Sérail - Nominations aux postes de responsabilités: Qui fait les ministres au Cameroun ?

Douala, 16 Mars 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Le Président de la République garde la main sur tous les remaniements, mais il peut arriver qu'il charge un proche collaborateur ou un homme de confiance pour lui faire des propositions.

I.- Sous Ahmadou Ahidjo

Même s’il était un nationaliste ombrageux, le premier président du Cameroun, sans se laisser dicter la conduite à tenir, laissait de temps en temps les Français lui faire des suggestions quant à la composition de l'équipe gouvernementale. C'est ainsi qu'aux premières années de l'indépendance, Ahmadou Ahidjo était guidé dans le choix de ses ministres par les anciens colons qui avaient l'avantage d'avoir formé chez eux en France le personnel politique camerounais qu'ils lui proposaient. Beaucoup d'anciens fonctionnaires du Cameroun oriental francophone ont pu ainsi bénéficier de leurs appuis français pour occuper de hauts postes dans l'administration publique du pays surtout quand ceux-ci avaient pour épouses des françaises qu'elles fussent métropolitaines ou Antillaises. Sur le plan local, quelques personnalités avaient l'oreille du président Ahmadou Ahidjo.


El Hadj Ousmane Mey: le président bis ou vice-président

L'ancien gouverneur du Nord (actuelles régions de l'Adamaoua, de l'Extreme Nord et du Nord) et père de l'actuel ministre des Finances Alamine Ousmane Mey avait l'entière confiance du président Ahmadou Ahidjo. Celui qu'on considérait comme le président bis ou le vice-président était un homme très puissant. Il était difficile à Ahmadou Ahidjo de prendre une décision importante concernant l'avenir du pays sans consulter ce Kotoko de Kousseri, département du Logone et Chari, région de l'Extrême-Nord. En effet, en dehors de la composition du gouvernement, El Hadj Ousmane Mey quoique basé à Garoua où il exerçait ses fonctions de gouverneur du Nord était régulièrement consulté par le président de la république sur tous les sujets importants ou sensibles. Contemporain d'Ahmadou Ahidjo, l'homme doit être aujourd'hui âgé d'environ 90 ans.


John Ngu Foncha

Pendant la période du fédéralisme au Cameroun, le Dr. (honoris causa) John Ngu Foncha qui était originaire du Nord-Ouest occupait les fonctions de Premier ministre du Cameroun occidental (actuelles régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest) et de vice-président de la République fédérale. Les noms de personnalités anglophones qu'il présentait à Ahidjo pour entrer au gouvernement étaient des gens bien connus. Il n'allait pas prendre l’illustre et parfait inconnu. Signalons au passage que Foncha était un Dschang de la quatrième génération dont les aïeux avaient émigré de l'actuel département de la Menoua, région de l'Ouest vers le Nord-Ouest.


Solomon Tandeng Muna

Le père de l'actuelle ministre des Arts et de la Culture Ama Tutu Muna fonctionnait presque d'une manière similaire à celle de son prédécesseur Foncha. Toutefois, il lui arrivait d'introduire dans le sérail politique des gens qui n'étaient pas bien connus du public. Vrai ou faux ? on dit que c'est grâce à lui que l'actuel Premier ministre, chef du gouvernement, Philémon Yang est devenu vice-ministre de l'Administration territoriale le 30 juin 1975.


Akassou

Il était musulman ou chrétien selon les circonstances. C'était l'un des hommes les plus écoutés d'Ahmadou Ahidjo. Ministre, c'était l'un des magiciens du chef de l'Etat qui n'hésitait pas à le consulter quand il voulait poser un acte important. C'est pour son commerce avec les esprits qu'Ahidjo l'appréciait particulièrement car sur le plan intellectuel, il était pratiquement nul.


