Réaction: Une autoroute ne saurait être un éléphant blanc

Yaoundé, 11 Décembre 2012
© EMMANUEL GUSTAVE SAMNICK | Correspondance

Un lecteur prend le contre-pied de l'ingénieur Alphonse Soh qui estime que le projet d'autoroute Douala-Yaoundé manque de pertinence.

Dans Mutations n°3299 du 7 décembre dernier, vous avez publié une tribune libre signée Alphonse Soh qui, de sa posture d'ingénieur, chiffres et termes techniques à l'appui, a voulu globalement démontrer que le projet d'autoroute Douala-Yaoundé annoncé par les pouvoirs publics, tel qu'il serait conçu et projeté, sera fatalement un «éléphant blanc». Je voudrais présenter ici un avis opposé, celui d'un observateur de la vie nationale et internationale et d'un citoyen camerounais ordinaire, sans aucune prétention à la connaissance à coup sûr complexe du domaine très technique des infrastructures routières. Mais comme M. Soh a lui-même indiqué quelque part que «nul n'a besoin d'être sorti de Polytechnique pour comprendre que Edéa est appelée à devenir un nœud de transport important», il me donne la faille pour me prononcer sur son analyse technico-scientifique d'une réalité visible et palpable pour laquelle je pense qu'il a quelque peu versé dans certains excès.

Sur la pertinence économique du projet d'autoroute entre Douala et Yaoundé, je lui concède sa grosse réserve, n'ayant ni données contraires ni expertise avérée pour contester sa démonstration. Mais je m'empresse de m’interroger: tout projet de développement doit-il être jugé, calculette en main, à l'aune de rentabilité financière? De mémoire d'homme, bercé par l'adage «là où la route passe, le développement suit», j'ai rarement entendu qu'il y avait une route superflue.

C'est vrai, dans ma jeunesse, il m'est arrivé d'entendre des débats se rapprochant de cette vision mais qui n'ont guère prospéré face au revers de la réalité: quand, à l'orée des années 1980, Paul Pondi, alors patron de la police - nationale, avait œuvré pour que son village Ngog-Mapupi soit relié par une route bitumée, il y en a parmi les riverains qui se demandaient à quoi sert du goudron sur une piste rurale qui voit passer à peine trois ou quatre voitures par semaine. A la même période, dans mon village Bôndjock, certains se moquaient éperdument de la Sonel qui y plantait ses poteaux électriques, se demandant ce qu'elle gagnerait avec des clients qui n'allumeront leur ampoule le soir que pour chercher où se trouve le lit et donc qui ne pourront honorer que de minables factures de 500 F CFA par mois. Aujourd'hui, des bars et moulins à écraser tournent à pleine régime là-bas. Et même qu'un night-club a pignon sur rue et que l'on projette de construire une morgue dans cette bourgade devenue chef-lieu d'arrondissement entre temps. Le goudron de Ngog-Mapupi rend de services inestimables et est toujours en place, intact trois décennies plus tard, alors que celui de Mimboman-village, au cœur de Yaoundé, a déjà été refait maintes fois au courant des années 2000, et les résidents de cette zone urbaine continuent à souffrir le martyre avec une route défoncée de part en part…


Autoroute

Eh clair, le problème est celui de la qualité des ouvrages qu'on construits et non pas leur rentabilité économique à un moment donné. C'est pourquoi je me démarque de Alphonse Soh quand il estime que pour la route reliant les deux principales villes du Cameroun, distantes d'un peu plus de 200 kilomètres, on n'avait pas besoin d'une autoroute, puisque selon lui seul le tronçon Douala-Edéa à fort trafic, mériterait mieux que «l'axe lourd» actuel: même pas l'autoroute mais une «voie express à 2x2 voies». C'est surprenant que certains se mettent à célébrer la politique des petits pas, la stratégie de l'éternellement provisoire. Des sources dignes de foi nous informent pourtant que le projet initial du fameux «axe lourd» Douala-Yaoundé réalisé au début des années 1980 était une autoroute en bonne et due forme. Les décideurs politiques ont dû alors céder aux sirènes des conseillers économiques peu avant-gardistes qui leur avaient vendu, déjà, la thèse discutable de la non-rentabilité économique d'une autoroute. Si on avait réalisé l'autoroute une fois pour toutes à ce moment-là, on n'en serait plus aujourd'hui à se demander si oui ou non l'affaire est pertinente. Moyennant quoi, on a persisté à ne réaliser chez nous que de demi-projets, de simulacres d'ouvrages modernes qui ne trouvent leurs noms que dans le contexte exclusivement camerounais: «l'axe lourd» à la place de l'autoroute, «l'échangeur simplifié» à la place de l'échangeur normal, «la démocratie précipitée» pour nier la pertinence de la démocratie...

