Sénatoriales-Biya veut désigner son successeur: La bataille tacite des régions pour la Présidence de la Chambre Haute du Parlement

Yaoundé, 05 mars 2013
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Possédant les présidences de l'Assemblée Nationale et du Conseil Economique et Social, le Grand Nord semble d'emblée écarté de la course au profit du Nord-Ouest, du Sud-Ouest, de l'Ouest.

La nouvelle est tombée ce mercredi 27 février 2013 en mi-journée : les sénatoriales auront lieu dimanche le 14 avril 2013 sur convocation du corps électoral par le Président de la République Paul Biya. Le Sénat est prévu dans la Constitution promulguée le 18 janvier 1996 par Paul Biya. Fidèle à sa lenteur proverbiale, le Chef de l'Etat va laisser traîner la mise en place de cette chambre haute du Parlement. D'autres institutions sont dans une situation similaire : les Conseils Régionaux, le Conseil Constitutionnel… C'est que Paul Biya bouge quand ça l'arrange. Il ne voyait pas l'intérêt de mettre en place le Sénat bien plus tôt. La coïncidence de la date des sénatoriales et celle de la révision de la Constitution le 14 avril 2013 pour le premier et le 14 avril 2008 pour le second montre que le Chef de l'Etat avait un calendrier longtemps prévu à l'avance. Ce qu'avait déjà dévoilé Dr Alain Didier Olinga, dans une réflexion menée sur la révision constitutionnelle du 14 avril 2006, que nous vous faisons partager : «L’article 25 de la loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 relative à l'élection des sénateurs, lequel est libellé exactement comme l'alinéa ci-dessus reproduit. Cette disposition dont on ne peut plus discuter la constitutionnalité, puisqu'elle est désormais de nature…constitutionnelle, ne manque pas cependant de poser un problème de cohérence de la démarche. Le Sénat est en effet la chambre des Régions, l'article 40 de la Constitution énonçant que «chaque Région est représenté au Sénat par dix sénateurs». Il n'y a aucune cohérence de prétendre mettre en place l'organe de représentation d'une réalité qui, elle, n'est pas advenue à l'existence. Cela est une incongruité évidente dont il est étonnant qu'on veuille absolument la consacrer et la réaliser. Il faut par ailleurs dire que l'alinéa 6 ne peut s'inscrire dans le sillage de l'article 67 tel qu'il a été conçu au moment de l'élaboration de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996. L'alinéa 6 déroge purement et simplement pour une durée qui n’est pas précisée à une disposition de la Constitution, à savoir l’article 20, lequel prévoit explicitement que les sénateurs élus le sont «sur la base régionale». Le projet à révision ne contient aucune explication pour cette idée de mettre en place l'organe de représentation avant les structures représentées. Toutefois, une lecture d'ensemble du projet de révision peut laisser penser que cette volonté de faire ceci avant cela est liée au souci d'organiser ce qui semble être la préoccupation principale de toute la démarche actuelle de révision, la transition au sommet de l'Etat, par le canal de l'intérim, dont le Président du Sénat est l'attributaire principal. Il semble donc important pour les promoteurs du projet politique d'avoir cette structure, au besoin avant même les régions».

Subitement Paul Biya se réveille au second semestre 2012. On le constate par les nombreux appels d'offre pour l'achèvement de travaux de construction de l'immeuble siège du Conseil Economique et Social. Cette hâte peu habituelle chez Paul Biya surprend plus d'un observateur du microscome politique camerounais. Les analystes se demandent pourquoi le Chef de I’Etat s’intéresse-t-il brusquement au Conseil Economique et Social, une institution moribonde dont plus de la moitié des membres sont morts, grabataires ou atteint de sénilité et où trône l'ancien Premier Ministre, Luc Ayang, depuis 30 ans, originaire de l'Extrême-Nord. C’est que les gens n'ont rien compris : Paul Biya veut loger le Sénat dans un immeuble qui, à l'origine était destiné au Conseil Economique et Social. Entretemps Paul Biya a instruit son Premier Ministre, Philémon Yang, de trouver les 14 milliards FCFA nécessaires pour l'achèvement de cet immeuble situé non loin de la Présidence de la République. Il faut inclure divers équipements pour mettre à l'aise les futurs sénateurs. Le Ministre de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du Territoire, Emmanuel Nganou Djoumessi, est interpellé par Paul Biya lors du sommet de la Communauté Economique et Monétaire de l'Afrique Centrale (CEMAC) qui se tient les 25 et 26 juillet 2012 à Brazzaville. Le Chef de l'Etat veut savoir ce qu'il en est du déblocage des fonds destinés aux travaux de l'immeuble. Aujourd'hui on peut dire que l'immeuble est fin prêt pour accueillir les sénateurs.