Moussa Yaya Sarkifada

Avec El Hadj Ousmane Mey, cet ancien vice-président de l'Assemblée nationale, formait un duo de choc, la garde rapprochée d'Ahmadou Ahidjo. C'était assurément l'un des hommes de confiance de l'ancien chef de l'Etat, un peu magicien aussi. L'ancien président du Conseil d'administration de la Sonel sous la direction de Marcel Niat Njifendi pouvait faire de qui il voulait un ministre ou un député. C'est ainsi qu'il cooptait d'illustres inconnus pour l'entrée à l'Assemblée nationale. Mais parfois le prix à payer pour le candidat à un poste électif ou non était fort parce que Moussa Yaya Sarkifada avait un appétit d'ogre pour les femmes... d'autrui, surtout quand elles étaient belles.

Il y a bien d'autres personnes qui gravitaient autour d'Ahidjo et qui détenaient une parcelle du pouvoir de nomination. Dans chaque région, Ahmadou Ahidjo avait des amis, des personnes sur lesquelles il s'appuyait et demandait leur avis quand il voulait nommer des membres du gouvernement.


II.- Sous Paul Biya

Joseph Charles Doumba

Quand Paul Biya voulait un originaire de la région de l'Est, parfois il s'adressait à Joseph Charles Doumba, ministre sous Ahidjo et ancien secrétaire général du Comité central du Rdpc au pouvoir. C'est ainsi qu'il avait pesé de tout son poids quand il était directeur général de la Société de presse et d'Editions et de presse du Cameroun (Sopecam) pour faire de son fils spirituel André Bello Mbelé un Gbaya, ministre des Mines, de l'Eau et de l'Energie dans le gouvernement du 21 juillet 1991, Il a également pris sous son aile notre confrère Christophe Mien Zok, de l'ethnie maka, maire d'Angossas, une commune de l'Est, mais qui est plus connu comme directeur de l'Action, organe de propagande du Rdpc. Si Joseph Charles Doumba, aujourd'hui ambassadeur itinérant, était encore secrétaire général du Comité central du Rdpc, nul doute que Christophe Mien Zok serait devenu ministre.


Simon Achidi Achu

L'ancien ministre de la Justice sous Ahmadou Ahidjo et Premier ministre de Paul Biya du 9 avril 1992 au 19 septembre 1997 a parfois été un faiseur de ministres dans sa région natale du Nord-Ouest en général et de son département la Mezam en particulier. Paul Atanga Nji, ministre chargé de missions à la Présidence de la République cumulativement avec ses fonctions de secrétaire permanent du conseil national de sécurité est un de ses poulains. Simon Achidi Achu, fermier de son état et membre du bureau politique du Rdpc a présenté Atanga Nji comme un homme providentiel, incontournable pour avoir réduit fortement l'emprise qu'avait le Sdf de Ni John Fru Ndi sur la région du Nord-Ouest avant le double scrutin législatif et municipal de juillet 2007. C'est en effet grâce, dit-on, au travail abattu sur le terrain parle ministre Atanga Nji que le Sdf a dégringolé passant de 19 députés sur les 20 que comptait ce parti de l'opposition avant le scrutin à 11 sur 20 après le scrutin. Simon Achidi Achu a été compris par Paul Biya qui a fait alors d'Atanga Nji un ministre chargé de missions à la Présidence de la République lors du remaniement du 7 septembre 2007.


Titus Edzoa

Secrétaire général de la présidence de la République du 21 juillet 1991 au 19 septembre 1994 S'était entouré de nombreux quadragénaires brillants qui étaient tous habités par la soif du pouvoir. Certains sont devenus ministres mais beaucoup plus directeur généraux et directeurs généraux adjoints. Le président Paul Biya lui avait laissé la latitude de lui proposer les noms de directeurs généraux à nommer. Sa chute avec sa démission de son poste de ministre de la Santé publique le 20 avril 1997, pour se porter Candidat à l'élection présidentielle la même année a fait perdre le sommeil à certains de ses partisans dont la plupart ont perdu leurs postes, mais certaines figures bien connues qui étaient de ses partisans avérés sont restées longtemps aux affaires.