Par ailleurs, nous ne voyons guère la rentabilité du trafic actuel avec le péage manuel (dont une bonne partie des recettes finit dans les poches des individus) sur une route sinueuse et dangereuse à tous les tournants pour qu'on se mette à la regretter quand viendra l'autoroute budgétivore. Je suis d'accord qu'il faudra confier la gestion de l'autoroute à péage à une concession privée, et il me semble que le gouvernement a annoncé qu'il croulait sous les offres allant dans ce sens. Nous les usagers, ce que nous voulons, ce sont de bonnes routes, quelles que soient leurs caractéristiques techniques par ailleurs. J'ai déjà voyagé par route entre Yamoussoukro et Abidjan, les deux principales villes de Côte d'Ivoire. Selon M. Soh, il s'agit «d'une voie express, c'est-à-dire ayant le profil d'une autoroute sans en être une, les carrefours n’étant pas systématiquement dénivelés et l'ensemble n'étant pas clos». Mais où est le problème? Je précise que j'ai fait ce trajet Yamoussoukro-Abidjan en février 1998, et l'ouvrage ne semblait pas tout nouvellement construit.

Alors, pour un gouvernement camerounais devenu champion de l'inertie, je ne peux que me réjouir quand il commence à bouger. On a besoin d'un deuxième pont sur le Wouri, peu importe le modèle qui sera choisi: pont haubanais, pont métallique, pont en béton, pont en arc, pont à voûtes, pont à poutres... On a aussi besoin d'une très bonne route entre Douala et Yaoundé, qu'elle s'appelle autoroute, voie express ou «axe trop lourd», Ce qui est sûr, par rapport à la situation actuelle, il y aura forcément un gain de temps et même d'argent énorme, que Alphonse Soh semble minimiser. On peut discuter du tracé et de la discipline des usagers de la route, car l'autoroute, effectivement, ne supprimera pas les accidents. Mais sa nécessité, à mon avis, ne saurait être remise en cause. La comparaison entre l'aéroport sous-utilisé de Nsimalen et l'autoroute Douala-Yaoundé envisagé me semble surfaite. Là il s'agissait manifestement de mauvais choix, comme c'est encore le cas avec le Programme national de développement des infrastructures (ndis: un pays qui n'a pas construit de stade (excepté Garoua) depuis 1972 et les deux de Douala et Yaoundé, veut d'un coup bâtir une dizaine de stades omnisports, alors qu'aucune de ses équipes n'a un terrain d'entraînement digne de ce nom. On a construit un palais des sports qui faisait défaut, mais en oubliant les petites salles avec plancher pour les entraînements et les petits matches de différents championnats locaux.


Rentabilité

Pour finir, je conteste l'argumentaire selon .lequel les milliards FCFA seront dépensés sur l'autoroute en pure perte. D'abord, c'est la gouvernante publique qui doit être améliorée à tous les niveaux dans notre pays pour impacter sur la gestion du patrimoine national. Ce n'est pas parce qu'on gère mal le peu d'infrastructures que nous avons qu'on doit interdire d'envisager mieux. Je persiste à dire qu'il ne me souvient pas qu'il existe au monde une route sous-utilisée; comme dans la publicité d'une lame de Soir, elle ne s'use que si l'on s'en sert. Enfin, loin de toutes les considérations technico-économiques, il y a des choses qu'il faut seulement faire pour leur beauté et leur grandeur intrinsèques, même si elles sont décriées au moment de leur édification; comme la tour Eiffel à Paris ou le monument de la Renaissance africaine à Dakar. Dans tous les procès de l'opération Épervier, on ne nous parle que des milliards de FCFA qu'auraient, détournés des gestionnaires. Ne pleurons- donc pas ceux qui pourraient s'égarer dans des projets de développement concrets, parce qu'un Etat bien géré aura toujours de l'argent. Et entre nous, rentabilité pour rentabilité, quel est finalement le prix de l'aisance, du bien-être des populations? Qu'est-ce qu'on gagne en aménageant les bancs et les jardins publics?

source: mutations




11/12/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres