Reglement de compte politique et violation des droits de l’Homme

  FOCUS SUR L'ACTUALITÉ
Reglement de compte politique et violation des droits de l’Homme
(Le Messager 09/04/2010)


L’ancien secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun, Titus Edzoa, et l’un de ses ex-collaborateurs – ci-devant chargé de mission à la Présidence – le Français d’origine camerounaise Michel Thierry Atangana Abega, sont emprisonnés à Yaoundé depuis treize ans. Aujourd’hui encore, des charges se multiplient contre eux et ils risquent d’être privés de liberté dans un internement impitoyable pendant très longtemps.

Au-delà de ce que l’on peut leur reprocher dans le fond, les affaires qui les opposent à l’Etat du Cameroun dégagent un puissant parfum de règlement de comptes politiques d’une part et illustrent d’autre part la négation des droits de l’Homme dans un pays qui se proclame démocratique. Avant de faire le point sur le contexte et les conditions de leur détention, il semble nécessaire de décliner l’identité de ces deux personnages ainsi que les différentes accusations dont ils sont l’objet.

I – Identité des mis en cause et différentes accusations

Michel Thierry Atangana. A quarante-cinq ans aujourd’hui, cet économiste – financier, croyant catholique, est arrêté le 12 mai 1997 alors qu’il sortait de la messe du matin à Mvolyé – certaines sources affirment qu’il venait de Simbock (chez Titus Edzoa à Yaoundé). Au moment de son arrestation, il est chargé de mission à la présidence de la République et président [au nom du groupe privé français Jean Lefèbvre] du Comité de pilotage et de suivi des projets de construction
des axes routiers Yaoundé – Kribi et Ayos – Bertoua placé sous tutelle du secrétariat général de la Présidence de la République.

