Sénatoriales, longévité au pouvoir, corruption, APE, etc.: Les 4 vérités de Raul Mateus Paula, Ambassadeur de l’Union européenne

Douala, 15 mars 2013
© Le Messager

En marge d’une visite de courtoisie au siège du Messager, jeudi 14 février dernier, L'Ambassadeur de l’Union Européenne au Cameroun a accordé un entretien à la rédaction de votre journal.


Raul
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En marge d’une visite de courtoisie au siège du Messager, jeudi 14 février dernier, L’Ambassadeur de l’Union Européenne au Cameroun a accordé un entretien à la rédaction de votre journal.

Dans un échange à bâtons rompus, le diplomate s’est exprimé sur des sujets d’actualité concernant les sénatoriales. Il en a profité pour indiquer sa vision du Cameroun émergent et est également revenu sur la crise financière qui secoue l’Europe et a exploré les perspectives de sortie de crise… Lisez plutôt.


L’Union européenne fait aujourd’hui face à une grave crise financière et budgétaire qui menace ses fondations et soulève d’importantes dissensions entre ses membres. Où situez-vous l’origine du problème?

L’Union Européenne (UE) est un acteur extrêmement important dans le monde. En 2008, une crise financière profonde est née, qui ne trouve pas son origine dans l’UE mais, d’une certaine manière, dans le cadre du capitalisme international : c’est la crise des subprimes, au départ une crise financière qui s’est très vite propagée à l’économie réelle. Ladite crise a été comparée à celle des années 30 qui secoua le monde et provoqua une guerre mondiale et, c’est ici que je voudrais avoir une vision positive parce que je pense que beaucoup a été fait, le monde a beaucoup évolué. Au-delà des aspects de la dérégulation des mécanismes de marché qui ont provoqué des ravages, des structures se sont mises en place : le G20 par exemple. Le monde change, il n’est plus unipolaire, bipolaire ou tripolaire, mais c’est un monde multipolaire. Il y a l’émergence d'acteurs extrêmement importants dans le monde avec des pays émergents dont la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud ; l’Afrique elle-même est considérée comme un continent de croissance, un continent d’avenir.

Il n’en demeure pas moins que l’UE a dû réagir rapidement pour sauver ses banques avec des montants extrêmement importants. Cette crise a même touché des pays qui étaient très vertueux au niveau de l’équilibre macro-économique, comme l’Espagne par exemple, qui n’avait pas de déficit et qui était même considérée comme un exemple, mais qui a dû s’endetter pour sauver des banques. Quand cette crise a commencé il y a deux ou trois ans, il n’y avait pas de mécanisme de régulation, de mécanisme économique de stabilité, de l’Union Economique et Monétaire et encore moins une gouvernance. On a créé d’une manière volontaire une monnaie unique, l’euro, sans avoir mis en place de mécanisme de gouvernance pour l’accompagner.

Historiquement, l’Europe a toujours avancé dans des périodes de crise. Et cette fois-ci, on a fait des pas gigantesques. Je m’adresse à un pays qui a connu des ajustements structurels dans la douleur, la dévaluation du FCFA. Il y a des pays européens qui vivent ça maintenant, notamment le Portugal, l’Espagne, l’Italie, les pays du Sud qui sont obligés à faire des réformes dans la douleur, ce n’est pas facile mais nous sommes en train de mettre en place le ciment.


Des bien-pensants du FMI et de la Banque mondiale, appuyés en cela par certains gouverneurs occidentaux, ont allégué, au moment où l’Afrique entrait en crise dans les années 80, que le marasme économique était dû à la corruption et à la mal gouvernance de nos dirigeants. Comment l’Europe qui a tout le temps donné les leçons de gouvernance et de maîtrise budgétaire a-t-elle pu tomber si bas ?

Cette comparaison ne me semble pas tout à fait pertinente. Au niveau de l’Europe, il ne s’agit pas de mauvaise gouvernance, mais d’une dérégulation effective qui malheureusement concerne le monde. Il y a eu des vagues et on a laissé faire. On a laissé se développer des approches libérales qui, poussées à l’extrême, sont porteuses des germes qui peuvent avoir des conséquences négatives. Je crois que cette crise n’a pas été provoquée par l’UE, ce fut une crise exogène. Au départ, je le répète, tout est parti des subprimes. L’Afrique a été moins touchée parce qu’elle est moins intégrée à l’économie internationale. Mais je crois que la grande leçon à tirer c’est la nécessité de réguler. Il faut des mécanismes de régulation au niveau financier, économique et je crois que c’est cette leçon qu’on est en train de tirer. Quand on parle de la gouvernance en Afrique, ce n’est pas exactement les mêmes défis. La gouvernance en Afrique est à un stade où il y a des mécanismes de consolidation de la démocratie qui sont très importants, des mécanismes d’appropriation, de lutte contre la pauvreté dans plusieurs pays. La gouvernance joue un rôle essentiel dans des pays très développés certes mais encore davantage dans les pays de l’Afrique. C’est un processus important et il est fondamental d’y répondre par plus de démocratie, de régulation, mais aussi plus d’appropriation par les populations de leur propre sort et leur propre développement.


L’UE peut-elle survivre aux effets de la crise financière qui s’est muée en crise économique notamment en Grèce, Espagne, Italie et même en France ? Quel avenir pour l’Europe face à la bourraque qu’induit cette crise ?

