Réponse à Thierry Amougou,Ethnicité au Cameroun : des débats paradigmatiques à la déconstruction discursive

Réponse à Thierry Amougou,Ethnicité au Cameroun : des débats paradigmatiques à la déconstruction discursive

Serge Banyongen:Camer.beInternet a donné une nouvelle vitalité à la question ethnique au Cameroun, en démocratisant le port de la parole sur la sphère publique, cet instrument symbole medium par excellence de la communication contemporaine a remis au gout du jourla problématique de l'ethnicité au Cameroun. Mais la pluralité d'opinions garantie le web n'est pas pour autant synonyme de dialogue. Les différentes fractions qui s'affrontent restent campées sur les positions à se demander s'il est possible d'apprendre quoique ce soit sur ce que l'on connaît déjà.

Ce sujet d'une sensibilité à fleur de peau constitue en quelque sorte le retour du refoulé. L'idéal serait pour certains de le repousser dans les abimes de nos subconscients au lieu de s'illustrer dans les divisions qui tournent vite aux querelles de personnes. En s'éloignant de cette lecture, cette contribution vise plutôt à créer le débat au sein même du groupe qui rejette l'instrumentalisation ethnique mais qui diffère encore sur l'analyse que l'on peut faire de l'utilisation politique de l'ethnie au Cameroun. C'est aussi une réponse directe au professeur Thierry Amougou donc l'article sur les différents paradigmes contemporains en action sur cette question au Cameroun a jeté un nouvel éclairage sur l'idée que l'on se faisait de la manipulation de la question ethnique dans notre pays. Il nous semble néanmoins que ce texte aurait dû aller plus loin. D'autres personnes qui se sont exprimé sur cette question vont certainement se reconnaître dans mon propos.

En effet, la réification de l'ethnie est une erreur d'analyse que le professeur Amougou partage avec ceux à qui il s'oppose sur cette question. Il nous semble important pour parler de l'ethnicité de procéder en une double détente : d'abord une déconstruction qui fasse appel à l'histoire et aux structures et ensuite à une recomposition de manière à situer les institutions et les idées qui sous-tendent l'instrumentalisation ethnique.

I- L'historicité de l'instrumentalisation ethnique au Cameroun

I.1-) À l'époque du Cameroun Allemand

La plupart des références à la question ethnique au Cameroun échouent à extraire dans les racines du vivre ensemble, les fondements d'une dérive qui est devenue la pathologie majeure de la vie politique camerounaise. L'ethnicité comme référent dans le double mouvement d'identification du soi/distinction de l'autre est un fait colonial. Non pas seulement pour donner sens à la matrice bien connue de diviser pour mieux régner, mais d'abord pour distinguer. Pour mieux comprendre cet aspect historique, il fait faire appel aux géographes qui expliquent que la mécanique classique dans la gestion des espaces et des humains qui s'y trouve consiste essentiellement à tracer des lignes de démarcation. Cela se fait surtout en forçant le trait pour déterminer exactement les différentes composantes. La définition de celles-ci est souvent arbitraire mais généralement, elle épouse les contours géographiques. L'essentiel ici est de faire la différence entre les groupes. Le colon au Cameroun et ailleurs a d'abord regrouper et ensuite diviser.
 
La situation devient plus complexe quand les revendications d'autonomie commence à se faire jour. Ceux qui ont pris la tête du leadership autochtone de l'époque (allemande) comme Martin Paul Samba, Douala Manga Bell, ont d'abord mobilisé sur une base ethnique. Et en cela, il avait raison. Rappelons que nous sommes à l'époque où le pays se construit et n'existe que dans la tête des allemands alors que ces leaders ont plusieurs années d'expérience de la vie communautaire avec eux. Ils connaissent donc très bien leur ethnie et pas assez le Cameroun qui ne fait que prendre corps. Les réclamations qu'ils font ne peuvent être que pour les leurs.