II- Pourquoi maintenant?

Il y a plusieurs raisons qui expliquent la décision prise aujourd’hui par Paul Biya pour organiser les sénatoriales. Mais avant d'en arriver là, il convient de savoir quels sont ceux qui composent le collège électoral des sénatoriales: selon l'article 11 alinéa 1 de la loi n° 2006/005 du 14 juillet 2006 fixant les conditions d'élection des sénateurs : «Les sénateurs sont élus dans chaque Région par un collège électoral composé des conseillers régionaux et des conseillers municipaux». La loi n° 2008/001 du 14 avril 2008 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n° 96/06 du 18 janvier 1996 portant révision de la Constitution du 02 juin 1972, l'article 67 (nouveau) dispose : «Au cas où la mise en place du Sénat intervient avant celle des Régions, le collège électoral pour l'élection des sénateurs est composé exclusivement des conseillers municipaux. Les nouvelles institutions de la République prévues par la présente constitution seront progressivement mises en place». Voilà le progressivement «mis en place» de Paul Biya qui arrive 17 ans après la promulgation de la Constitution du 18 janvier 1996. Le décor planté, qu'est-ce qui presse donc Paul Biya à décider de l'organisation des sénatoriales maintenant?

La domination écrasante du RDPC dans les Conseils municipaux. En l'absence des conseils régionaux, le RDPC de Paul Biya est majoritaire dans les conseils municipaux du pays. En effet, excepté le SDF de Ni John Fru Ndi qui contrôle 18 des 34 communes de la Région du Nord, la Commune de Douala IV dans le Wouri, Région du Littoral, l'UDC d'Adamou Ndam Njoya qui contrôle toutes les communes du département du Noun, Région de l'Ouest et l'UNDP de Bello Bouba Maïgari, Ministre d'Etat en charge du Tourisme et des Loisirs qui a quelques communes dans le Grand Nord, le RDPC a la majorité des 10 636 conseillers municipaux des 360 communes que compte le pays. Dans le contexte actuel, il est sûr, évident acquis que le RDPC va rafler la mise pour les 70 sénateurs (7 par région) élus au suffrage indirect par les conseillers municipaux, auxquels il faudra ajouter les 30 désignés par Paul Biya en personne.

Comme nous l'avons signalé plus haut, seul le Sdf peut perturber la domination du RDPC dans la Région du Nord-Ouest où le premier parti de l'opposition contrôle 18 des 34 communes. Même s'il gagne les 7 sièges de sénateurs mis en compétition dans cette région, le SDF sera très minoritaire au Sénat sans oublier que Paul Biya désigne trois sénateurs par Région. De même, si l'UDC domine le Noun, il est très minoritaire dans la Région de l'Ouest qui est entre les mains du RDPC. Tout comme l'UNDP dont les conseillers municipaux sont presque inexistants dans le Grand Nord, le plus grand gisement de voix du RDPC toutes élections confondues.

Même si dans les 30 sénateurs qu'il désigne, Paul Biya va en choisir quelques-uns de l'opposition, se susurre dans le sérail.

Incontestablement, le RDPC aura une majorité écrasante au Sénat comme à l'actuelle Assemblée Nationale. Si le SDF remporte les 7 sièges mis en compétition dans le Nord-Ouest et que Paul Biya accorde un siège de sénateur à l'opposition par région, cette opposition se retrouvera avec un maximum de 17 sénateurs dans une Chambre qui en compte 100. Donc 83 sénateurs pour le RDPC. Dans cette arithmétique, il n'est point besoin de signaler le MDR de l'ancien Dakolé Daissala qui compte quelques conseillers municipaux dans certains départements de la Région de l'Extrême-Nord. Paul Biya va donc s'arranger pour donner un peu de crédibilité à son Sénat en lui faisant franchir le seuil de 20 ou 25 sénateurs non membres du RDPC. Car il sait que la communauté internationale en général et les occidentaux en particulier n'accorderont aucun crédit à cette Chambre Haute si la domination du RDPC y est flagrante comme à l'Assemblée Nationale actuelle où aucune loi ne peut passer sans l'avis du RDPC.