Je pense que vous utilisez un vocabulaire très fort quand vous parlez de survie, on n’en est pas là. L’UE est un acteur du plus grand marché au monde. Je vous signale que dans le discours sur l'état de l'Union du Président des Etats-Unis (le 13 février 2013), Barack Obama, ce dernier a évoqué la création d'une zone de libre échange entre l’Europe et les Etats-Unis. C’est le plus grand marché au monde avec 800 cent millions d’habitants. L’UE est l’une des régions les plus riches au monde mais on y observe une certaine dichotomie. D’une part, des pays qui ont fait des réformes, des pays qui ont nettement moins de problèmes structurels que les autres. De l’autre, il y a des pays qui doivent encore mener à terme les réformes nécessaires. Au niveau de l'UE, on en train de préparer les prochains grands sauts en avant de l’intégration qui vont vers l’union politique. Progressivement, avec le Traité de Lisbonne, l’UE a acquis de nouvelles responsabilités dans le domaine de la politique extérieure. La Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui est également Vice-présidente de la Commission Européenne, Mme Catherine Ashton, préside les Conseils des Ministres des Affaires Etrangères. Avant c’était chaque Etat membre qui présidait ce Conseil à tour de rôle, pour une période de six mois, donc maintenant il y a une permanence. J’ai été nommé au Cameroun le 16 novembre 2009 comme Ambassadeur de la Commission Européenne, et deux semaines plus tard, au moment de l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, je suis devenu Ambassadeur de l’Union Européenne. Ce fut un changement majeur. En matière de politique extérieure et sécurité commune, je représente les 27 Etats membres de l’UE. On avance beaucoup. Je crois que l’Europe est une source d’inspiration pour l’Afrique, pour l’Amérique Centrale, pour tous les blocs qui se construisent parce que ce processus d’intégration est unique au monde.


On constate à l’observation que si l’union économique a fait du chemin malgré les menaces répétées de l’Angleterre à sortir de l’Union, l’union politique de l’Europe reste à faire. Comment l’expliquez-vous?

En période de crise, il y a une tentation à des replis nationaux. L’Europe a été ravagée par deux guerres mondiales. Nous avons eu des idéologies terrifiantes. Nous avons beaucoup de leçons à tirer, nous devons être très attentifs à ces mouvements nationalistes. Le mérite de l’Europe, et je croix que tout Européen en est conscient, c’est, plus jamais la guerre. Ces idéologies étaient terrifiantes et je croix que plus aucun Européen ne le souhaite. Nous sommes dans un contexte de crise, et vous parliez tout à l’heure du pacte budgétaire qui n’est d’ailleurs par terminé parce qu’il faut encore l’assentiment du Parlement Européen. Mais croyez-moi, le processus est engagé et il est irréversible.


La crise financière actuelle fait dire à d’aucuns que l’Afrique est vouée à devenir demain le continent de la croissance. Est-ce votre avis ?

L’Union Européenne est en train d’engager des réformes majeures pour permettre à l’Europe de construire son avenir dans le cadre de la mondialisation. Je crois que les Européens sont bien conscients que bien que très intégrés, bien qu'étant l'un des pôles les plus développés au monde, l’Europe n’a pas d’autre choix que de construire son intégration pour demeurer un acteur dans le monde. Mais ce n’est facile pour aucun pays, parce que l’UE est constituée d'Etats membres avec des intérêts parfois divergents et chaque perte de souveraineté se fait dans la douleur. Je suis convaincu que la crise est une opportunité. Même si c’est difficile pour certains pays comme l’Espagne et l’Italie, c’est une grande opportunité. L’Espagne est en train de mener des reformes extraordinaires qui commencent à attirer des investissements. Dans l’industrie automobile, l’Espagne gagne beaucoup en compétitivité. Les accords commerciaux sont très importants. L’UE a signé un accord avec la Corée du Sud. Il y a des accords de libre échange qui sont pratiquement bouclés avec les grands blocs comme l’Inde ou le Canada. Le Président des Etats-Unis a parlé de cet accord de libre échange avec son pays. Ceci à un moment où malheureusement les négociations commerciales multilatérales sont arrivées à un point de blocage. Donc, cette question est fondamentale et là je voudrais parler d’Afrique.

Je voudrais dire que c’est extrêmement important que l’Afrique devienne un continent d’avenir, un continent qui croît, mais un continent avec des défis énormes de démographie, de pauvreté. Donc, elle doit prendre le train en marche et doit s’insérer dans l’économie internationale. Je suis clair : l’Afrique est un continent d’avenir. En 2050, elle va compter près de deux milliards de citoyens avec un taux de croissance démographique moyen de 5 ou 6 %. C’est un continent très riche avec le pétrole, le gaz, les minerais et des potentialités énormes en matière d’agriculture ainsi que des hommes et femmes bien formés.

Le Cameroun est un exemple. Je dois dire que je suis impressionné de la qualité des ressources humaines. Je pense que les grands travaux, les politiques et stratégies de développement sont mis en place. Le processus est en route. Pour l’UE, l’Afrique est un partenaire stratégique, les Africains sont nos voisins immédiats et l’Europe a tout à fait intérêt à avoir un marché énorme à ses portes, à l'aider à se stabiliser pour la paix et la sécurité de tous. Il y a beaucoup de problèmes, tous ces mouvements de terrorisme, de guerre qui malheureusement se nourrissent de la pauvreté et la meilleure réponse à cela, c’est le développement et des perspectives pour les jeunes.

Au Cameroun, 10% de la population sont employés dans le secteur formel, et sur ces 10%, une forte majorité provient du secteur public. Fondamentalement, l’Etat est là pour réguler, pour créer un climat des affaires, inciter à l’investissement et lutter contre la corruption. Il est fondamental que le secteur privé intervienne, crée des emplois pour les jeunes. C’est une source d’espoir pour les jeunes et c’est ça qui doit être consolidé. Il faut attirer les investisseurs parce c’est le secteur privé qui doit permettre de créer cette prospérité qui est nécessaire.


Que recherche l’UE en finançant le processus électoral au Cameroun alors que d’autres partenaires bilatéraux du Cameroun font des investissements avec retour direct?

Je voudrais être clair. Lorsqu’on est en marge de la société, parce que qu’il y a 90% de la population dans l’informel, il est bien naturel que les personnes soient mobilisées pour avancer, gagner leur vie, pour éduquer leurs enfants et trouver les perspectives d’avenir. En même temps, le développement est un processus qui prend du temps, qui demande un engagement progressif et une structuration de la société civile qui joue un rôle très important. C’est là que nous pensons qu’il est important de soutenir la société civile et le processus électoral. Nous avons effectivement soutenu le processus électoral et nous sommes très heureux des décisions qui ont été prises de créer un nouveau registre pour les élections. Je crois que c’était important pour créer la confiance des citoyens parce que le dernier registre n’était pas à jour, ce qui a occasionné quelques dysfonctionnements. Mais il est important de créer la confiance pour que les gens aillent s’inscrire. Les médias jouent d’ailleurs un rôle très important pour expliquer aux gens que leur destin est dans leurs mains. Ce n’est pas l’UE ni les organismes internationaux qui vont créer et façonner l’avenir du Cameroun et des autres pays. C’est chaque citoyen qui doit être impliqué. Les élections, la démocratie représentative sont une étape essentielle. Mais il faut absolument créer la confiance. La société civile, les partis politiques, les médias doivent jouer un rôle de sensibilisation. Dans ce sens, nous avons accordé des subventions pour appuyer ce processus et nous en sommes fiers. Je suis convaincu que ce sont des graines qu’on sème et qui vont porter des fruits.


De plus en plus, l’UE finance des projets qui consistent à viabiliser les milieux carcéraux, à appuyer des organisations de la société civile, les droits de l’Homme. De moins en moins, l’UE intervient dans le champ politique pour faire entendre sa voix au sujet des questions de l’heure : le code électoral, l’illégalité de certaines décisions de cet organe, l’application de l’article 66 de la Constitution du Cameroun… L’UE affiche-t-elle ainsi sa désaffection au même titre que nombre de Camerounais qui ont tourné le dos à la politique?

Je vous rassure car cela ne correspond pas à la réalité. Dans le cadre de l'Accord de Cotonou, nous avons un dialogue politique structuré avec le Gouvernement camerounais et qui est d’ailleurs élargi à des institutions comme la société civile. Dans le cadre de ce dialogue, tous les sujets que vous avez mentionnés dont l’article 66 de la Constitution. Depuis le début, nous pensons que la lutte contre la corruption est une priorité stratégique qui nécessite une approche systémique. Elle est très complexe. Nous pensons que la lutte contre la corruption doit être sans pitié et soutenons tous les efforts faits dans ce sens. Nous saluons les organes comme la CONAC par exemple qui a fait un travail qui mérite notre respect et notre admiration. Beaucoup de chose sont faites, mais nous avons dit et nous répétons que l’article 66 de la Constitution sur la déclaration des biens est une réforme qui nous paraît fondamentale. Il n’appartient pas à l’Union Européenne de décider du calendrier de la mise en œuvre de cet article. C’est au Gouvernement camerounais qu’il appartient de prendre les initiatives nécessaires. Ceci vaut également pour la loi anti-corruption. Il y a une loi anti-corruption qui existe mais qui n’a pas encore été traduite en droit positif. Donc, nous rappelons que ces deux axes sont très importants pour une approche systémique de la lutte contre la corruption. En ce qui concerne le code électoral et d’autres éléments, étant un observateur de la société camerounaise, je me réjouis des avancées majeures qui ont eu lieu, notamment la biométrie. Il y a eu des discussions dans la société civile, certaines Eglises par exemple ont pris position sur des réformes importantes. Le code électoral était une des leçons à tirer puisqu’il y avait beaucoup de textes de loi différents. Le fait qu’on a avancé vers un code unifié est un progrès majeur. Maintenant, est-ce satisfaisant ou non, je comprends qu’il y a des parties de la société camerounaise qui n’ont encore trouvé de consensus, qui pensent qu’il faut aller plus loin. Je pense que ce débat va se poursuivre par la force des choses. C’est aux Camerounais de décider et de demander aux élus qui voteront des lois à l’Assemblée et au Sénat. Il y a aussi la question du Sénat qui doit se mettre en place. Donc, c’est tout un processus.


Justement les Sénatoriales vont avoir lieu avant les Législatives-Municipales, contre la volonté exprimée par l’opposition politique et la société civile. Quel est votre avis dans la mesure où le collège électoral apparaît illégitime avec un mandat prorogé deux fois?

