Robert Waffo Wanto : « Les détournements sont

Robert Waffo Wanto : « Les détournements sont

Cette association de Camerounais vivant en France entend déposer un recours. Les plaignants, représentés par Robert Waffo Wanto, le président du Ccd, qui s’estiment victimes, au même titre que leurs compatriotes, de la  pauvreté au Cameroun, voient plutôt à travers cette initiative, une manière de contribuer au développement socioéconomique de leur pays.

La plainte que votre association a déposée début février contre le président Paul Biya, pour « recel de détournement de fonds publics »,  vient d’être rejetée par le Parquet de Paris. En raison de l’immunité dont jouit le chef de l’Etat…
C’est un motif parfaitement contestable, car l’immunité qu’évoquent les magistrats peut être levée dans certains cas et donc, permettre ainsi qu’un chef d’Etat puisse comparaître devant les juridictions. Qu’à cela ne tienne, nous attendons la notification formelle de ce rejet, pour passer à l’étape suivante. Plusieurs étapes sont envisageables. D’abord, nous allons immédiatement faire appel de cette décision, auprès de la doyenne des Juges. Et même si nous étions à nouveau déboutés en appel, nous avons encore la possibilité de nous pourvoir en cassation. Et si le pourvoi en cassation se soldait par un échec, ce qui m’étonnerait, nous aurions cette dernière possibilité de nous tourner vers la Cour Européenne de Justice. Simplement, du fait que la Cour européenne de Justice est une instance supranationale, l’affaire prendrait alors encore plus d’importance que si elle avait été traitée en France. Nous sommes conscients que cette bataille judiciaire sera longue et nous nous y sommes préparés. Et de toutes les façons, nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout de notre démarche.

Justement, quel est votre objectif dans le fond?
L’objectif du Conseil des Camerounais de la diaspora, c’est qu’il puisse se tenir un procès dans lequel on verrait enfin un peu plus clair sur la provenance des biens  et de tout le patrimoine dont dispose Paul Biya ici en France. Et partant de là, qu’il soit mis fin à la corruption et aux détournements qui entraînent ensuite la pauvreté et tous les autres fléaux dont sont victimes nos compatriotes. Si à travers un procès, l’on pouvait arriver à démontrer qu’il y a effectivement, en France, des biens acquis au travers de détournements de deniers publics camerounais, ce serait un signal fort pour tous ceux qui aspirent à diriger nos pays africains. La France et le Cameroun sont co-signataires de la Convention de l’Onu contre la corruption adoptée à Mérida en 2003. Aujourd’hui, le monde entier est devenu un territoire à ciel ouvert. Personne ne peut plus dissimuler des biens mal acquis où il veut en pensant qu’ils ne seront jamais retrouvés. Les instruments juridiques internationaux sont très clairs là-dessus. Voilà pourquoi nous sommes confiants et déterminés, même si certains pensent qu’il s’agit simplement d’une petite aventure sans lendemain.

Peut-être que l’ambiguïté vient aussi du fait que vous n’énoncez rien de concret dans votre plainte. En la lisant de près, on se rend compte que vous n’évoquez que des allusions, des on-dit et des suspicions, des choses qui se racontent depuis des années...
Mais à quoi cela sert-il au stade où nous en sommes encore d’étaler, dans les médias ou sur la place publique, les éléments dont nous disposons ? Nous avons constitué un dossier en bonne et due forme avec le concours de divers experts et d’Ong internationales comme Transparency International, le CCFD-Terre Solidaire et Survie. Dans notre plainte, nous avons seulement mis en lumière quelques morceaux choisis. Mais c’est au Procureur que nous réservons le plus gros des arguments. Vous souffrirez que l’on puisse les taire pour le moment. Je sais bien que tout le monde voudrait que nous pointions du doigt tel ou tel bien qui aurait été acquis grâce aux détournements de fonds publics…

Mais, oui. Au moins. Personne ne vous reprocherait de parler dans le vide. Parce que, de manière générale, les soupçons que vous portez sont les mêmes que ceux qui circulent depuis des années selon lesquels le président Biya aurait immeubles et châteaux en France. Qu’apportez-vous donc de plus ?
Eh bien, l’heure est peut-être enfin venue de tirer au clair toutes ces histoires. Les éléments dont nous disposons s’appuient sur des rapports très précis et des enquêtes détaillées, réalisés par des structures compétentes en matière de lutte contre la corruption. Nous les ressortirons lors du procès, car ça m’étonnerait que nous soyons déboutés en appel. Dans tous les cas, je ne pense pas qu’une personne puisse continuer à faire, à l’instant même où on le lui reproche, continuer à faire ce dont on l’accuse. Notre objectif, c’est de dire halte aux détournements, halte à la corruption, halte à la prévarication. Parce que ce sont les détournements qui nourrissent la pauvreté au Cameroun. Un procès permettrait déjà de donner un coup d’arrêt à tout ça. C’est pour cela que je pense que notre initiative, malgré le rejet qui vient d’en être fait et auquel nous allons porter un recours, va contribuer, au moins pour le moment, à ralentir ces détournements.