Titus Edzoa. A soixante-cinq ans, ce médecin chirurgien agrégé, ancien médecin personnel du président Paul Biya, ancien secrétaire général de la Présidence et ancien ministre de la Santé publique ayant démissionné le 20 avril 1997 pour déclarer sa candidature à l’élection présidentielle d’octobre 97 contre Paul Biya, est arrêté début juillet 97. Jusque-là libre, il est incarcéré au même moment qu’Atangana. Ce dernier, présenté quelques jours plus tôt par les médias comme étant son directeur de campagne, est accusé d’être le cerveau de la dissidence Edzoa. L’affaire COPISUR, OUA et SONARA. C’est la première pour laquelle un mandat de dépôt est décerné contre Michel Thierry Atangana et Titus Edzoa le 3 juillet 1997. Elle concerne la gestion du Comité de pilotage et de suivi des projets de construction des axes routiers (COPISUR) Yaoundé – Kribi et Ayos – Bertoua. La justice y a adjoint la gestion des fonds de l’organisation du 32e sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et la signature du contrat d’extension de la Société nationale de raffinage (SONARA). Dans ce volumineux dossier où,
outre les deux, Isaac Njiemoun (ancien ministre) et Mapouna (ancien « secrétaire » d’Edzoa) sont inculpés, il leur est reproché le détournement de deniers publics, la tentative de détournement, la corruption et le trafic d’influence.
Les accusés nient tout en bloc et, surtout, Atangana demande les pièces comptables saisies au moment où on l’arrêtait. Tout est porté disparu; l’expert commis par la suite ne peut donc travailler que sur les pièces de la banque. En fin 2007, l’expert Njock remet son rapport. Des charges de détournement de 47 milliards de Fcfa au départ, on est passé à 9 milliards, puis 7 milliards, puis 1 milliard… Le 23 octobre 2008, le juge d’instruction rend une ordonnance dans laquelle seul Titus Edzoa doit être poursuivi. Le 3 février 2009, la Chambre de contrôle de l’instruction de la Cour d’appel du Centre invalide les principales conclusions du juge d’instruction. Les audiences ont repris. L’affaire des fonds du stock régulateur… En août 1997, on vient signifier à Titus Edzoa et Michel Thierry Atanagana, alors qu’ils sontdétenus à la gendarmerie nationale, un dossier de détournement de fonds de 350 millions de Fcfa issus du stock régulateur géré par l’ex-ministère du Développement industriel et commercial (MINDIC) et l’Office national de commercialisation des produits de base (ONCPB). Le montant total du stock régulateur cette année-là est d’environ 3 milliards et demi de Fcfa. Il s’agit du surplus des fluctuations des prix du cacao et du café. Sur cet argent, le Premier ministre, Simon Achidi Ashu, demande au MINDIC de régler certaines charges de l’État. Le secrétaire général de la Présidence qui reçoit compte rendu instruit le MINDIC de réserver une partie de l’enveloppe pour les paysans de la filière cacao-café et d’assurer le règlement d’une charge financière de l’État à hauteur d’un milliard de Fcfa. L’argent est viré dans le compte de l’ambassade du Cameroun à Paris. Titus Edzoa demande au percepteur, M. Ketchanke – il a été entendu au procès – de transférer le milliard de Fcfa dans un compte au Crédit industriel et commercial ouvert en France au nom de COPISUR. Le ministre de l’Économie et des finances, Justin Ndioro, lui demande de ne pas effectuer l’opération. Face à la pression du SGPR, le percepteur vire d’abord 350 millions de Fcfa. Puis, un fax de la Présidence arrive à Paris et indique : « Suivre les instructions du MINEFI ». L’affaire est jugée au tribunal de grande instance du Mfoundi. La chambre criminelle condamne Edzoa et Atanagana le 3 octobre 1997 à quinze ans d’emprisonnement ferme pour détournement et tentative de détournement de fonds publics. Ils interjètent appel et la cour d’appel du Centre annule le premier jugement pour des questions de forme, réexamine l’affaire dans sa totalité et les condamnent à nouveau le 27 avril 1999 à 15 ans fermes pour détournement et tentative de détournement. Ils forment un pourvoi en cassation (environ 40 moyens) rejeté parce qu’ils ont développé mais n’ont pas articulé les moyens de droit au soutien de leur pourvoi. Les peines (emprisonnent, amendes, remboursement de la somme détournée) sont maintenues.
L’affaire de l’abus de délégation de pouvoir. C’est celle que la justice a attaquée immédiatement après celle des fonds du stock régulateur. Elle concerne spécifiquement Titus Edzoa. On lui reproche un abus de la délégation de pouvoir (signature) à lui donnée par le chef de l’État. Dès que Edzoa a été approché pour être entendu, il a demandé aux enquêteurs de lui montrer l’original de la note de délégation délivrée par le chef de l’État Paul Biya. Faute pour eux d’apporter l’original, l’affaire s’est arrêtée là. Mais on ne sait pas si elle est déjà classée ou pas.
Les multiples affaires abandonnées. Quand Michel Thierry Atangana est arrêté le 12 mai et conduit à la police judiciaire à Yaoundé, il n’y a pas d’affaire spécifique l’impliquant. On l’identifie et demande une vérification de ses diplômes universitaires par Interpol. On se renseigne sur sa situation familiale et ses liens spirituels supposés avec le Pr Titus Edzoa. La vérification de la propriété de ses terrains et immeubles de Nsimeyong (quartier de Yaoundé dont il est originaire) est également engagée. Il fournit le contrat bancaire (BNP) et le plan de financement de l’immeuble. L’affaire s’arrête. Un dossier de détournement de 150 milliards Fcfa au sujet de la liquidation de la BCCI leur tombe sur la tête. Également abandonné. Puis, il est accusé de falsification de la signature sur sa carte de séjour – Camerounais d’origine, il a la nationalité française. Abandon. Après, arrive la plainte d’un monsieur qui l’accuse d’avoir volé son terrain. Et puis encore, il est accusé tantôt d’être un fonctionnaire fictif, tantôt d’avoir une double fonction (MINFI et Présidence),… Toutes ces pistes sont abandonnées.