Comme vous le savez l'Union Européenne appelle de ses vœux, depuis longtemps, la mise en place du Sénat, comme d'ailleurs, de manière plus générale, la mise en œuvre de toutes les innovations et réformes prévues par la Constitution. Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous réjouir de la mise en place effective du Sénat. Quant à la question du choix du moment exact de l'élection des premiers Sénateurs, je crois que c'est un débat qui concerne les institutions et les forces vives du Cameroun -partis politiques, société civile- et non l'Union Européenne.


Des indicateurs de géostratégie indiquent qu’en raison de l’insuffisance de la mise en place des institutions au Cameroun, l’Europe craint une transition violente dans notre pays. Au cours de vos échanges formels et informels avec les officiels camerounais, abordez-vous ces questions ? Si oui quelles réponses vous donnent-ils?

Nous en parlons avec le Gouvernement, les autorités camerounaises puisque nous parlons de la démocratie, de la gouvernance, des droits de l’homme, ce sont des sujets vraiment très intéressants. Il y a eu l’élection présidentielle récemment, le mandat du Président va jusqu’à 2018, il y a eu des décisions qui ont été prises. Maintenant, c’est aux Camerounais d’être attentifs à ces aspects en consolidant la démocratie parce que le Cameroun est un pays d’équilibre qui a connu la paix, un pays stable dans une région instable. Lorsque vous avez la guerre et les conflits, vous perdez beaucoup en termes de développement. La consolidation de la démocratie doit aller de pair avec la stabilité politique, c’est un facteur majeur. Il y a des transitions politiques dans le monde qui se font dans la paix, dans la stabilité, ou qui sont plus mouvementées. Mais je pense que le peuple camerounais est très mature, c’est un peuple qui connaît le prix de la démocratie. De nouvelles institutions vont être mises en place comme le Sénat ou le Conseil Constitutionnel. Le plus important, c’est que ces institutions fonctionnent. Si elles fonctionnent, le peuple peut trouver des solutions consensuelles qui doivent permettre de façonner son avenir. C’est dans ce cadre que je vois les choses.


Quelle est la position de l’UE en rapport avec la longévité de certains Chefs d’Etat africains (Paul Biya, Robert Mugabe, Obiang Nguéma, etc.) au pouvoir depuis plusieurs décennies qui font feu de tout bois pour s’éterniser à la magistrature suprême?

C’est une question assez délicate. Je ne peux pas vous répondre d’une manière spécifique. Mais d’une manière générale, la démocratie est un processus qui se construit. C’est le résultat d’un rapport de forces, d’un consensus national dans un pays. Il y a des Constitutions qui prévoient des limites pour un Chef d’Etat, d’autres qui n'en prévoient pas, certaines qui en prévoient et qui les enlèvent, c’est le Parlement qui décide. L’alternance est un principe important en démocratie et je crois que les partis politiques doivent jouer un rôle important pour créer les conditions pouvant faciliter cette alternance, pour redynamiser la démocratie. Maintenant, c’est à chaque peuple de juger s’il veut maintenir un chef, s’il estime que dans le consensus national, le Chef de l’Etat répond aux conditions. Donc, c’est au peuple, à la société civile et aux partis politiques de l’apprécier et certainement pas à l’UE. L’UE se place uniquement sur le plan des principes, elle vient en soutien à la démocratie, en renforcement des structures démocratiques, en appui aux principes électoraux de base. Nous ne sommes pas des donneurs de leçons. En Europe, nous connaissons aussi des situations qui peuvent varier d’un pays à l’autre.


Si l’UE avait à choisir, par quel chantier commencerait-il pour endiguer les risques d’une implosion au moment de la transition politique au Cameroun?

C’est une question très importante. Nous sommes dans un monde où sécurité et développement sont liés. L’UE soutient une stratégie au Sahel qui concerne les pays du Sahel donc le Mali, le Niger, la Mauritanie où il y a des mouvements extrémistes, il y a aussi le Nigeria avec Boko Haram; ce sont des mouvements qui se nourrissent de la pauvreté. Le Cameroun est un pays à revenu intermédiaire qui a des potentialités énormes. Mais il y a des risques. Je vois un risque lié à la pauvreté et je crois que c’est un défi pour le Gouvernement. L’UE peut soutenir le Gouvernement et nous sommes déterminés à le faire, notamment dans le cadre de notre nouvelle stratégie de coopération, à aider le Gouvernement à mettre en œuvre des stratégies et à donner des réponses d’espoir aux jeunes en créant des emplois, avec la mise en place d'infrastructures au niveau régional. Il y a déjà d’énormes potentialités au Cameroun, l’agriculture, l’agroalimentaire, les investissements en matière d’eau et d’énergie, mais une attention particulière doit être accordée aux régions les plus pauvres. Je considère par exemple que le Nord et l’Extrême-Nord où il y a eu des inondations très graves et les populations ont beaucoup souffert, sont des zones à risque d’une certaine manière. C’est une zone proche des interventions de Boko Haram qui nécessite une attention particulière.


Et pour ce qui est du chantier prioritaire selon vous?

