd’hui, je le dis, je plaide non coupable. Je n’ai rien à voir avec ces documents, je n’ai en rien été associé à ces documents. Je ne les connais ni de la fabrication, ni de l’exploitation. Je ne reconnais nulle part que j’ai fabriqué ou falsifié un quelconque document. Mintya a juste voulu recouper l’information. S’il avait su que le document était faux, il n’allait pas l’envoyer au secrétaire général de la présidence de la République.


Qui est donc coupable ?

Il est difficile pour moi de le dire. Je ne suis pas sûr que Simon Nko’o qui a vendu ce document à Mintya savait qu’il était faux. Je ne pense pas que Simon Nko’o le savait. Ce faux document, je ne sais pas à qui il appartenait. Je serais étonné que Nko’o ait acheté un document, sachant qu’il était faux et qu’il le vende à Mintya.


Avez-vous eu des nouvelles de Simon Nko’o depuis sa cavale ?

La dernière fois que nous avons vu Nko’o, c’est quand nous étions à la Police judiciaire. C’est dix jours après notre arrestation que l’un des directeurs à la Dpj a commencé à chercher Nko’o. J’ai comme l’impression que soit ils bâclent leur travail, soit ils ne veulent pas le faire. On ne peut pas expliquer qu’il y a une troisième personne qui court et que personne ne parvienne à l’arrêter.

Depuis le décès de Bibi Ngota, comment vous sentez-vous ?

Nous subissons trop d’atrocités. J’ai comme l’impression que tout le monde veut prendre des décisions sans que le régime en place ne fasse quelque chose. On a comme l’impression que la solidarité gouvernementale prime sur la vie humaine. Tout le monde veut se défendre dans le gouvernement. Il y a tellement de contre vérités dans ce que Issa Tchiroma raconte. Quand Issa Tchiroma raconte que le ministre Laurent Esso a porté plainte vendredi le 5 mars, je me demande ce que je faisais à la Dgre entre le 6 et le 12 février ? Qui m’a fait venir là-bas ? Mon grand problème dans cette affaire, c’est que je suis issu d’une famille qui est d’une éthique et d’une rectitude incomparables. Que je sois associé à une histoire de faux alors que je n’ai pas été éduqué ainsi, j’en suis effondré. Je dis qu’il y a une injustice qui mérite d’être éclaircie. Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de confrontation entre Bibi, Nko’o et moi ?

Pouvez-vous décrire les atrocités dont vous parlez ?

Pour Nko’o, par exemple, il avait des marques sur tout le corps. A des moments, on faisait sortir certains de nous de la cellule pour à tout prix nous torturer.


Combien êtes-vous dans votre nouvelle cellule ?

Nous sommes huit.


Comment êtes-vous nourris dans cette cellule ?

C’est dégueulasse ce que nous mangeons ici. Nous mangeons du maïs avec quelques grains de haricots. Tous les jours. De temps en temps, il y a du riz, mais c’est vraiment n’importe quoi.


Avez-vous reçu une plainte ?

Je n’ai jamais reçu de plainte, ce n’est pas contre moi qu’on a porté plainte. C’est contre Mintya qu’on a porté plainte.



30/04/2010
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