Ca veut dire que votre démarche est avant tout une manœuvre d’intimidation alors ? Un simple coup d’éclat ?
Ca n’a rien à voir. Pour nous, il ne s’agit pas d’un jeu. Nous sommes convaincus que lorsque Paul Biya ou un autre haut fonctionnaire camerounais aura été condamné, chacun saura à quoi s’en tenir. Notre démarche a pour objectif de donner une impulsion plus forte à l’arrêt de la prévarication et au respect des règles de bonne gouvernance. C’est une démarche républicaine, pacifique et constructive. Nous portons plainte contre monsieur Biya non pas pour nous attaquer à sa personne, mais pour l’interpeller afin qu’il montre le bon exemple. Car il y a bien d’autres responsables politiques qui ont dissimulé les biens de l’Etat camerounais en France. Ce sont donc autant de responsables de la prévarication au Cameroun. Je dirais même que l’action que nous avons intentée a pour but d’aider le président camerounais dans la lutte contre la corruption au Cameroun.

Ah ! En un mot, vous soutenez l’opération Epervier alors…
Je ne condamne pas ce qui est en train d’être fait dans ce sens. Mais on doit repenser l’opération Epervier. Elle n’est pas menée dans toutes les règles juridiques. Elle est sélective et arbitraire. Les personnes arrêtées dans le cadre de cette opération dénoncent souvent un certain nombre de complices qui, eux, ne sont jamais inquiétés de rien. Ce n’est pas normal.

C’est un peu facile de critiquer quand on vit à l’Etranger, non ? On pourrait se poser la question de la légitimité de l’action que vous menez aujourd’hui.
Le Conseil des Camerounais de la diaspora entend assumer sa part de responsabilités. Nous n’avons pas besoin d’un mandat des Camerounais du Cameroun ou de la communauté camerounaise de France ou d’ailleurs pour mener une action citoyenne et salvatrice. Chacun, à son niveau, devrait pouvoir contribuer à faire avancer les choses dans son pays. Nous avons d’autant plus de légitimité à demander à engager l’action que nous venons d’engager contre Paul Biya, que nous subissons de manière directe, bien que vivant en France, la pauvreté qui est entre autres causée par les détournements de fonds au Cameroun. Imaginez un immigré camerounais lambda, avec un salaire moyen, qui a mis de côté un petit budget pour envoyer son enfant en vacances d’hiver avec sa classe. Au même moment, il reçoit un coup de fil du Cameroun pour aider à résoudre un problème financier urgent, histoire de pouvoir faire soigner un parent mourant. Je peux vous garantir que cette personne privilégiera la deuxième option. Ceci, à cause de la défaillance du système de santé, à cause de la pauvreté. Et du même coup, ce sont autant de frustrations qui naissent pour l’enfant et autant de risques que l’intégration de cette personne dans son pays de résidence ne se fasse pas dans de bonnes conditions. Ou qu’elle ne se fasse pas du tout d’ailleurs. Avec toutes les conséquences que cela comporte.

Si on suit votre raisonnement, la pauvreté au Cameroun n’a vraiment pas d’autres causes que les détournements que Paul Biya et son régime auraient commis?
J’en suis persuadé. Car si la question ne se pose pas en ces termes, comment peut-on expliquer que l’on soit parti d’un pays pauvrement riche dans les années 80 à un pays richement pauvre à l’heure actuelle ? Bien sûr que l’on pourrait énumérer un certain nombre de facteurs macro-économiques et conjoncturels. Mais c’est facile de tout mettre sur le dos de la crise mondiale. C’est un faux-fuyant. Il s’agit d’abord de mauvaise gouvernance. Car avec tous les atouts qu’avait le Cameroun, il n’est scientifiquement pas explicable que ce pays se soit retrouvé dans la situation dans laquelle il est actuellement.

Jusqu’à présent, aucun chef d’Etat étranger en fonction n’a été appelé à comparaître devant les juridictions françaises pour détournements. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous aurez finalement gain de cause ?