C’est difficile pour moi de répondre et par où je commencerai. Je ne voudrais pas surestimer le rôle de l’UE par rapport au risque d’implosion que vous évoquez et donc je n’en suis pas sûr. On sait que le Cameroun est un pays complexe avec une partie francophone et une partie anglophone. C’est une Afrique en miniature. En période de transition, on pourrait courir des risques de fragilisation, ce n’est pas exclu. Les Camerounais et les Africains en général ont droit comme tous les autres peuples à la dignité, au développement et à des conditions de vie meilleures. Vous avez parlé de l’eau et de l’énergie, c’est l’un des facteurs énormes du développement. J’ai beaucoup d’espoir avec les grands travaux tels Lom Pangar. Malheureusement, ce sont des travaux qui vont durer mais les jalons sont posés. Dans l’immédiat, la préoccupation des gens c’est qu’ils n’ont ni eau ni électricité, c’est un déficit énorme. Je crois qu’il faut utiliser tous les moyens parmi lesquels les énergies renouvelables, le solaire. Je crois que ces énergies s’imposent en Afrique parce qu’elles sont potentiellement importantes. Les besoins sont énormes. Regardez un pays comme le Nigeria. Il a cent soixante millions d’habitants. L’un des grands problèmes du pays c’est l’énergie, de même en Afrique du Sud. C’est vrai que ce n’est pas propre au Cameroun. Mon sentiment, c’est que compte tenu de la croissance de la démographique, il y a eu un décalage entre les besoins énormes et la programmation des pays et des travaux pour répondre aux nécessités en matière d’eau et d’énergie. On n’a pas suffisamment anticipé et les besoins sont croissants. S’il y a une leçon à tirer, c’est d’anticiper davantage, de tenir compte des données démographiques, des besoins. En général, lorsque vous engagez ce type de travaux vous avez besoin de cinq, six, dix ans pour voir les fruits de ces investissements.


La mise en œuvre de la politique dites des «grandes réalisations» du régime camerounais semble avoir fait la part belle au partenaire chinois et ce, au détriment des membres de l’UE : Barrages de Lom pangar, Me’emvelé et Mekin, port en eau profonde de Kribi, autoroute Douala-Yaoundé etc. Diriez-vous que Yaoundé est ingrat à votre endroit, vous qui l’avez soutenu dans les moments les plus durs?

Je n’analyserais pas les choses de cette façon. Vous avez raison qu’il y a beaucoup de travaux. Mais l'Europe n'en est pas absente, même si parfois elle intervient de manière différente. En ce qui concerne le Barrage de Lom Pangar, par exemple, la Banque Européenne d'Investissement finance ce projet avec d'autres bailleurs de fonds, comme l’Agence Française de Développement et la Banque Mondiale. Ce sont des entreprises chinoises qui réalisent les travaux, juste pour illustrer. On est dans un remaniement, un changement des grands acteurs dans le cadre de la mondialisation. Je pense que le fait qu’il y a des nouveaux acteurs qui arrivent en Afrique est une chance pour l’Afrique parce que nous sommes dans un monde en compétition. Il y a des évolutions auxquelles nous devons être attentifs, mais je pense que l’Europe n’a pas de quoi rougir dans le cadre de son partenariat parce qu’elle a un modèle à défendre et elle le fait. Dans le cadre du modèle, lorsque nous construisons des grands projets, nous sommes un peu plus stricts par rapport aux salaires, aux charges, aux normes environnementales et tout ça coûte cher, il y a une réflexion à faire par rapport à ça. Mais nous tenons beaucoup à employer de la main d’œuvre locale. C’est très important. Dans le cadre des discussions sur Lom Pangar, puisque nous contribuons au financement, nous avons été très attentifs à ce que des Camerounais soient employés parce que nous pensons qu’avec nos financements, nous devons contribuer à créer de l’emploi, à créer de la prospérité et contribuer au respect des normes sociales et environnementales. Nous sommes très attachés à ce modèle et nous voulons le promouvoir. Il n’y a pas que la Chine, il y a aussi le Brésil, la Turquie … qui sont aussi implantés en Afrique et ont un rôle à jouer.


La question des APE divise en ce moment l’UE et les pays africains. Avez-vous l’espoir que les choses avancent rapidement et comprenez-vous la réticence des pays africains à y aller?

S'agissant des relations entre l'Union Européenne et les groupes des Etats d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, en 2000 nous avons signé à Cotonou, au Bénin, un nouvel accord de partenariat. Dans cette convention, nous nous sommes mis d'accord pour moderniser nos relations économiques, en décidant d'entamer des négociations pour aboutir à des Accords de Partenariat Economique. En respectant la vision de Cotonou, les APE encouragent l'intégration régionale, contribuent à améliorer la gouvernance économique, l'environnement de l'entreprise et l'accès aux services, tout en incluant un lien avec les mesures de renforcement des capacités. De cette façon, les APE aident les pays ACP à accroître le commerce et les investissements et à promouvoir le développement durable.

Les négociations ont commencé en 2002 au niveau de tous les pays ACP pour permettre aux deux parties d'établir les principes de base des accords. A partir de 2003, les négociations ont continué au niveau régional, pour lequel les pays ACP ont décidé de se rassembler en sept régions, fondées pour la plupart sur les communautés économiques régionales déjà existantes: cinq en Afrique, et une respectivement pour le Pacifique et les Caraïbes.

Mais on constate que l’Afrique de manière générale traîne les pieds…
A l'échéance du 31 décembre 2007, seule la région Caraïbes avait terminé les négociations pour un accord de partenariat économique régional global. Dans les autres régions, l'UE et les partenaires régionaux se sont accordés à conclure des APE intérimaires, conformes aux règles de l'Organisation Mondiale du Commerce, couvrant le commerce des marchandises et d'autres secteurs pour lesquels les négociations avaient été conclues. Ces accords intérimaires étaient conçus comme une "étape" vers des ACP régionaux complets, les négociations se poursuivant sur les aspects essentiels liés au commerce avec tous les pays ACP.