I.2-) Le Cameroun sous tutelle et postindépendance

Ici la dynamique est différente. Le Cameroun existe déjà en tant que pays non souverain certes mais entité doublement constitué. C'est à cette époque que prennent formes des principaux ferments qui vont plomber la vie politique au Cameroun. En effet, la logique impériale qui régit la colonisation surtout française consiste à réguler la mobilisation sociale à travers l'ethnicité. Sans l'excuser cette approche n'est pas propre à la France et est commune aux empires de la Rome antique à la Turquie en passant par l'Union Soviétique. C'est ici que se situe les germes de la politisation ethnique. L'ethnie sert ainsi de filtre qui permet aux gens qui ne sont pas encore citoyens de changer de classe sociale.

La dynamique aurait dû être différente une fois qu'il y a eu un retour à l'autonomie (même de façade appelée indépendances). En effet, on ne gère pas un empire comme un gère un État. Il y a deux approches principales avec plusieurs variantes pour la gestion d'un État, soit celui-ci est transformé en État-nation avec un seul pays, un seul peuple, une seule nation. La nation vue ici dans le sens le plus classique comme étant une communauté historique. Soit on a une lecture culturelle de la notion de nation et dans ce cas, il peut avoir plusieurs nations dans un même État. La première contradiction monumentale au Cameroun qu'il faut déconstruire lorsque l'on parle de l'ethnicité, c'est rappeler à tout le monde que  les dirigeants politiques camerounais ont fait une chose et son contraire. Ils ont pendant plus d'un demi-siècle maintenu à tour de bras souvent par la force brutale, l'idée d'un État, une nation. Les mêmes ont pour assurer « l'unité de l'État » donc la plénitude de la réalisation ne s'accomplit qu'en la personne du leader éclairé, grand timonier national, définie une répartition des ressources administratives sur la base ethnique en reconnaissant de facto les unités culturelles comme éléments référentiel dans la construction politique.  Prenons maintenant le temps de voir comment s'est opéré l'instrumentalisation ethnique par les dirigeants politique en examinant les institutions que la soutiennent.

II- Le poids des institutions informelles

Le propre d'un pays au fonctionnement néopatrimonial comme le Cameroun est que les règles informelles viennent subsumer celles dites formelles et constituent ainsi l'instrument majeur de gestion de la vie en cité. Ainsi en est-il du fameux équilibre régional qui n'est écrit nul par dans els document constitutionnels camerounais mais qui est intériorisé et appris depuis des générations comme étant le moyen qui aura permis au Cameroun d'échapper à la guerre de tous contre tous. C'est aussi cette loi non écrite qui rendrait légitime les revendications ethniques diverses.
 
II.1-) L'équilibre régional, une horreur méthodologique

L'équilibre régional tel que certains disent la pratiquer au Cameroun tire son essence d'une conception politique nommée consociationnisme popularisé en grande partie par l'intellectuel néerlandais Arend Lijphart. Le consociationisme théorise la répartition du pouvoir politique entre les grands groupes identifiés sur un territoire pendant une période donnée. Cette approche a été consacrée comme étant la panacée idéale pour la résolution des conflits au sein des pays composés de groupes avec plusieurs identités. On l'a vu un peu en Suisse, en Belgique comme l'évoque le professeur Amougou mais surtout au Liban, en Irak et même dans une moindre mesure en Afghanistan. Le problème avec le Cameroun est d'ordre méthodologique ou le fait que chacun des groupes identifiés dispose d'un droit de veto dans le modèle de Lijphart, celui-ci est surtout adapté aux systèmes politiques parlementaires. Dans ce dernier, les différents groupes politiques choisissent d'abord en leur sein qui peut et doit les représenter. Une telle implémentation n'est donc pas possible au Cameroun. Elle signifierait que les ethnies se regrouperaient pour voter ceux qui vont les représenter au gouvernement. Rappelons en passant que même lorsque le peuple camerounais vote pour les législatives, il vote sur une base territoriale et non ethnique. En effet, s'il y a une vérité que l'on ne saurait nier c'est que les camerounais de toutes les ethnies se sont retrouvés surtout dans les centre urbains. Dans ce contexte, la représentation ne saurait donc se faire sur une base ethnique. De plus, en analysant les positions occupées par les uns et les autres dans les différents gouvernements de la république, on se rend aisément compte en grattant un peu que ceux qui y sont désignés comme représentant telle ou telle ethnie sont en fait liés au parrain suprême de la maffia qui nous gouverne par de nombreux autres liens. La plupart parmi eux sont des anciens camarades d'école, de lycée ou d'université, plusieurs sont issus du même mouvement ésotérique quand des complicités plus complexes et des rapines le relient à d'autres. En mettant exclusivement l'accent sur l'ethnie des « heureux élus », on en vient à oublier ces aspects qui sont plus déterminants que l'origine ethnique.