II – Une volonté de régler des comptes politiques

Les ennuis judiciaires de Michel Thierry Atangana et Titus Edzoa commencent après la publication des ambitions politiques de ce dernier. Le 20 avril 1997 en effet, le Pr. Titus Edzoa démissionne de son poste de ministre de la Santé publique et annonce quelques temps après sa candidature à la présidence de la République. L’élection est en effet prévue pour octobre. L’aile dure de l’opposition politique entend boycotter l’échéance. Seuls restent en course de « petits partis politiques» face à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Dans le camp du parti au pouvoir, Victor Ayissi Mvodo, ancien baron de l’Union nationale camerounaise (UNC) sous Ahmadou Ahidjo, à la tête de la République depuis 1958, est candidat. Mais il meurt brutalement des suites de maladie à Paris. Dans le sérail, il se murmure que Paul Biya veut quitter le pouvoir. Titus Edzoa semble convaincu. L’ancien tout-puissant secrétaire général de la Présidence, ami du président, se positionne donc. Il est très vite désillusionné. Désormais en déroute, il multiplie des interviews mettant à nu le régime Biya qu’il a pendant longtemps servi. Le pouvoir veut le mettre hors d’état de nuire. Et puis, un filon : Michel Thierry Atangana est soupçonné d’être le cerveau de son coup, celui-là même qui maîtrise les réseaux financiers qui soutiendront la campagne d’Edzoa. Et pan, on l’arrête le 12 mai 1997. L’intention est de paralyser Titus pour finalement l’empêcher d’affronter Biya à l’élection.