Les négociations pour des accords complets ont bien sûr continué après 2007. Pendant que dans certaines régions, en particulier l'Afrique Australe et l'Afrique de l'Ouest, les négociations ont eu lieu plus régulièrement, dans d'autres régions comme en Afrique Centrale, l'engagement était souvent discontinu et le rythme des négociations plus lent, en particulier après 2009. Dans plusieurs cas, les processus d'intégration régionale n'étaient pas suffisamment avancés, et en termes de volonté politique et en termes de capacités.


Qu’est-ce qui a été fait pour booster ces capacités?

L'UE, à ce stade, a proposé des actions de redressement: elle a reconfirmé son engagement envers les APE, intensifié le dialogue pour renforcer la confiance mutuelle, introduit une plus grande flexibilité dans les négociations, mis en place des programmes régionaux d’aide au commerce, et maintenu des accords d'accès au marché conformes aux règles de l'OMC et justes envers tous les partenaires commerciaux de l'UE.

Ce nouveau contexte a permis d'intensifier les négociations tout au long de 2011 et 2012 et d’enregistrer des progrès significatifs dans certaines régions. En plus de ces éléments, les récentes propositions de la Commission Européenne de réformer le Règlement 1528 sur l'accès au marché et le Système de Préférences Généralisés ont créé plus de clarté sur ce que l'UE peut offrir à tous les partenaires en développement.

Les pays ACP doivent maintenant choisir d'adhérer à un véritable partenariat commercial avec l'UE comme certains l'ont déjà fait, ou de s'en retirer.

Par exemple, le Cameroun a signé un APE intérimaire mais ne l'a pas encore ratifié. Il doit donc à présent faire le choix du type de partenariat qu’il souhaite établir avec l'Union Européenne pour l’avenir. Pour maintenir son libre accès au marché européen, le Cameroun doit prendre toutes les mesures nécessaires pour la ratification de l'APE intérimaire.

Cet accord a été négocié pour éviter toute perturbation dans les exportations du Cameroun vers l'UE, après le 31 décembre 2007, date qui marquait l'échéance des dispositions commerciales de l'accord de Cotonou et de la dérogation temporaire accordée par l’Organisation Mondiale du Commerce. Cet accord intérimaire a permis également de donner plus de temps aux négociateurs pour conclure un APE régional complet. Les négociations régionales se sont poursuivies depuis cette date dans le but de remplacer l'accord intérimaire par un accord régional complet.

En parallèle à la conclusion des APE intérimaires arrêtés en 2007 avec 36 pays ACP, l'Union Européenne a adopté un acte législatif communautaire, le Règlement n° 1528/2007, qui prévoyait l’octroi anticipé des avantages de ces accords en ce qui concerne l’accès au marché européen. Dans le cas du Cameroun, ce règlement a donc permis que les produits d'exportation camerounais jouissent du libre accès au marché européen à partir du 1er janvier 2008 sans attendre la fin du processus d’officialisation de l’accord côté camerounais. Parmi les produits bénéficiant du libre accès sur le marché européen grâce à cet APE intérimaire, il faut citer des produits d'exportation très importants pour le Cameroun comme les bananes, l'aluminium, les produits à base de cacao transformés et d’autres produits agricoles frais et transformés, pour une valeur d'environ 300 millions € par an soit environ 200 milliards de FCFA, ce qui correspond à 15 % des exportations totales vers l'UE.

L’octroi de telles préférences commerciales grâce au règlement 1528 a donné suffisamment de temps au cours des cinq dernières années pour permettre la ratification de l'accord intérimaire. C’est pourquoi la Commission Européenne a engagé un processus d'amendement du Règlement 1528/2007 qui prévoit de retirer, à partir du 1er janvier 2014, le libre accès au marché européen aux pays qui n’ont pas pris les mesures nécessaires en vue de la ratification des APE paraphés en 2007. La proposition d'amendement du Règlement d'accès au marché vise à réglementer les relations commerciales ACP-UE sur une base juridique solide, fondée sur le respect des règles de l’OMC et du droit de l’UE, mais elle vise aussi à garantir l’équilibre et l’équité entre tous les pays ACP et non ACP en développement.


Que se passera-t-il si le Cameroun décidait finalement de ne pas ratifier les accords intérimaires?

S'il décide de ne pas ratifier l'APE intérimaire, le Cameroun pourra néanmoins bénéficier du Système de Préférences Généralisées (SPG) accordé par l'UE aux pays en voie de développement. Toutefois le SPG demeure moins favorable que le régime commercial préférentiel prévu dans le cadre de l'APE : d'importantes exportations camerounaises comme le beurre et la pâte de cacao, les ananas, les fleurs, les haricots et d'autres légumes en conserve, le bois contreplaqué seraient désormais taxées à l'entrée sur le marché européen. Les bananes et l'aluminium, qui ne font pas partie du SPG, seront taxés selon le régime de la nation la plus favorisée, donc sans bénéficier d'aucune préférence commerciale. Le régime SPG est un régime qui n’est pas négocié, qui est modifié périodiquement par l’UE et qui n’est pas offert aux pays émergents. Le Gabon, par exemple, ne pourra plus bénéficier du SPG à partir du 1er janvier 2014. Les enjeux de la ratification de l'APE intérimaire sont donc très importants.