Ill- Mettre le Grand Nord hors course

Voilà la vraie raison qui amène Paul Biya à faire organiser les sénatoriales avant les législatives et les municipales. Dans l'actuelle constitution, c'est le Président du Sénat qui est la deuxième personnalité de la République. C'est lui qui assure l'intérim comme il est indiqué dans l'article 6 (4) nouveau de la loi n° 2008/001 du 14 avril 2008: «En cas de vacance de la Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d'empêchement définitif constaté par le Conseil Constitutionnel... l'intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu'à l'élection du nouveau Président de la République, par le Président du Sénat. Et si ce dernier est et son tour empêché, par son suppléant suivant l'ordre de préséance du Sénat... ». Si on organise les municipales avant les sénatoriales, le RDPC étant sûr de gagner ces municipales grâce au grand réservoir électoral qu'est le Grand Nord, ce dernier pourrait exiger le poste de la Présidence du Sénat, donc la deuxième personnalité de l'Etat.

En organisant les sénatoriales maintenant, Paul Biya court-circuite le Grand Nord puisque c'est un de ses originaires Cavaye Yéguié Djibril qui est l'actuel Président de l'Assemblée Nationale. Cavaye Yéguié Djibril étant donc au perchoir de l'Assemblée Nationale, la Présidence du Sénat ira automatiquement à une autre région, Cavayé Yéguié ne peut pas en effet cumuler les postes de Président de l'Assemblée Nationale et du Sénat. Il y a même qu'on oublie qu'un autre originaire du Grand Nord, de la Région de l'Extrême Nord comme le Président de l'Assemblée Nationale est Président du Conseil Economique et Social : c'est Luc Ayang, quatrième personnalité de l'Etat dans l'ordre protocolaire. En toute logique, on ne peut donc avoir, Président de la République : Paul Biya, Présidence du Sénat : Grand Nord ; Présidence de l'Assemblée Nationale : Grand Nord ; Présidence du Conseil Economique et Social : Grand Nord. Equation impossible compte tenu de la composition sociologique du pays et dont il faut tenir compte pour le partage du gâteau national.

Voici ce que pensait il y a quelques mois un haut responsable du Grand Nord de Paul Biya quand il a acquis la conviction que le Chef de l'Etat allait organiser la tenue des sénatoriales avant les législatives et les municipales: «Le chef de l'Etat veut nous mettre devant le fait accompli de sorte que les circonstances nous imposent d'accepter notre rétrogradation dans la sphère politique nationale. A partir du moment où les sénatoriales ont lieu avant les législatives, sa manœuvre est d'une habileté déconcertante car elle ne nous laisse aucune possibilité de sortir du piège qu'il nous tend. Nous allons assister à une recomposition politique au profit de l'Ouest ou de la zone anglophone». Bien vu, nous partageons entièrement l'analyse de cette haute personnalité du Grand Nord. La seule question à poser n'est pas de savoir qui va gagner les sénatoriales, c'est évidemment le RDPC, mais qui sera le Président de la Chambre haute? Mais avant d'en arriver là, il y a un autre paramètre dont il faut tenir compte.


IV-Le contre-pied

Il y a une autre formule que Paul Biya peut faire sortir de son chapeau magique : la création d'un poste de Vice-président de la République. S'il le fait dans le cadre d’une modification de la Constitution, c'est le Vice-président qui serait comme une sorte de dauphin constitutionnel même si on n'est plus en parti unique comme du temps d'Ahmadou Ahidjo. Si Paul Biya adopte la formule d'une présidence avec vice-présidence comme au Nigeria et au Ghana, cela est possible selon nos sources, cela voudrait dire qu'il n'ira pas au bout de son mandat et que c'est son Vice-président qui va achever son septennat. Les jeux sont donc ouverts et tout est possible avec Paul Biya qui va veiller à un bon équilibre régional dans le partage des grandes institutions. Et n'oublions pas que beaucoup de choses sont à venir tel que le Conseil Constitutionnel. Afin d'éviter des mécontentements, il veillera à ce que chaque région ait sa part dans le partage du gâteau national. La circulaire du Président National du RDPC pour définir les modalités et désigner la composition des commissions d'investiture dans son parti montre à suffisance qu'il tient fermement son gouvernail. Mieux que les dés sont pipés même au sien de son parti. On tonnait déjà les non partants et on peut aisément se faire une idée des potentiels choix déjà fait mais encore tenus dans le secret. Pour orchestrer un semblant de démocratie interne.


06/03/2013
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