Nous nous appuyons principalement sur la Convention de Merida que le Cameroun et la France ont signée en 2003 au Mexique et ratifiée en 2005. Que dit cette Convention adoptée sous l’égide des Nations Unies ? Elle pose de manière contraignante le principe de la restitution des avoirs acquis illicitement. Cela veut dire que dès lors que la France et le Cameroun sont co-signataires de cette convention et qu’il est établi qu’il existe dans l’un ou l’autre pays des biens acquis grâce à des détournements de fonds, l’Etat en question a l’obligation de les faire restituer dans le pays spolié. C’est une question de logique, de bon sens et de justice. C’est pourquoi nous faisons confiance à l’efficacité de la justice française pour respecter ces dispositions. Et à la Justice. A cela, il faut ajouter la solidité de nos arguments. Et puis, il y a aussi les conseils que nous recevons des Ong telles que Transparency International, Survie ou le Ccfd.

Mais ces Ong que vous citez avaient déjà tenté une opération de ce type ces deux dernières années. Et de la même façon, la plainte avait été classée sans suite…

Des plaintes ont effectivement été déposées en France contre quelques chefs d’Etats africains comme Sassou Nguesso, Obiang Nguéma et feu Omar Bongo. Des plaintes classées sans suite, car le Parquet avait estimé que les plaignants, notamment Transparency, n’avaient pas subi de préjudice direct liés à d’éventuels détournements. C’est discutable, mais ça peut se comprendre. Dans tous les cas, aujourd’hui, ce même motif ne peut pas nous être adressé à nous. Nous sommes une association de Camerounais, nous sommes Camerounais et de ce fait, pleinement victimes des conséquences désastreuses qu’entraînent ces détournements. Si Transparency n’a pas réussi, au moins les associations de ressortissants de pays africains résidant à l’étranger arriveront à traîner les dirigeants de leurs pays d’origine devant les tribunaux.

Ca veut dire que ces Ong ont simplement changé de fusil d’épaule et qu’en réalité votre action est téléguidée par elles ? Quels sont vos rapports avec ces Ong ?
Il faut  faire attention à ne pas utiliser le nom de ces organisations de n’importe quelle façon…

Mais c’est vous qui en parlez…
Transparency et les autres ne nous appuient pas en tant que tel. Nous ne sommes pas leur porte-voix. Simplement, elles pensent que notre démarche est juste et qu’elle peut porter des fruits. Et d’ailleurs, afin de lever l’équivoque définitivement, je dirais que c’est nous qui sommes allés vers ces structures et non l’inverse. Nous sommes allés les voir uniquement dans un cadre de consultation. Parce que, qu’on le veuille ou non, ce sont des organisations qui jouissent d’une grande expertise en la matière. La moindre des choses, pour ne pas paraître ridicule dans notre démarche, c’était d’aller les voir pour qu’elles nous expliquent notamment de quelle façon par exemple, nous pouvions exploiter la Convention de Mérida. C’est la seule chose qui nous lie à ces Ong. Ce serait donc grotesque de dire qu’elles sont pour nous une sorte de caution.

Que répondez-vous à ceux qui vous qualifient d’imposteurs et d’antipatriotes ?
Je ne réponds rien. Je dis que c’est ridicule. C’est aussi ridicule que les fameuses contre plaintes qui ont été déposées à l’endroit du Ccd. Que c’est aussi pitoyable que l’invitation adressée par des membres du gouvernement aux populations pour organiser des marches de soutien au président Biya suite à notre plainte. Nous nous attendions bien à cette levée de boucliers. C’est tout à fait normal. Mais c’est une agitation qui ne sert à rien. Pensez-vous vraiment que Paul Biya ait besoin d’une marche de soutien lorsqu’il est indexé pour avoir dissimulé des biens mal acquis en France? Pour l’instant, je n’ai pas vu les Camerounais répondre à ces appels à manifester. De la même façon, les associations qui ont vraisemblablement été instrumentalisées pour porter plainte contre nous au Tribunal du Mfoundi nous rendent un bien fier service. Car non seulement elles ne font qu’accélérer le processus pour la tenue du procès suite à notre action, mais elles risquent elles-mêmes de se voir condamner pour association de malfaiteurs.

Peut-être que ces attaques sont aussi virulentes parce que jusqu’ici, personne n’avait entendu parler de vous au Cameroun. Et pas plus que ça en France, non plus, d’ailleurs.
Mais nous ne sommes pas dans une logique de star-system ou d’opposition systématique au régime de Biya. Le Conseil des Camerounais de la diaspora est une association créée en 2005, dans le but d’établir une chaîne de solidarité entre les Camerounais vivant en France et en Europe. Nous nous sommes rendu compte que cela était insuffisant et peut-être même inefficace, si nous ne nous engagions pas dans le processus de développement du Cameroun et à l’avènement d’un Etat de droit. Bien sûr, il nous est apparu qu’il était urgent de continuer à soutenir nos familles au Cameroun, comme nous l’avons toujours fait. Mais nous avons surtout pensé que si nous ne mettions pas les pieds dans le plat, rien n’avancerait. Voilà d’où part cette plainte qui, je le répète, est d’abord une initiative républicaine.



19/04/2010
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