II.2-) La sociogenèse de l'autochtonie

L'autre aspect important c'est la notion d'autochtone et d'allogènes présente dans la constitution. Si ces notions ont réussi à quitter les sissongos de l'informel pour prendre place dans la loi fondamentale du pays, comment ne pas cependant s'étonner qu'elles soient parmi les éléments mis en avant dans une constitution qui n'a presque jamais été impliquée? Là encore au lieu de se lancer dans les débats manichéens, il est impératif d'étudier la sociogenèse de ces notions. Contrairement à ce qui se dit au Cameroun, la notion de protection des minorités n'est pas d'abord liée à un territoire. Il s'agit toujours et avant tout de la protection des modes de vie donc d'une culture. Le concept est né avec le NOMIC (nouvel ordre mondial de l'information et de la communication) à l'UNESCO pour s'opposer à ce que les américains entre autres fassent considérer la culture comme une marchandise comme une autre. Protéger les minorités revient donc à protéger leur culture. Dans ce cas chez nous, il n'y a que les Mbororos et les pygmées qui devraient faire l'objet d'une telle mesure. Lorsque l'on attache ce principe à un territoire c'est toujours en fonction d'une culture comme c'est le cas des indiens d'Amériques ou des Aborigènes d'Australie on parle dans leur cas de la terre des ancêtres. Mais même dans leur situation tout a été codifié au centimètre près. On peut même dans certains cas vous dire le taux de sang indien ou aborigène qu'il faut avoir pour avoir accès aux privilèges liés à la protection de la minorité. Cela n'a jamais été un vide pour désigner les minorités. Prenons une minute pour parler du rapport du Camerounais à son territoire. Depuis la colonisation et le fameux concept d'évolution, le camerounais est toujours parti de son territoire pour « évoluer ». On part de son village pour la ville. Ceux qui sont nés en ville partent de leur quartier pour un endroit plus huppé. Aujourd'hui on veut réterritorialisé les camerounais au nom des ambitions politiques inavoués. Si on fait un sondage dans les deux villes les plus populeuses du pays (Douala et Yaoundé) auprès de ceux qui y sont nés ou qui les considèrent comme étant leur village, et que l'on lie ce facteur à leurs revenus, on se rendra compte que les plus nantis ne sont pas restés là où ils sont nés même dans la même ville. Maintenant il y a un autre problème qu'il faut comprendre dans le rapport à la présence sur un territoire, on devrait faire attention à avoir des comportements qui peuvent passer pour du mercenariat au mercenariat à c'est à dire une attitude qui consiste à déshabiller Pierre (son lieu d'habitation) pour habiller Paul (son village natal). Le pire au Cameroun est que devant le piège que constituait pour tous les camerounais y compris la classe dirigeante, la notion d'autochtone et d'allogènes, le législateur n'a pas pris la peine de définir ces deux notions. Le plus important quand on en discute c'est de rappeler ces contradictions aux uns et aux autres.

