Roger Milla: "Il faut un entraîneur à poigne au Cameroun"

05 AOUT 2010
© Nicholas Mc Anally (Afrik-foot) | Correspondance

Entretien avec Roger Milla, le légendaire buteur du Cameroun

Roger Milla est une légende du football africain. A 58 ans, l’ancien Lion rugit encore, comme le démontre cet entretien accordé en exclusivité à Afrik-foot.com. Le plus vieux buteur de la Coupe du monde est légitimement déçu de la performance des Lions Indomptables en Afrique du Sud. Et il le fait savoir. Entretien sans langue de bois.


Afrik-foot: Roger, un mois après, que retenez-vous de cette Coupe du monde ?

Roger Milla : Ce que je retiens ? Mais c’est la catastrophe ! On n’avait pas d’entraîneur, pas d’équipe… Voilà l’image qui reste. Pourtant, tout le monde était averti. Nous étions nombreux à avoir tiré la sonnette d’alarme avant le Mondial. C’est dommage pour nous : nous avions des grands joueurs pour faire quelque chose.


Est-ce que Paul Le Guen est fautif ?

Mais tout le monde a eu tort ! C’est un échec sur toute la ligne. Maintenant il faut s’asseoir et rectifier le tir. Il s’agit de corriger les erreurs pour ne pas les rééditer par la suite.


Quel genre d’erreurs ?

Il aurait fallu que l’entraîneur change des choses mais rien n’a été fait. On n’a pas écouté. Avant la Coupe du monde, j’ai dit des choses. Tout le monde a dit que Roger Milla mettait le désordre. Alors, je me suis écarté. Je suis désolé d’avoir eu raison, j’aurais préféré avoir tort et que le Cameroun réussisse. Mais ce que j’ai dit tout haut, tout le peuple camerounais le pensait tout bas. Nous avons de bons joueurs mais on n’a rien fait. Maintenant, ce n’est pas à Roger Milla qu’il faut demander pardon mais au peuple. Il a mal, il souffre…


Le jeu aussi a été fortement critiqué.

Mais c’est normal ! Quand on n’aligne jamais la même équipe, c’est impossible de créer du jeu. Pendant deux ou trois matches, il fallait avoir la même équipe pour préparer la compétition mais il n’y a eu que des changements ! Comment voulez-vous ?


Est-ce que cet échec, ce n’est pas aussi la faillite des leaders ?

Ecoutez, au Cameroun, il n’y a pas de leaders, pas de stars. Le Cameroun, c’est un groupe. C’est la cohésion qui fait notre force. Nous sommes une équipe qui joue pour une nation. Je le répète il n’y a pas de stars.


Et Rigobert Song ou Samuel Eto’o ? Ce n’était pas à eux de donner l’exemple ?

Rigobert Song, je suis fier de ce qu’il a fait. Je l’ai vu débuter en 1994 à la Coupe du monde américaine. Maintenant, il termine sa carrière. Il peut être fier de ce qu’il a fait. On a voulu le salir mais il est resté : il a montré ce qu’il savait faire. C’est bien qu’il quitte l’équipe nationale comme ça. Il part les mains propres et la tête haute.


Et Samuel Eto’o ?

Je n’ai aucun problème avec Samuel. J’ai un problème avec le football qu’il joue en équipe nationale. Je le lui ai dit avant : « Un jour, tu seras le patron de cette équipe, ce sera toi le rassembleur. » Je ne critique pas Samuel Eto’o, je ne suis pas son entraîneur. Je suis juste déçu de ses performances en équipe nationale. Vous savez, pour nous les anciens, c’est dur de voir les Lions comme ça. Nous avons bâti, avec mes coéquipiers, cette équipe. Nous ne voulons pas qu’elle disparaisse. Je ne veux pas faire de polémique : nous avons de grands joueurs, il nous faut des grands résultats.


Comment les obtenir, ces grands résultats ?

Avec de la discipline. (il insiste) De la discipline. Il faut un entraîneur à poigne. Pour moi, c’est ça qui a fait défaut en Afrique du Sud. Il faut que l’entraîneur parle et que les joueurs écoutent. Le patron, c’est le sélectionneur. Il assume ses responsabilités. Il lui faut qu’il ait une vraie personnalité forte et convoque les joueurs qui méritent d’être appelés.



Cela veut-il dire que certains n’avaient pas leur place dans les 23 Lions Indomptables ?

Je ne veux nommer personne mais oui, certains n’avaient pas leur place. Et il y en a qui ont été oubliés. Modeste M’Bami, par exemple, a réalisé une grande saison avec Almeria. Pourquoi il n’est pas là ? Pareil pour Paul Alo’o Efoulou, le Nancéien. Il aurait pu apporter quelque chose. Un entraîneur doit faire ses choix avec un objectif : gagner. Le Cameroun a besoin de victoires. C’est tout ce qu’il nous reste.


Le futur sélectionneur va bientôt être connu. Préférez-vous un entraîneur camerounais ou étranger ?

Ah si on pouvait choisir un Camerounais… Mais il faut lui donner les moyens. Les moyens de travailler mais aussi de ne pas dépareiller au milieu de tous ses joueurs. On a de bons entraîneurs au Cameroun. Prenez Jean-Paul Akono, c’est le seul entraîneur noir champion olympique (en 2000, NDLR). Ou François Omam-Biyik.


Justement, votre ancien coéquipier est pressenti pour le poste. Quel regard portez-vous sur lui ?

François, je ne l’ai jamais vu entraîner. Donc je ne sais pas ce qu’il vaut sur le banc. Mais il a l’expérience et les connaissances pour faire quelque chose. Pourquoi ne pas lui confier les Espoirs ou les A’ pour voir ? Pourquoi aller chercher ailleurs quand on a ce qu’il faut sous la main ? Pareil pour Patrick M’Boma. Il y a plein d’entraîneurs de qualités. Mais il faut leur donner leur chance…


Et vous ?

Moi ? Sélectionneur ? Non. Jamais. Je ne veux pas devenir entraîneur. Déjà, j’ai un emploi, je suis bien où je suis (ambassadeur itinérant pour le Cameroun, NDLR). A la limite, manager. Pourquoi pas. Mais je ne suis pas tenté. Si on me demande mon avis, je le donne. Je veux bien conseiller. Mais entraîner ? Non. Jamais. Je suis trop impulsif, un peu comme Maradona. Je vais m’engueuler avec tout le monde (rires)...


Nicholas Mc Anally (Afrik-foot.com)



08/08/2010
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