Excellence on constate que l’Union Européenne soutient l’émergence d’une société civile nationale forte. L’on ne voit pas beaucoup sa contribution à appuyer les médias pour en faire de véritables entreprises au Cameroun. Selon vous, la liberté de la presse est-elle dissociable d’une presse économiquement viable?

Permettez-moi de vous dire de prime à bord, et je le pense sincèrement, que les médias sont une des clés de la démocratie. C’est extrêmement important. Les médias jouent un rôle de contrepoids, de vérification de l’information, ils jouent donc un rôle crucial. Au Cameroun, vous avez de bons médias, de très bons professionnels de la presse, mais malheureusement il y a beaucoup de travail à faire en matière de déontologie, de renforcement de la qualité de la presse, d’accès à la profession, de vérification des sources... Le Cameroun a tenu il n’y a pas longtemps les états généraux de la communication pour réfléchir sur ces questions. Je crois qu’il y a des sujets très graves que la profession doit traiter. L’Union Européenne intervient déjà dans le cadre d’appuis à la société civile et aux médias. Il y a des projets d’appui, mais nous ne donnons jamais d’aide directe, ni au secteur privé ni à la presse, ce n’est pas notre rôle. Nous intervenons toujours via des projets, des appels à propositions. Nous avons par exemple un projet d’appui aux médias avec Radio France Internationale et les médias camerounais qui fonctionnent très bien. Dans le cadre des acteurs non étatiques, les médias jouent un rôle important, que ce soit les radios communautaires, les campagnes d’information… Nous avons aussi financé un projet avec l'ONG Jade, qui a permis de sensibiliser les médias et, à travers eux, le public à la question des droits de l'homme dans les prisons. C’est un projet que j’ai beaucoup apprécié parce que je lisais les articles, c’était d’un grand professionnalisme. Il existe des possibilités d’appui de l'UE, je vous invite à être attentif, à consulter régulièrement les sites internet de l’Union Européenne et les professionnels des médias ne doivent pas hésiter à présenter des projets. Vous pouvez réfléchir sur des consortiums Sud/Sud avec d’autres médias, préparer des projets.


Excellence, permettez qu’on s’introduise un peu dans votre jardin secret. Avez-vous déjà entendu parler de la Saint Valentin ? Si oui, qu’avez-vous fait depuis le début de la journée (l’entretien a été réalisé un 14 février, Ndlr)?

(Rire). C’est un moment où on pense à tous ceux qu’on aime. Il y a la journée de la Saint Valentin, la journée des secrétaires, tellement de journées. Et c’est tout cela qui façonne les liens sociaux. Ma réponse est donc oui. Ce que j’ai fait depuis le matin, je travaille. Pour le moment, je suis totalement concentré dans mon travail. J’ai une journée très longue qui a été largement dédiée aux médias et à la communication, s’agissant du partenariat Union européenne/Cameroun. En tant qu’Ambassadeur vous pouvez difficilement dissocier votre vie privée de votre vie professionnelle, parce que presque tout ce vous faites c’est de la représentation. Donc quoi je que je fasse je suis l’Ambassadeur de l’UE au Cameroun.


Est-ce que vous allez accorder au moins dix minutes pour l’être aimé?

Une minute, certainement. Grâce à la connexion internet, on est connecté avec le monde entier. C’est très important et je prends le temps de le faire.


Depuis que vous êtes au Cameroun est-ce que vous avez eu l’occasion de visiter le pays?

Je peux vous dire que j’ai visité votre beau pays du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. J’étais un peu partout. Vraiment c’est un pays merveilleux d’une grande richesse culturelle. C’est une chance pour moi d’avoir servi pendant ces trois ans et demi que je suis ici, de découvrir aussi bien les peuples du Nord, le côté sahélien, les peuples de forêts, du Centre, du Littoral. J’ai été partout, et la constante c’est l’accueil. Les gens sont chaleureux. Les Camerounais sont vifs, curieux, ils utilisent les nouvelles technologies et ont un niveau d’éducation très élevé. J’ai un regard vraiment heureux d’avoir pu en profiter, et j’espère encore en profiter un peu, avant de quitter votre beau pays.


Justement pendant vos visites quel est le point qui vous a le plus marqué ? Pourquoi?

C’est difficile de répondre à cette question parce que je connaissais déjà l’Afrique avant de venir au Cameroun. Savez-vous que je suis né en Afrique, en Angola. Donc, pour moi le Cameroun est une Afrique en miniature, c’est beaucoup de souvenirs de mon enfance. J’aime l’imagination des gens, et je considère que les Africains donnent aux Européens une bonne leçon. Malgré les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, ils gardent le sourire. Ils ont un sens extraordinaire de la solidarité. Je crois que nous les Européens avons eu ce sens, mais nous l’avons perdu à cause de l’individualisme, de la modernisation. Je vais quand même répondre à cette question. Ça m’a frappé de voir, et sans vouloir enlever le mérite du reste des autres coins du Cameroun, l’Ouest du pays. Les Bamilékés, leurs traditions, vous savez que nous finançons aussi le projet de la route des chefferies. Ce sont des traditions tellement riches et fortes. Nous les aidons en essayant de développer le tourisme, l’ouverture sur le monde.