A la direction nationale de la police judiciaire, on inscrit d’abord Michel Thierry Atangana dans le registre « grand banditisme ». Dès que les médias le présentent comme directeur de campagne d’Edzoa, les enquêtes sont réorientées dans le sens de détournements de fonds qui permettront de financer la campagne. On le convainc d’accepter qu’Edzoa lui a confié des missions politiques. Il refuse de signer les documents qui lui sont présentés comme gage de sa libération. Les enquêteurs de la police judiciaire passent d’un sujet à l’autre, cherchent dans tous les sens, et finalement retiennent quelques affaires. Le 03 juillet 97, des mandats de dépôts sont émis contre eux. Edzoa qui jusque-là était libre va en prison. Son dossier de candidature à la Présidence de la République n’est pas déposé à cause d’une manœuvre de la Cour suprême. L’élection passe ; le président Biya est reconduit. Beaucoup reprochent à Edzoa son manque de loyauté vis-à-vis du chef de l’État. C’est pourquoi l’action judiciaire actuelle peut être considérée comme un châtiment politique, et non une quelconque volonté de punir un « détourneur » de biens publics. En la matière, le processus cadre est connu : on arrête d’abord et on cherche les preuves après. Sur ce terrain, la Justice joue un rôle ambigu. Par exemple, l’affaire du Copisur a connu une issue judiciaire plutôt étonnante ces derniers temps. C’est ainsi que la chambre de contrôle de l’instruction
judiciaire de la Cour d’appel du Centre a invalidé le 3 février 2009, sur appel du ministère public, les conclusions essentielles de l’instruction rendues le 23 octobre 2008 par Pascal Magnaguémabé, juge d’instruction au tribunal de grande instance du Mfoundi à Yaoundé.
Celles-ci indiquaient notamment qu’il n’y avait lieu de poursuivre Mapouna, Njiemoun et Atangana pour les faits qui leur sont reprochés, faute de preuves pertinentes. Conséquemment, la levée du mandat de dépôt du 3 juillet 1997 décerné contre Atangana a été ordonnée, de même que la mainlevée sur ses comptes bancaires [tout comme ceux de Njiemoun et de Mapouna] en France, à Monaco, en Grande Bretagne, au Luxembourg, aux États-Unis d’Amérique, au Canada, en Afrique du Sud, en Suisse, en Irlande du Nord et dans le Royaume de Belgique. Seul Titus Edzoa devait être renvoyé devant le tribunal.
Juridiquement, l’appel interjeté par le ministère public de l’ordonnance du juge Magnaguémébé est fondé par le nouveau Code de procédure pénale. Celui-ci prévoit en son chapitre 12 des recours contre les actes du juge d’instruction. Mais selon les avocats des accusés, il y a un écart entre ce qui a été fait et ce que prévoit effectivement la loi. Cet écart concerne premièrement le délai dans lequel la chambre statue, deuxièmement les éléments motivant l’infirmation des
conclussions principales de l’ordonnance, et troisièmement la manière dont l’instruction a été au départ conduite. L’article 275 du Code de procédure pénale stipule que «la chambre d’instruction statue dans les 30 jours de la réception de la requête d’appel». C’est seulement le 03 février 2009 que la chambre a tranché, soit plus de 75 jours après! L’article 276, quant à lui, précise que «la chambre de contrôle de l’instruction peut, soit d’office, soit à la demande du procureur général ou de toute autre partie, ordonner tout supplément d’information qu’elle estime utile». S’y fondant donc, les avocats estiment que l’ordonnance du juge d’instruction ne devrait être remise en cause que s’il y a des faits
nouveaux susceptibles de fausser ses conclusions. Dans le cas d’espèce, il n’a pas été démontré que certains éléments ont échappé au juge d’instruction. Auquel cas l’information devait être complétée.
L’affaire a donc été réexaminée in vitro et la décision contraire signifierait une faiblesse de l’analyse du juge d’instruction. A Yaoundé, on distille la rumeur selon laquelle le juge d’instruction s’est fait corrompre. Vrai ou faux ? Seuls ceux qui la divulguent peuvent répondre, tout comme ceux qui affirment que la chambre de contrôle de l’instruction a agi sous pression, notamment en recevant les ordres et des libéralités du garde des sceaux. Amadou Ali a en effet joué un rôle fondamental dans le déclenchement de cette affaire en 1997. A l’époque il était secrétaire général de la Présidence cumulativement avec ses
fonctions de secrétaire d’État à la défense; aujourd’hui il est vice-Premier ministre – ministre de la Justice garde des sceaux, après avoir été ministre délégué à la Présidence chargé de la Défense.
C’est sous lui que le système de gestion des prisonniers Edzoa et Atangana a été mis en place et maintenu. Ce temps pris et la manière dont l’instruction a été conduite constituent des griefs supplémentaires formulés contre le système judiciaire. En plus de dix ans d’instruction, seulement deux actes majeurs ont été posés : l’interrogation des accusés en 2004 et la commission de l’expert Luc-Paul Njock, l’inspecteur d’État dont le travail était « d’exploiter et analyser les chèques, avis de virement et mouvements de compte ouverts par les inculpés, déterminer l’origine et le montant des fonds virés dans lesdits comptes ainsi que celui des retraits opérés en indiquant selon le cas la périodicité, indiquer la destination des fonds ». Mais l’expert n’a pas pu faire correctement son travail, faute d’accès aux documents comptables et de gestion du Copisur. Dans l’ordonnance du juge d’instruction, l’expert Njock exprime son regret de n’avoir pas eu accès aux documents comptables. «Je n’ai pas reçu d’organigramme […] que ce soit celui du fonctionnement ou celui d’investissement […] J’ai un peu déploré que les opérations retracées par les documents bancaires que j’ai analysés n’aient pas été sous-tendues par des pièces comptables y relatives[…] », affirme-t-il. Or selon les financiers, le fait de tirer un chèque ne justifie en rien la destination finale ou l’usage fait des fonds. Ce sont plutôt les pièces comptables et l’audit qui en déterminent l’usage. M. Njock n’a jamais véritablement rencontré les prévenus pour une quelque explication d’éventuelles zones d’ombres.

Lors de la perquisition saisie du 16 mai 1997 par les éléments de la police judiciaire, l’essentiel des biens du Copisur (documents comptables, matériel de bureau, matériel roulant, …) avaient été récupérés. Aujourd’hui, ils sont introuvables. Le juge Magnaguémabé que l’on dit courageux n’est peut-être pas allé jusqu’au bout. Le secrétaire général de la Présidence (Amadou Ali) qui a adressé des correspondances au délégué général à la Sûreté nationale (Luc Loe) au sujet de cette affaire n’a pas été entendu. De même, le DGSN et le procureur de la République de l’époque – M. Mvondo Evezo’o aujourd’hui procureur général – qui devait garder les scellés, auraient interrogés au sujet de la destination de ces biens publics. Mais le juge d’instruction semble avoir préservé son ministre et l’institution judiciaire. D’où la persistance, dans l’opinion, du parfum politique qui relève le goût de l’affaire.

