Rebelote: Tchiroma dérape encore

YAOUNDÉ - 18 Juillet 2012
© Jean-Bruno Tagne | Le Jour

Le ministre de la Communication estime que l’article 66 de la Constitution, votée par l’Assemblée nationale et promulguée par le président de la République, est inefficace.

La presse en fait ses choux gras. La société civile s’en émeut et les acteurs politiques en sont encore retournés. La dernière interview de Issa Tchiroma n’a laissé personne indifférent. Une nouvelle sortie de piste à laquelle le ministre de la Communication semble avoir habitué le public. Vendredi dernier, dans une interview accordée à la Crtv, Issa Tchiroma s’en prend à des Ong coupables de faire du lobbying pour l’application de l’article 66 de la Constitution du 18 janvier 1996 sur la déclaration des biens et avoirs des gestionnaires de la fortune publique avant et après leur prise de fonction. Visiblement courroucé, le «porte-parole du gouvernement» crie à la «manipulation de ces Ong fortement payées pour déstabiliser le Cameroun».


Loi fondamentale

Sur le même ton rageur, il ajoute que le Cameroun n’a pas attendu l’application de l’article 66 pour que 40 ou 50 anciens hauts commis de l’Etat soient jetés en prison pour des faits de détournement de deniers publics. Et que l’Agence nationale d’investigation financière (Anif), la Commission nationale anti-corruption (Conac) et le Conseil de discipline budgétaire et financière sont là comme des épées de Damoclès suspendues au-dessus de la tête des gestionnaires de la fortune publique. Le Mincom n’a-t-il pas ainsi renvoyé l’application de l’article 66 de la Constitution, votée par l’Assemblée nationale et promulguée par le président de la République aux calendes grecques?


Sdf

«Inadmissible», a réagi Jean-Michel Nintcheu que nous avons joint hier au téléphone. Le député Sdf à l’Assemblée nationale estime que le ministre de la Communication vient, «une fois de plus, de manquer une occasion de se taire». Il ajoute que cette sortie de M. Tchiroma a deux objectifs: faire «diversion» et essayer d’entrer dans «les bonnes grâces du chef de l’Etat» au moment où sa cause semble entendue au sujet des lourds soupçons de corruption qui pèsent sur lui à propos du crash de l’avion Camair en 1995.

«Issa Tchiroma est un ministre bien spécial, rigole le député Jean-Michel Nintcheu. Il ne peut pas se livrer à pareilles élucubrations au sujet d’une disposition de la Constitution qui est quand même la loi suprême. Une Constitution est faite pour être entièrement appliquée. On ne choisit pas les dispositions qu’on veut appliquer.» Monsieur Nintcheu pense que si l’article 66 de la Constitution sur la déclaration des biens et avoirs, avant et après l’entrée en fonction des gestionnaires de la fortune publique, a été introduit dans la loi fondamentale, c’était pour avoir une certaine lisibilité quant à la lutte contre la corruption. Jean-Michel Nintcheu estime que l’existence de la Conac, du Contrôle supérieur de l’Etat, de l’Anif, de toutes les autres institutions qu’il qualifie de «budgétivores», ne dispense pas le gouvernement de son devoir de respecter la Constitution.

En matière de déclaration des biens, le Cameroun n’est pas un cas isolé, même en Afrique. «Le nouveau président sénégalais, Macky Sall, a déclaré ses biens. Pareil pour celui du Niger», rappelle le député Nintcheu.


Amadou Ali

La sortie du ministre de la Communication, qui parlait au nom du gouvernement, à en croire la Crtv, vient prendre à contre-pied les diplomates en poste à Yaoundé (Union européenne, Etats-Unis, Canada, France), la Banque mondiale, le Pnud et les Ong qui, depuis plusieurs années, appellent à l’application de l’article 66 de la Constitution. En décembre 2008, Amadou Ali, alors vice-Premier ministre en charge de la Justice, confiait aux députés à l’Assemblée nationale que le texte portant application de cet article sera finalisé avant la fin du premier trimestre de l'année 2009, et que les hauts fonctionnaires de la République se soumettront immédiatement à l’obligation de déclarer leurs biens. Toujours rien jusqu’à ce jour.


Transparency International

Pour certains acteurs politiques, il ne faut pas se faire d’illusion. Le gouvernement n’est pas disposé à faire déclarer les biens. «La non-application de l’article 66 de la Constitution montre simplement qu’il n’y a aucune volonté réelle de lutter contre la corruption», pense Joseph Som I, le secrétaire général du Cpp. Jean-Michel Nintcheu est de cet avis. Il soutient que l’exemple devrait venir du chef de l’Etat, Paul Biya, qui doit déclarer ses biens le premier. «Mais il ne le fera pas, croit-il savoir. Car, les Camerounais se rendront compte qu’il est encore plus riche qu’on ne peut l’imaginer, ainsi que l’avait dit son propre secrétaire général, Titus Edzoa.»

Pour montrer l’état d’esprit du gouvernement quant à cet article 66 de la Constitution, le président de la section camerounaise de Transparency International, qui milite pour la déclaration des biens, rapporte ces propos que lui aurait tenus l’actuel ministre de la Communication dans son bureau: «Cette loi ne sera jamais appliquée au Cameroun, car ce n’est pas dans notre culture. On ne viendra pas compter les nombres de chèvres derrière la cour de quelqu’un.»


18/07/2012
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