Racisme. Entretien avec Cecile Kyenge

Cécile Kyenge

Cecile Kyenge, est ministre de l'Intégration en Italie, et première ministre noire de l'histoire italienne. Elle a été la cible de commentaires racistes du vice-president du Sénat italien Robert Calderoli, qui l'avait comparé à un "orang-outan". Interview
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Mme Cecile Kyenge bonjour. Vous êtes ministre de l'Intégration en Italie. Parlons de cette affaire qui a fait le tour du monde. Le sénateur Roberto Calderoli vous a traitée de singe. Comment avez-vous réagi?

Ma réaction a été assez claire. Je me suis sentie quand même un peu attristée. Mais en allant au delà de ma personne, c'est-à-dire en faisant comprendre que quelqu'un qui représente une institution, qui représente un pays, devrait avoir un langage différent de celui qui a été utilisé. C'est quelqu'un qui doit avoir un langage qui représente effectivement le pays, partout: à l'intérieur de la Chambre, et aussi au niveau du pays. Là, c'était un peu triste. L'image que certains représentants sont en train de donner aux jeunes de notre pays et en dehors de notre pays est un peu triste. On doit aller au delà. Ce n'est plus tellement une question personnelle, c'est une autre question: la responsabilité dans la communication.

Madame la ministre, est-ce que ça veut dire que c'est difficile pour vous en tant que noire d'être politicienne en Italie?

Effectivement, c'est pas facile. C'est un changement qui est en cours. C'est un changement qui est en train de se vérifier, et je crois que tout changement n'est pas facile à pouvoir accepter. Nous sommes en train d'assister pour la première fois à un ministre qui est né à l'étranger, un ministre noir. Ça n'a pas été facile, comme ça n'a pas été facile de faire de la politique, mais je crois que dans tout ça, on doit essayer de ne pas se laisser distraire. La question qui est là, et que je continue à poser, ce n'est plus une question personnelle, une question de Cecile Kyenge ministre, mais c'est une question qui doit regarder nos enfants, qui doit regarder les générations futures, les jeunes. On doit servir d'école, d'exemple, et donner une leçon assez transparente et correcte aux jeunes qui sont en train de nous regarder pour essayer de renforcer ce qui sera l'identité et l'Italie de demain.

C'est un combat quotidien que vous menez pour vous faire une place dans la société italienne?

La place dans la société italienne, beaucoup de gens l'ont déjà. Ce qui est un peu inconnu c'est le fait que les personnes d'origine étrangères, quand elles décident de... puisque maintenant je suis Italienne, j'ai pris la nationalité italienne, donc je parle comme représentante d'un pays. Cela va au delà de la couleur de ma peau, cela va au delà de ce qui est mon identité. Mon identité est multiple. J'ai passé une bonne partie de ma vie en Afrique, là ou je suis née.

En République démocratique du Congo?

En République démocratique du Congo. Mon identité a été renforcée par ma vie en Italie que j'ai choisie. C'est qui important, c'est d'essayer de faire comprendre que ce combat quotidien que nous sommes en train de mener est celui de se faire accepter, et de rendre visible le nouveau modèle, la nouvelle photographie de l'Italie, qui comprend les Italiens, qui comprend les enfants nés de parents étrangers mais qui sont en Italie, et qui deviendront un jour des dirigeants de ce pays. Celui de faire comprendre qu'il y a des gens comme moi qui ont choisi l'Italie, qui ont choisi un pays étranger où ils veulent vivre et qui ont demandé la nationalité de ce pays. Ce n'est plus une question de se faire accepter, mais de faire comprendre le futur de notre pays, et celui de beaucoup de pays dans le monde.

Est-ce que vous acceptez les excuses de Roberto Calderoli?

Je n'ai jamais considéré cela comme un cas personnel. Si les excuses ont été faite comme cas personnel, elles sont acceptées. Mais ce que j'ai posé du premier moment, c'est le fait du comportement de quelqu'un qui représente une institution, et qui a des devoirs envers un pays, celui d'un langage parcouru de respect envers l'autre. C'est quelqu'un qui doit connaître le respect envers les institutions, et c'est quelqu'un qui doit savoir qu'en ce moment je ne suis plus Cecile Kyenge, mais je suis Cecile Kyenge ministre pour l'Intégration de la République italienne.

Est-ce qu'il vous arrive de vouloir jeter l'éponge, de démissionner, au regard des brimades que vous subissez?

Non, je n'y ai jamais pensé et je crois que je n'y penserais jamais.

Quelles sont vos relations avec les autres collègues du gouvernement? Vous vous sentez à l'aise en conseil des ministres par exemple?

Oui. Tout le gouvernement soutient mon parcours, et travaille facilement avec moi. On se confronte sur des points bien précis, sur des thèmes, sur des contenus, et pas sur la provenance ou la couleur d'une personne. Le travail que nous sommes en train de faire va au delà de l'appartenance d'une personne, mais va sur la capacité, la compétence et le professionnalisme d'une personne.

Les footballeurs de couleurs en Italie évoluant dans le Calcio souffrent également d'insultes racistes proférées par certains supporters et les cris de singes émanant des gradins. Comment expliquer cela? C'est la crise économique?

Il ne faut pas donner toutes les fautes à la crise économique. Je crois que c'est un changement culturel au niveau de l'Italie, qui a connu une immigration assez forte à partir des années 90. Je crois que comme chaque pays on doit essayer de s'adapter. Il y a des pays comme la France, l'Angleterre et bien d'autres qui ont connu l'immigration bien avant l'Italie. L'Italie est en train de passer une période que les autres pays ont sûrement connu, et qui ont pu quand même dépasser ce stade. Nous, nous sommes au niveau de la rencontre des cultures. On doit essayer d'accepter cette rencontre, et de voir comment les cultures peuvent essayer de convivre sur le même territoire, dans le même pays. Tout cela est fonction de l'immigration assez récente en Italie.

Entretien avec BBC




17/07/2013
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