III – Les droits de l’Homme bafoués

Titus Edzoa et Thierry Michel Atangana sont bien gardés dans des cellules de fortune du secrétariat d’État à la défense (Sed) depuis treize ans, et leurs visiteurs sont rigoureusement sélectionnés par une meute de gendarmes commis à la surveillance. Leur quotidien est fait de misère matérielle (cadre de « vie » exsangue, difficultés de nutrition, maladies, …) et de misère morale marquée par la solitude. Les multiples tentatives de les sortir du Sed pour une éventuelle libération ou pour un retour à la prison centrale de Yaoundé (Kondengui) où ils pourraient bénéficier du statut de condamné – avec les droits y afférents – se
sont toujours soldées par un échec… cuisant. En 1997, ils sont d’abord envoyés à la prison centrale de Yaoundé (Kondengui) mais dix-huit jours après, ils sont brutalement transférés au Sed. Le 22 juillet dans la nuit, un cortège de voitures remplies de gendarmes équipés comme des commandos en mission suicide fait irruption à Kondengui. Les deux stars sont extraites sans ordre d’extraction, « sans aucun papier ». L’une des raisons officielles c’est que la hautehiérarchie n’était pas sûre des conditions de détention à Kondengui où ils pourraient facilement s’évader. A leur arrivée à la gendarmerie nationale, ils sont expédiés sous le bureau du secrétaire d’État, Amadou Ali, qui cumulait alors les fonctions de secrétaire général de la Présidence (c’est lui qui a remplacé Edzoa). En fait de cellules, il s’agit de murs de soutènement fermés supportant le bâtiment. Chaque loge est un « trou noir » d’environ 1,5 mètres de large où la lumière du jour et l’air véritablement oxygéné sont plutôt rarissimes. Ils vont toutefois y rester pendant près de deux ans et demi, avec seulement une heure de sortie (dans la cour) par jour. Sous la lumière faible d’une réglette souvent interrompue des suites de coupure électrique, ils passent leurs journées à dormir et à lire la Bible, des livres de philosophie, de théologie et même de finance (pour Atangana). Sol en pente, toilettes turques, matelas en plastique, … tout est fait pour leur rendre la vie difficile. « On pensait qu’après deux semaines ils allaient seulement mourir, au regard de leur train de vie d’avant », affirme un proche d’Edzoa. Après 28 mois véritablement fermes, on va leur permettre de traîner un peu dehors sur quelques carrés de la cour. A la gendarmerie nationale leur statut est hybride. Sont-ils des condamnés – auquel cas il faudrait les envoyer dans une maison d’arrêt réglementaire – des prévenus, ou bien les deux ? De sources familiales, Michel Thierry Atangana est de plus en plus physiquement diminué, davantage moralement affaibli. Du haut de sa taille (1,84 m), il se déplace de sa cellule à la véranda où il est assigné en journée en boitillant, gardé par une clique de gendarmes bien sévères. Il a en effet eu une infection au pied gauche. Le sang ne circulait plus normalement. Le 1er avril 2004, ses « gardiens » lui ont accordé un jour pour l’opération. Grâce à une intervention chirurgicale du Dr. Jean-Jacques Pagbe à l’Hôpital général de Yaoundé, il s’est remis mais pas totalement. Aujourd’hui encore, il se plaint d’un liquide stagnant au genou, en plus d’une perte d’acuité visuelle constatée par le médecin. Pour lire, il met désormais des lunettes.