Certainement que monsieur l’Ambassadeur a déjà consommé certains mets camerounais. Lequel a singulièrement aiguisé votre appétit?

Permettez-moi de dire ici que le Cameroun est un pays où on mange vraiment bien. Les produits sont extraordinaires. En tant que Portugais, ce sont mes aïeux qui sont arrivés ici au 15ème et début du 16ème. Ils ont été impressionnés par les crevettes, et moi-même. Et ils ont appelé le Wouri, Rio dos camarões qui donnera finalement le nom Cameroun au pays. Je vous dis ça pour illustrer la qualité des produits. Revenons sur les mets. Au-delà des mets classiques d’origine européenne qui abondent au Cameroun, il y a le «koki», le «ndolè», le «eru» qui ont vraiment attiré mon attention. Mais l’ensemble de la cuisine est riche, gastronomique et c’est un vrai plaisir.


Depuis quelques temps, nous avons nos frères ou sœurs de l’Occident qui reviennent aux sources. Quelle appréciation faites-vous de ce phénomène?

Je trouve ça extraordinaire parce qu’on a eu une histoire douloureuse avec l’esclavage, l’arrivée des Portugais qui étaient les premiers grands navigateurs. C’est quand même extraordinaire d’aller découvrir d’autres mondes, mais les peuples africains existaient, ils avaient leur histoire. Il y a donc eu un choc des cultures qui est aussi une grande richesse. J’ai visité des chefferies de l’Ouest Cameroun où il y avait déjà une tradition d’esclavage. Cette tradition était déjà enracinée. Après il y a eu des départs massifs en Amérique, des mouvements des peuples, les indépendances en Afrique, la libéralisation des afro-américains, Martin Luther aux Etats-Unis… qui ont beaucoup contribué à cette fraternité. L’homme qu’il soit africain, européen notamment, ce qui est important c’est le côté universel. Je crois qu’on est dans une période fascinante de la compréhension, après tous ces soubresauts, toutes ces leçons d’histoire. Ça ne veut pas dire que les problèmes sont finis, que les défis ne continuent pas ou qu’il n’y a plus de racistes d’un continent à l’autre. Je comprends tout à fait ces Afro-américains, ces Européens d’origine africaine qui veulent revenir aux sources, voir où vivaient leurs ancêtres. Et puis c’est une richesse. Vous voyez comment les musiques africaines animent les fêtes européennes et américaines.


Parlez-nous un peu de la musique, la mode, l’humour, les arts plastiques, la littérature camerounaise...

Le Cameroun est un peuple de musiciens. Manu Dibango par exemple est un monument. Je ne vais pas en citer, parce que c’est un peuple de musiciens. J’aime beaucoup écouter la musique camerounaise, africaine. S’agissant de la mode, je pense que c’est un secteur d’avenir. J’ai eu l’occasion d’assister ici au Cameroun à des défilés de mode. J’ai vraiment été impressionné par la créativité, la richesse, la façon avec laquelle les artistes arrivent à cumuler les racines africaines avec la modernité et tout ce qui vient des autres continents.il y a là un vecteur énorme pour créer des emplois, pour créer des petites et moyennes entreprises. Ceci permettra de recruter des jeunes et de créer des perspectives de débouchés. L’humour, c’est quelque chose de très important, j’y attache la plus grande importance parce que je croix qu’on en a vraiment besoin. Il y a des peuples qui ont oublié de sourire. Il y a même des écoles pour apprendre à rire et à sourire parce que c’est une thérapie. Les Africains n’en n’ont pas besoin, parce qu’ils le font naturellement, ils ont un humour, un esprit extraordinaire. Avec la modernité, le cloisonnement, le chacun pour soi qui caractérise les sociétés occidentales, je pense que l’Afrique a une leçon à nous donner. Quant aux arts plastiques, je pense que c’est un domaine où existe une tradition africaine extraordinaire de longue date. Je suis un grand admirateur de l’art africain.

Lorsque j’ai visité Foumban, j’étais impressionné de voir les racines, ce royaume avec histoire, une culture. J’ai vu des sculptures faites à base de bois, de fer, de bronze. C’est une grande richesse. La Littérature : Il y a de grands écrivains. Le Cameroun est un pays bilingue mais où est l’avenir de la francophonie ? C’est en Afrique. Il y a eu la réunion de la francophonie à Kinshasa. Il y avait des Européens, mais c’est en Afrique qu’on parle beaucoup plus le français. C’est une langue merveilleuse, une langue de littérature.


Vous donnez l’impression que tout est rose au Cameroun…

Non. Je ne voudrais pas donner cette impression. Je parle de la créativité, de tout ce que les gens font avec le peu de moyens qu’ils ont. C’est une richesse naturelle. On n’a pas parlé de cinéma. Il y a un festival des films ici au Cameroun qu’on appelle Ecrans noirs. Il y a le FESPACO au Burkina Faso qui est un festival extraordinaire et très soutenu par l’Union Européenne. Saviez-vous que le film tchadien qui a gagné le prix au festival de Cannes il y a deux ans a été soutenu par l’Union Européenne ? Je crois qu’il faut soutenir plus la culture, pas seulement pour la beauté de la culture mais comme secteur économique porteur d’avenir et d’emplois. L’Afrique est très riche, elle a beaucoup à donner dans tous les domaines que vous avez cités.

Entretien avec la Rédaction



16/03/2013
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