Renseignements: Les réseaux d’informateurs du président

YAOUNDE - 23 MAI 2012
© Dominique MBASSI | Repères

La rude concurrence que se livrent les services officiels et officieux n'assure pas toujours la bonne information de la plus haute autorité camerounaise.

L'information du chef d'Etat camerounais est une rude concurrence entre les services officiels de renseignements et les canaux officieux, ces derniers faisant sérieusement ombrage aux premiers ou leur ravissant tout simplement la vedette.

Pour la gouverne du président de la République, s'activent les administrations compétentes en la matière. En première ligne figurent les services de sécurité: le ministère de la Défense (Armée et gendarmerie) et la délégation générale à la Sûreté nationale (DGSN) dotée de la direction des renseignements généraux (DRG) et de la direction de la surveillance du territoire (DST).

A côté de ces services de sécurité, œuvrent des administrations rattachées à l'instar de la direction générale de la Recherche extérieure (DGRE), le ministère des Relations extérieures (Minrex) et le ministère de l'Administration territoriale et de la décentralisation (Minatd). C'est dans cette optique que le gouverneur, représentant du chef de l'Etat dans chaque Région, tient chaque semaine une réunion de sécurité. Les procès-verbaux dressés à l'issue de cette rencontre sont acheminés au Minatd, qui centralise les données et élabore une synthèse destinée au chef de l'Etat, ce qui lui permet chaque jour d'avoir une vue globale de l'état sécuritaire du Cameroun.

C'est ainsi aussi qu'en 2010, une note d'informations partie du Minrex identifiait une taupe tapie dans l'entourage immédiat du président de la République, qui informait les Français sur les faits et gestes de M. Paul Biya. Ce conseiller, relève une autre note, serait à l'origine des révélations de la presse hexagonale sur les - dépenses de la délégation présidentielle pendant ses vacances à La Baule.

Avec un tel arsenal, le président de la République devrait être informé en temps réel sur tout sujet sensible. Ce qui est loin d'être toujours le cas. Pour des desseins inavoués; des responsables font de la rétention ou tronquent délibérément l'information destinée au chef de l'Etat. «Du temps où il était DGSN, Emmanuel Edou montrait un curieux laxisme et un attentisme à remonter les notes de renseignements préparés par la DRG à la présidence. L'ayant constaté, le DRG s'est résolu à les transmettre directement par un autre canal, à l'insu de sa hiérarchie. A la fin, Emmanuel Edou a été limogé en même temps que le Président nommait les secrétaires généraux de ministères. Ce qui constitue l'humiliation suprême pour un DGSN, d'autant plus qu'au même moment le DRG recevait une promotion comme DGRE», souffle un fin connaisseur de la maison.


Manipulation de l’information

Dans cet univers hermétique par essence, l'on se rappelle encore la démarche de ce commissaire de police de la DRG qui avait subtilisé une fiche spéciale dressée exclusivement à l'intention du chef de l'Etat et s'est retrouvé dans le bureau de M. Louis Paul Motaze, alors directeur général de la CNPS. Ce dernier alertera le DGSN qui fera cueillir sur place l'auteur de la fuite d'un document confidentiel. Des exemples de cette nature sont légion, où des documents destinés au chef de l'Etat ont d'abord transité par des mains inappropriées et ne lui sont pas finalement parvenus ou alors ont été préalablement dénaturés.

Plus récemment encore, certains éléments de la DGRE et la DGSN ont préparé des notes inexactes relatives à M. Benoît Ndong Soumhet, qui aurait boudé sa nomination au poste de secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education de base. Selon ces notes, l'ex-directeur général de l'Enam avait quitté sa résidence de Ngousso à Yaoundé juste après la publication du gouvernement du 9 décembre 2011 pour aller ruminer sa déception de n'avoir pas hérité d'un vrai poste ministériel à Konabeng, son village natal. D'autres notes du même type feront état plus tard de son absentéisme au ministère au profit de l'Enam. Des faits très loin de la réalité.

La vérité, c'est qu'au moment où le gouvernement est formé, M. Ndong Soumhet préside une dot dans sa famille maternelle du côté d'Ayos. Pour la circonstance, il bénéficie de l'assistance du maire de cette ville qui sera porté quelques instants après au ministère des Travaux publics. Lorsqu'elle apprend la promotion de son fils, la famille qui se considère comme un porte-bonheur, ne voudra pas que la fête se déporte ailleurs, surtout qu'entre-temps des autorités administratives ont accouru pour le féliciter.

Cette manipulation de l'information présidentielle n'épargne pas les domaines sensibles. En témoignent ces multiples notes inondant le Président sur des prétendues atteintes à la sécurité de l'Etat ou à la sûreté qui se sont très souvent révélées des pétards mouillés montés de toutes pièces. C'est que, l'accomplissement du devoir d'information de la plus haute autorité offre l'occasion à différents services et responsables d'entrer en concurrence et de régler des comptes, chacun tirant la couverture de son côté. Dans un passé pas très lointain, un élément de la DRG ne pouvait pas se retrouver à la DGRE même pour une raison professionnelle sans susciter l'ire de son patron.