Thierry Michel Atangana – tout comme Titus Edzoa d’ailleurs – n’a droit ni à l’assistance médicale, ni à la nourriture. Il doit s’acquitter comme il peut de ses frais d’hôpital. Il mange une fois par jour, le soir vers 18h. C’est une sœur religieuse, Jacqueline Mengue de la congrégation des filles du père Brouttier à Mfou [environ 20 km de Yaoundé] qui lui fait la cuisine et traîne le couvert jusque dans la capitale. Au début de sa détention, c’était un peu différent parce que de nombreux amis et membres de sa famille l’entouraient. Mais aujourd’hui il se sent plus qu’esseulé, lâché par ses amis, honnis par une partie de sa famille, usé par les échecs répétitifs de ces organisations qui se battent pour sa libération, etc.
Avec le professeur Edzoa sur qui il avait à un moment fondé l’espoir de sa libération, c’est désormais comme l’eau et le feu. Les deux hommes sont bien voisins de cellule mais ne se parlent plus depuis presque sept ans. Au début des ennuis judiciaires, le professeur lui disait que Paul Biya contre qui il se portait candidat à l’élection présidentielle de 97 était son ami personnel, que la justice fait son cinéma, et qu’il allait les gracier d’un moment à l’autre. Il y a cru jusqu’au moment
où la stratégie du rouleau compresseur s’est révélée évidente dans toutes les affaires où ils sont citées. Presque concomitamment avec la rupture d’avec Edzoa, il a divorcé il y a deux ans avec son épouse Nicole Véronique Etoundi de qui il a eu deux enfants. Le motif, perte de confiance. L’on a ainsi appris qu’il accusait son ex-épouse d’avoir vendu ses biens et, surtout, d’être infidèle. Une rumeur relayée par une certaine opinion indiquait en effet que Mme Atangana entretenait des relations trop privilégiées avec un très haut responsable de la gendarmerie nationale. Avant ce coup, Michel Thierry Atangana a vécu le décès de sa mère, Julienne Essih Atangana, en août 2002, comme l’un des plus grands calvaires de sa vie. Avant sa mort, elle ne venait plus lui rendre visite. Une partie des frères et sœurs de Michel l’ont rendu responsable de cette situation parce que, selon eux, c’est son emprisonnement qui a entraîné leur maman vers la dépression. A la suite de la mère, la sœur aînée de Michel, Marie Noelle Atangana Nsizoa, est aussi passée de vie à trépas en juillet 2006. Cette dernière, la seule qui venait tous les
jours lui rendre visite au Sed, manifestait les mêmes signes avant sa mort: dépression, fatigue extrême. Pour ces deux cas, on lui a interdit d’aller les voir malades, d’assister à l’enterrement, de recevoir les condoléances, et même de … pleurer. Les nombreuses démarches engagées pour le sortir du pétrin font moisir sa conscience. Dès les premiers moments de son arrestation, l’ancien archevêque de Yaoundé, Mgr Jean Zoa, avait écrit au chef de l’État afin qu’on le libère. Le problème a été présenté à Mgr Wouking (successeur de Jean Zoa) qui était bien sensible à la cause mais avait quelques difficultés à aborder le palais d’Etoudi. La commission Justice et paix de l’Eglise catholique a saisi l’actuel archevêque de Yaoundé, Mgr Tonye Bakot qui a œuvré avec Mgr Befe Ateba et Mgr Christophe Zoa pour que Paul Biya intervienne. Sans succès. Michel Thierry Atangana lui-même avait adressé un recours en grâce au président de la République mais on lui a signifié à la Présidence qu’il ne pouvait bénéficier d’une remise de peine parce qu’il avait d’autres dossiers en instruction. Comme on peut le voir à la lumière de ce qui précède, l’affaire Titus Edzoa, Thierry Michel Atangana et autres, est une illustration parfaite de l’instrumentalisation de la justice à des fins de règlement de comptes politiques. Pratique d’autant plus courante au Cameroun qu’on peut citer dans le même registre les cas du célèbre musicien Lapiro de Mbanga et du maire déchu de Njombé, Kinguè, embastillés pour leur prétendue participation aux émeutes de la faim de février 2008.

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10/04/2010
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