III- L'essentialisme stratégique

Cette expression qui est du penseur indien Gayatri Spivak signifie qu'il y a des groupes qui peuvent faire une fixation provisoire en vue d'essentialiser leur identité tout en sachant qu'il s'agit d'une réalité factice.  Cette approche peut illustre la dérive contemporaine de l'instrumentalisation identitaire au Cameroun. En effet, les différents entrepreneurs ethniques (Shanda, Tiehenehom, Mouangué, Ateba Yene, Mama Fouda, Manguellé et bien d'autres se fondent sur la pureté comme convention d'exclusion de l'altérité pour camper leurs revendications politiques. Ce faisant, ils prennent en otage la population qui n'a jamais sollicité leur aide. Leur postulat de base qui s'appuie sur une certaine homogénéité ethnique est faux d'avance. Les ethnies au Cameroun sont plurielles et diversifiés. Les groupes se constitue et se déconstruits en fonction des contingences diverse mais surtout des intérêts de leurs. De plus, les Camerounais se définissent non uniquement sur la base de leur ethnicité (identité verticale)  mais aussi et surtout sur la base d'autres éléments culturels (identités horizontale). Vouloir en faire uniquement le produit de leur ethnie trahi un déterminisme qui fige l'évolution du camerounais dans l'histoire et l'espace. C'est surtout pensé qu'en tout moment l'élément référentiel qui va le déterminer sur le plan politique ethnique. Cela signifie aussi que le camerounais va s'associer à n'importe quel leader et donner son appui à tous ceux avec qui il partage une identité primaire même si celui-ci a des politiques qui vont ruiner son existence (celle-ci étant liée à la profession ou tout autre source de revenus). Ainsi si vous êtes enseignant, vous allez voter les yeux fermés pour le gars de votre aire géographique même si la mesure phare de son programme prévoit la réduction des salaires des enseignants. En fait depuis des décennies, personne ne peut s'intéresser vraiment au programme des politiciens parce que les questions ethniques prennent toute la place.

IV- De la problématisation d'une ethnie

Cela dit, il y a-t-il un problème de tel ou tel autre ethnie au Cameroun? Et nier l'existence de ce problème ne revient-il pas à se voiler les yeux? En fait, ceux qui se posent cette question n'ont pas tout à fait tort. Effet, l'approche jacobine du gouvernement camerounais consiste très souvent à nier à tout faire pour nier l'existence d'un conflit, d'une différence en multipliant les occasions pour banaliser la divergence d'opinion. Souvenons-nous que dans les régimes comme ceux qui gèrent le Cameroun, il est impératif que la majorité se rallie derrière le guide. C'est pourquoi, il faut étoffer la moindre divergence d'idée en vue de crédibiliser les fameux scores soviétiques de 80% et plus. Cela dit est-ce pour autant que l'on peut parler de problème de telle ou telle ethnie? Assurément pas. Pour mieux s'expliquer, il faut se replonger dans la mécanique de la production de la rhétorique politique. Rien que le fait de lier le nom d'une ethnie et l'expression problème participe d'un discours qui contribue à répandre les idées de peur partout et à les rendre omniprésentes. Le discours victimaire est ainsi une tentative subjective de construction de la réalité. Si on s'intéresse un peu tant soit-il à ceux qui  véhiculent les idées à travers le discours ethnocentrique, on se rend compte que ce discours est destiné à soutenir les intérêts. Les idées et les intérêts sont dans une relation qui est à la fois causale et cyclique et qui mène au discours. La victimisation doit ainsi être interprétée à travers le prisme des divers intérêts. Rappelons que les intérêts des auteurs du discours victimiste est loin d'être celuii de la population dont ces rhéteurs n'ont jamais reçu le mandat de défendre.

En conclusion il s'est agi dans ce long texte de déconstruire le discours sur l'ethnicité au Cameroun en puissant dans l'histoire, les éléments référentiels qui permettent de lire un présent encombré par des revendications identitaires instruites par une stratégie de victimisation. Au vu de tout ce qui précède, il nous semble important qu'aux identités ethniques primordialistes qui ont pris corps dans l'espace publique succèdent une citoyenneté camerounais qui s'appuie sur une culture rhizome, c'est-à-dire celle qui admet une identité multiple qui ne soit pas figée dans le passé mais qui se tisse dans la dynamique de l'évolution du présent.

© Correspondance : Serge Banyongen


03/04/2012
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