Travail en mésintelligence

La mauvaise canalisation des compétences contribue alors à diluer l'efficacité. Conséquence: en dehors de souvent mal l'informer, les services officiels de renseignements pèchent aussi par attentisme ou en n'informant pas simplement le chef de l'Etat. En 2002, M. Ferdinand Koungou Edima, alors Minatd, rassure jusqu'au dernier moment M. Paul Biya que rien ne s'oppose à la tenue du double scrutin à la date prévue. Les services appropriés de l'Etat n'apportent aucun démenti. Il faudra que le SG/PR se rende à la résidence présidentielle la veille pour convaincre le président de la République que les élections ne peuvent pas se tenir, en raison de multiples défaillances techniques. C'est ainsi que le chef de l'Etat reporte le scrutin d'une semaine, évitant in extremis un échec aux implications imprévisibles. Si le Minatd et le Dg de la Sopecam perdent leurs postes, seules des raisons stratégiques permettent aux responsables des administrations en charge des renseignements d'échapper au limogeage.

Tenus par l'obligation d'informer le chef de l'Etat sur l'activité de leurs départements ministériels, certains ministres se muent en véritables agents de renseignements. Et se font le devoir, «sans compétence attribuée en la matière et sans sollicitation, d'abreuver le chef de l'Etat de notes sur tout, et de préférence sur leurs collègues du gouvernement. Dans la plupart des cas, les notes portent sur des accusations», croit savoir une source.

Pour une autre, «les multiples notes alarmistes émanant du ministère de la Justice sous Amadou Ali peuvent être considérées comme l'un des déclencheurs de l'opération Epervier et par ricochet des insuffisances des différents actes d'accusation». Surtout que cet obsédé du renseignement, avant d'aller faire valoir sa disgrâce au ministère des Relations avec les Assemblées, avait ses entrées dans le bureau présidentiel.

«L'accès au Président n'est pas facile ou est rarement direct. Sachant que le secrétaire général de la présidence de la République, qui coordonne les activités du Conseil national de sécurité (CNS), de la DGSN et de la DGRE, discrimine, traite ou sélectionne l'information à servir au chef de l'Etat, des responsables de certains services lui font parvenir des notes par des canaux informels», renseigne une source qui désigne l'actuel directeur du cabinet civil ou l'ex-aide de camp du chef de l'Etat comme les plaques tournantes de cette information officieuse. Sauf que, poursuit notre interlocuteur, ces intermédiaires s'approprient souvent ces informations, qui leur permettent de hausser leur cote personnelle auprès de M. Biya.


Les acteurs non institutionnels ont la cote

Tout comme les acteurs institutionnels, des opérateurs de tous les profils et issus de tous les milieux ont la claire conscience que qui détient l'information, surtout stratégique, détient le pouvoir. Ils vont donc s'improviser et finalement s'imposer comme informateurs du chef de l'Etat, au point de soumettre les services officiels à une rude concurrence. Et de les battre quelquefois sur leur propre terrain.

Après avoir longtemps travaillé à l'ombre et pour la gloire de certains services de l'Etat, M. Paul Atanga Nji saisira une occasion pour se révéler à M. Biya. Alors qu'il se trouve dans la délégation présidentielle au cours d'un séjour à l'étranger, survient une prise d'otages aux larges de Bakassi, dont des ressortissants français. Le président de la section Rdpc de la Mezam dans le Nord-Ouest pressent des pressions de la France et donc l'urgence à tenir le chef de l'Etat informé. Bénéficiant des circonstances favorables, M. Atanga Nji n'aura pas besoin d'un intermédiaire pour servir l'information au Président, grillant au passage les services spécialisés qui ne réagiront que longtemps plus tard. Un membre introduit du sérail croit ferme que c'est en récompense que M. Biya le nommera secrétaire permanent du Conseil national de sécurité. De quoi susciter des carrières.

Et l'activité débordante du député Bonaventure Mvondo Assam prouve justement que l'information du président de la République intéresse même sa sphère familiale. Dans une note datée du 24 juillet 2008, le vice-président de la Commission de défense et de sécurité de l'Assemblée nationale et non moins neveu de M. Paul Biya écrit : « (...) dans différentes notes antérieures, nous avons souligné l'ambition d'un grand destin national qui anime monsieur Marafa Hamidou Yaya. Nous avons également établi la connexion entre le ministre d'Etat et El Hadj Danpoulo qui représente et défend ses intérêts à la fois politiques, financiers et économiques. Il est évident que l'action de monsieur Dan poulo et la grande liberté de manœuvres dont il bénéficie s'inscrivent dans un schéma d'assistance de monsieur Marafa Hamidou Yaya dans sa stratégie de conquête de pouvoir».

Un informateur attitré qui donnerait des complexes aux agents professionnels.



26/05/2012
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