Sadou Hayatou

Le Yérima (prince) de Garoua n'oublie pas ses amis. Quand il était Premier ministre du 26 avril 1991 au 9 avril 1992, Sadou Hayatou avait fait nommer comme directeur de Cabinet Sali Dahirou, originaire du département du Diamaré qui a pour chef-lieu Maroua et un vieil ami Joseph Zambou Zoléko, Dschang de la Menoua, ancien directeur général de la Sopecam comme secrétaire général adjoint. Une fois parti de son poste pour la direction nationale de la Beac, l'homme aujourd'hui âgé de 70 ans avait demandé et obtenu de Paul Biya que son fidèle collaborateur Sali Dahirou devienne membre du gouvernement. ce qui fut fait, Sali Dahirou devint ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative dans le gouvernement du 4 septembre I992. C'est l'un des caciques du Rdpc dont il est membre du bureau politique.


Edouard Akame Mfoumou

Secrétaire général de la présidence de la République du 13 avril 1989 au 26 avril 1991, il fut l'un des hommes les plus puissants, sinon le plus puissant après Paul Biya et avant le Premier ministre dans les années 1990. Il avait une confiance presque aveugle, absolue du chef de l'Etat qui le laissait faire des gouvernements entiers. L'ancien secrétaire général de la présidence de la République, ministre de la Défense, des Finances faisait la pluie et le beau temps selon son humeur de l'heure. Le chef de l'Etat le laissait tout faire, se contentant de jeter un coup d'œil parfois distrait sur les listes de noms pouvant entrer ou sortir du gouvernement. Il s'était constitué une véritable cour de roi africain avec des hommes-lige prêts à tout. Certains de ses anciens complices comme Amadou Ali, vice-Premier ministre délégué à la présidence de la République chargé des Relations avec les Assemblées sont encore là.


René Owona

Cet agroéconomiste formé en France était avant sa mort l'un des hommes-clé de la galaxie Biya. Ministre du Développement industriel et commercial, puis secrétaire général adjoint de la présidence de la République, il jouait plusieurs rôles auprès du chef de l'Etat. Il pouvait, à la dernière minute convaincre le président de la République de retirer de la liste du nouveau gouvernement un nom qui ne lui plaisait pas.

Même s'il était effacé, il pesait très lourd dans les hommes du premier cercle du chef de l'Etat qui avait été très touché par la mort de ce collaborateur très fidèle.


Léopold Ferdinand Oyono

L'ancien ministre et secrétaire général de la présidence de la République du 24 août 1985 au 21 novembre 1986 était vraiment très puissant. Il était le «primus inter pares» (premier parmi les pairs, les égaux) de tous ceux qui gravitaient autour du chef de l'Etat.

Son second village était Mvomeka'a, donc le même que celui du chef de l'Etat qui ne pouvait se passer de lui. C'était son compagnon de songo. On dit que c'est lui et Jean-Marie Atangana Mebara alors secrétaire général de la présidence de la République qui avaient fait ministre Polycarpe Abah Abah, ministre de l'Economie et des Finances.


III.- Les décideurs de l'ombre

Autour des chefs d'Etat il y a des personnes qui, quoique inconnues du grand public jouent un rôle non négligeable. Il y a les amis d'enfance ou rencontrés sur les bancs de l'école, la belle-famille avec en bonne place la belle-mère ou le beau-père, l'épouse même du chef, les magiciens et autres. Certains de ces décideurs de l'ombre imposent souvent leurs candidats pour l'entrée au gouvernement. Les parents, père et mère surtout, et parfois les frères et soeurs s'occupent des affaires de l'Etat comme des affaires de famille.


Paul Biya reste maître du jeu

En dépit de tout ce qui précède, le chef de l'Etat reste bel et bien maitre de la situation. Même quand les Akame Mfoumou, Oyono, Owona, Edzoa et autres pensaient avoir un ascendant sur Paul Biya, il n'en était rien. L'homme est ainsi, il s'amuse à regarder les gens graviter autour de lui, pensant détenir une parcelle de pouvoir.


17/03/2012
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