Sérail : Révélations sur un vrai faux coup d’Etat

Un document annonçant la fin du régime en place a été très vite  assimilé à une tentative de renversement du pouvoir. Ce dernier est divisé sur la gestion de l’affaire. Enquête.

 

 

Un document annonçant la fin du régime en place a été très vite  assimilé à une tentative de renversement du pouvoir. Ce dernier est divisé sur la gestion de l’affaire.

C’est l’histoire d’une bande sonore qui fait grand bruit. Tout serait parti d’une « fuite » qui a alerté les milieux sécuritaires du régime en milieu de semaine dernière. Le document – dont des copies circulent sous le manteau dans certains milieux à Yaoundé, et déjà dans certaines villes de l’arrière-pays, dans la région du Sud - est attribué à un certain Enoh Meyomesse, jusque là connu comme un collaborateur du périodique « La Cité », et auteur plutôt inspiré d’ouvrages à forte teneur politique. L’intéressé, que La Nouvelle Expression a tenté de joindre, est porté disparu. Il a toutefois fait parvenir son témoignage par voie électronique.  (lire ci-contre).

 

Les services de sécurité sont en tout cas convaincus que sa voix a été formellement identifiée dans la bande sonore, dont personne ne dit encore avec certitude à quels usages éventuels elle est promise. Mais, si elle fait tant parler d’elle, c’est que la bande sonore est réputée détonante par son contenu. Selon de fiables indiscrétions, le message tient en quelques points clés, dont la fin du régime, le 17 juillet 2010. Il y est question de l’abrogation de la Constitution, de la dissolution de l’Assemblée nationale, du gouvernement, du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), de Elections Cameroun. Il se peut qu’il soit envisagé l’adoption d’une nouvelle constitution par voie référendaire, de la tenue d’une élection présidentielle début 2011, de la formation d’un gouvernement provisoire chargé de la gestion des affaires courantes.

 

Plus encore : sur fond de procès du régime en place, elle parle de la fin de la somnolence d’un Cameroun téléguidé, corrompu, gagné par le chômage généralisé et travaillé par des inégalités diverses. Elle se fait, semble-t-il, plus compréhensive à l’égard des forces de l’ordre qu’elle félicite au passage de leur contribution pour la chute du régime, non sans annoncer des gratifications diverses, dont le passage automatique de tous les colonels au grade de général, l’érection au cœur de la capitale d’un monument en la mémoire des soldats tombés à Bakassi, et l’institution de la retraite à l’âge de soixante ans, etc…. Pas avare de références à l’histoire du Cameroun, la voix, qui assume son statut d’héritier de Ruben Um Nyobe, Félix Roland Moumié, Martin Paul Samba, Ernest Ouandié, félicite les jeunes auxquels elle attribue les émeutes de février 2008. Bref, un discours de prise de pouvoir.

 

Il n’en fallait pas plus pour que les « services » se mobilisent. Et cela, d’autant que, très vite, le chef de l’Etat a été informé de l’existence de la bande depuis son séjour genevois…

 

Des réunions se sont tenues au cours des six derniers jours, au ministère de la Défense et à la présidence de la République. Selon toute vraisemblance, l’unanimité n’est pas de saison au sujet du traitement de cette « affaire ». Une première ligne estime que le présumé auteur du message de la bande « explosive » devrait tomber sous le coup des dispositions du Code pénal camerounais.

 

En face, une option, apparemment plus réaliste et moins alarmée, tient, semble-t-il, à un point : une interpellation ne ferait pas les affaires du Cameroun dont l’image sur la scène internationale a été éprouvée par  « l’affaire Bibi Ngota », du nom du directeur de publication écroué, puis   décédé à la prison centrale de Yaoundé, dans le cadre d’une procédure judiciaire relative à un présumé trafic de documents -  entre autres repères récents. Au sein du sérail, des airs de soupçon n’ont pas manqué   en cette ère de putsch supposé…

 

Le pays en a l’habitude. En l’espace de sept ans, deux feuilletons ont nourri rumeurs et contre rumeurs. En 2003, un certain Bayiha Macoi avait déjà défrayé la chronique. Venu à Garoua sous un costume à la coupe humanitaire, il revêtit très vite un treillis de putschiste présumé.  Avec, à la clé, une prise d’otages spectaculaire et  une… bande sonore qui annonçait rien moins que l’instauration d’un nouveau régime au Cameroun, le retour de la dépouille d’Ahmadou Ahidjo, sur fond d’un vaste de programme de réconciliation nationale… L’affaire tint la chronique des jours critiques en haleine. Avant de disparaître de l’agenda des politiques et des gazettes.

 

Novembre 2007, une forte rumeur de coup d’Etat ébranlait relativement les milieux sécuritaires. Un entrelacs de supputations, avec ses figures réputées proches des milieux terroristes, son lot d’arrestations dans la foulée, ses libérations aussi. Ses guerres entre « services ». Le tout sur fond d’affairisme supposé au ministère de la Défense du temps où y régnait un certain Rémy Ze Meka auquel, à ce qu’il semble, on devait cette « trouvaille »… Puis, plus rien. Jusqu’à ce mois de juillet qui cristallise tant d’attentes politiques.

Un coup d’embarras…

Cette affaire étale déjà, comme on le voit, ses lignes de clivage au sein du régime autour d’une question : faut-il lui réserver un large écho ? Il est clair qu’une interpellation érigerait la présumé auteur du message en un pôle d’attraction de l’opinion nationale et internationale pendant quelque temps. Le pays, sur lequel une certaine unanimité est établie en matière de stabilité, ne risque-t-il pas de passer un message contraire, en procédant à une arrestation qui, au passage, tendrait à accréditer la thèse de sa fragilité ?

 

Il n’est cependant pas sûr que l’embarras soit circonscrit à cet aspect touchant à l’image du pays. Deux tendances s’affrontent autour de la portée de l’existence même du document sonore. Certains considèrent que M. Enoh Meyomesse ne représente aucune menace pour le pouvoir. Il est considéré comme un « illuminé » en mal de publicité et ses éventuelles prétentions à mener une insurrection seraient puériles… D’autres sont plus nuancés et circonspects. En l’espèce, des voix émettent deux hypothèses : soit que cette « affaire » relève d’un leurre visant à détourner l’attention du régime ailleurs que vers des centres d’intérêt autrement plus sensibles ; soit alors qu’il faut y voir une alerte de la part de ceux qui auraient probablement voulu éprouver le potentiel de sérénité du régime pour d’insondables desseins.

 

A cette aune, et même si une certaine fébrilité le dispute à une certaine indifférence dans les allées du pouvoir, on peut convenir que le test ne semble pas avoir livré toutes ses ficelles. Reste à gérer le flot de rumeurs qui envahit l’opinion, charriant son lot d’incertitudes dont nul ne peut prédire le potentiel de nuisance pour le régime, en l’absence d’une communication adéquate. Mesure-t-on seulement l’impact et l’écho qu’aurait eu au sein de l’opinion une éventuelle diffusion de ce message, fût-ce par des moyens clandestins ?  Qui se souvient encore qu’en décembre 1999, les sécessionnistes du Southern Cameroons National Council  (Scnc) s’étaient emparés, momentanément, des antennes de la station provinciale de la Cameroon Radio Television ( Crtv) et y avaient diffusé leur message, avant que les forces compétentes ne se ressaisissent ?  Plus que de simples questions…

 

Source: La Nouvelle Expression




01/08/2010
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