Réforme du Code Electoral: Un Principe et Trois Axes pour le futur

09 AVRIL 2012
© Patrice Nganang | Correspondance

"... Pour le Cameroun, 30 millions pour l’élection présidentielle, c’est bas. Passons à 100 millions ! Oui, osons donc. Quiconque veut une caution basse pense plus à sa carrière personnelle qu’au futur de notre pays."

REFORME DU CODE ELECTORAL
UN PRINCIPE ET TROIS AXES POUR LE FUTUR



Faire de la politique, c’est anticiper. C’est donc se projeter en permanence dans le futur, pour fabriquer le bonheur ou préempter la catastrophe. Car c’est la réalité de demain qui est inventée aujourd’hui, dans une manufacture permanente. Les députés de l’Assemblée nationale camerounaise dominée par le RDPC se réunissent ces derniers jours pour légiférer sur le Code électoral. Celui-ci décidera des élections à venir: dans l’immédiat, des élections municipales et législatives, et dans le prochain, des élections présidentielles. C’est qu’il est impossible de parler des premières sans parler également de l’autre, les élections au Cameroun étant la modalité de fonctionnement du système politique qui régit notre pays et fabrique notre réalité. Ce système est présidentiel, comme nous savons, mais surtout, il est hyperpresidentiel depuis avril 2008. Ce ne sont pas seulement les majorités du parti au pouvoir qui fondent cette anomalie, c’est la position prééminente du président de la république sur toutes les autres institutions de la république qui l’impose, lui qui en plus est irresponsable devant celles-ci et devant le futur grâce à l’article 53 de la constitution. Mais toute loi fonde une réalité générale qui peut être mise en cause par des intérêts particuliers. Les députés, en reformant le Code électoral commenceraient-ils par les élections législatives qu’ils penseraient plutôt à leur propre carrière, et moins au futur du Cameroun qui est défini par le système politique hyperpresidentiel qui le tient.

Un principe donc et trois axes devraient conduire cette reforme, si nous voulons pour notre pays un futur citoyen. Le principe d’abord : la reforme du Code électoral au Cameroun ne peut pas commencer à la base, c’est-à-dire aux élections municipales et législatives, si celle-ci veut véritablement fabriquer le futur de notre république : c’est au sommet qu’il lui faut commencer. Pourquoi ? Parce que l’élection du président de la république est ce manteau qui recouvre toutes les autres élections de son ombre. Il en est ainsi à cause du système politique qui définit la réalité politique d’aujourd’hui au Cameroun. Il en sera ainsi demain si le Code électoral ne change pas. Evidemment les données changeraient autrement s’il arrivait que le peuple prenne lui-même son destin entre ses mains, comme les peuples tunisien et égyptien l’ont fait. Cela peut être évité par des textes responsables, c’est-à-dire qui anticipent sur le futur. Pour l’heure, notre futur est décidé par une minorité : les députés qui siègent à l’Assemblée nationale. Et je lis que de nombreux d’entre eux sont absents ; je vois que les débats publics sont absents dans les medias ; je me rends compte que c’est le gouvernement, qui sans doute a l’initiative dans le système qui est le nôtre de l’introduction de projets de loi, mais qui aussi aura retiré son projet de loi à cause de dissensions internes au RDPC lui-même – et pas à cause de la pression des activistes qui se seraient levés ! Pas à cause de la pression des medias qui auraient montré la supercherie !

Pour ce qui est des trois axes, le premier est le suivant : commençant par la primauté de la présidentielle, la reforme doit à tout prix inclure la limitation des mandants présidentiels : deux mandats ; quinquennat. Il faut bien que l’on en arrive dans notre pays à un futur où le président de la république ne quitte pas le palais présidentiel au pas de course, ou alors les pieds devant. C’est un futur qui a commencé au Sénégal, et auquel notre pays ne pourra pas échapper. Nous avons la possibilité de le construire par des textes civilisés, et pas par des batailles de rue. Nous avons la possibilité de le bâtir par des reformes qui prévoient le futur, car sinon il nous sera imposé, ce futur-là étant parti-prenante du dictionnaire citoyen qui est et qui sera celui de notre pays de toutes les façons. On ne peut pas jouer à cache-cache avec le futur, car le soleil se lève tous les jours et avec lui la promesse de demain. Mais la limitation des mandats va de pair avec l’élection présidentielle à deux tours dont elle est l’autre manche du ciseau qui fabrique notre futur. Il est une évidence que seule une élection présidentielle à deux tours peut restituer la représentativité politique d’un pays aussi divers et vaste que le nôtre. Car si la limitation des mandats se rapporte à la personne élue, l’élection à deux tours encadre, elle, la population votante, la structure, donne un canevas à sa voix. Voilà pourquoi la limitation du nombre des mandats et l’élection à deux tours sont complémentaires : ils sont les deux portes qui permettent d’entrer dans le Cameroun démocratique du futur.

Le troisième axe est le moins débattu, et celui pourtant qui aura été la source de la discorde autour du projet de loi gouvernemental : l’argent. Il s’agit ici de la caution à déposer pour être éligible. 30 millions de FCFA, dit le gouvernement, pour ce qui est de l’élection présidentielle chez nous, quand au Sénégal, elle était de 65 millions de FCFA pour cette élection qui vient d’y avoir lieu et qui a produit le premier président citoyen élu sur notre continent. Il est étonnant pour moi que cette initiative d’augmenter le montant de la caution soit venue du gouvernement. C’est l’opposition camerounaise en fait qui aurait dû en faire son cheval de bataille ! Car une caution baisse laisse la place à une multitude de candidats, et comme nous ont montré les élections passées, favorise le candidat au pouvoir. Une caution élevée au contraire oblige les politiques à s’unir pour collecter celle-ci, et donc, à former des coalitions et par conséquent, à former ces structures permanentes que sont les partis politiques respectables. Quand les institutions flanchent, il n’y pas meilleur régulateur des groupes, et meilleure mesure des leaders qu’une association d’intérêts : et l’argent est un intérêt évident. La caution pour l’élection présidentielle au Cameroun devrait être revue à la hausse – comme au Sénégal, 65 millions de FCFA au moins. La peur n’est pas que le système camerounais soit régulé par l’argent : il l’est déjà. L’important est de faire que les sources de cet argent soient connues, et que ceux qui ont la confiance des populations soient redevables auprès de celles-ci. Il demeure: pour le Cameroun, 30 millions pour l’élection présidentielle, c’est bas. Passons à 100 millions ! Oui, osons donc. Quiconque veut une caution basse pense plus à sa carrière personnelle qu’au futur de notre pays.



10/04/2012
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