Que peuvent faire les forces internationales en Côte d'Ivoire ?

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Que peuvent faire les forces internationales en Côte d'Ivoire ?
(Le Monde 21/12/2010)


Le Conseil de sécurité de l'ONU a décidé, lundi 20 décembre, de prolonger de six mois le mandat de la force de maintien de la paix en Côte d'Ivoire, qui arrivait à expiration le 31 décembre. Environ 10 000 casques bleus, policiers et civils de l'opération des Nations unies pour la Côte d'Ivoire (Onuci) sont présents sur le sol ivoirien. En ajoutant les 900 soldats de la force française Licorne, la communauté internationale est, sur le papier, largement en mesure de faire appliquer ses décisions sur le territoire. Pourtant, jusqu'ici, ce sont bien les forces loyalistes qui contrôlent les rues d'Abidjan, et le président sortant, Laurent Gbagbo, a exigé le départ des troupes étrangères.

Le chef de l'opération de l'ONU ne s'en est d'ailleurs pas caché, lundi 20 décembre, en dressant la longue liste des harcèlement subis par ses forces : barrages "sur la route donnant accès à l'hôtel Golf", QG du camp d'Alassane Ouattara ; attaque d'une patrouille dans la nuit de vendredi à samedi ; envoi "de jeunes gens armés aux domiciles des personnels des Nations unies pour frapper à leur porte et demander la date de leur départ ou entrer pour y effectuer des fouilles sous prétexte de chercher des armes".

Depuis la proclamation contestée de la victoire de Laurent Gbagbo par le Conseil constitutionnel, ce sont les Forces de défense et de sécurité, le bras armé du camp Gbagbo, et les miliciens commandés par des supporteurs du président sortant qui contrôlent la capitale. Les forces de l'ONU se contentent d'assurer la protection d'Alassane Ouattara, le vainqueur de l'élection reconnu par l'ensemble de la communauté internationale.

Pire, plus de 50 personnes ont été tuées au cours du week-end sans que les casques bleus ne puissent l'empêcher. Des escadrons de la mort, composés de paramilitaires au service de Laurent Gbagbo, enlèvent et tuent des civils en toute impunité dans les bastions d'Alassane Ouattara. Tout cela alors que selon son mandat, l'Onuci, présente depuis 2004, se doit de protéger les civils et de garantir le cessez-le-feu.

INTERVENTION FRANÇAISE EXCLUE

"Le problème, c'est que les casques bleus de l'Onuci ne sont pas très aguerris", explique Christian Bouquet, géographe et ancien conseiller chargé de la coopération à l'ambassade de France en Côte d'Ivoire. "De toute façon, il est difficile de contrôler une ville de plusieurs millions d'habitants telle qu'Abidjan avec 10 000 hommes", ajoute Rinaldo Depagne, spécialiste de la Côte d'Ivoire à l'International Crisis Group.

Si les forces françaises sont mieux équipées et plus expérimentées, une intervention de leur part risquerait de renforcer Laurent Gbagbo dans sa rhétorique anti-française. L'opération Licorne est par ailleurs soumise au mandat de l'ONU et Paris exclut jusqu'ici toute intervention militaire. "C'est à la force internationale d'agir" le cas échéant, a expliqué dimanche la ministre des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie. "Ce n'est pas aux soldats français de s'interposer et ils ne le feront pas", a-t-elle insisté, cantonnant l'usage de la force aux cas de légitime défense.

Dans ces conditions, une opération de l'Onuci pour forcer la main à Laurent Gbagbo et installer Alassane Ouattara semble improbable. "Sauf si la situation sur place évolue selon un scénario à la rwandaise, avance toutefois Christian Bouquet. Pourrait-on imaginer la communauté internationale assister à nouveau à des massacres sans réagir ?"

LE NIGERIA, PAYS-PIVOT DE LA RÉGION

Pour contourner le sentiment anti-ONU et anti-Français entretenu par Laurent Gbagbo, l'hypothèse d'une intervention des pays voisins est plus envisageable. "Pour éviter toute flambée nationaliste et enlever un argument à Laurent Gbagbo, seule une intervention sous les auspices de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest [Cédéao] est envisageable, estime ainsi Antoine Glaser, ancien directeur de la revue La Lettre du Continent. Or le Nigeria, qui la préside actuellement, dispose justement d'une armée suffisamment forte pour intervenir."


Face à eux, des soldats étrangers auront, de toute façon, à faire face à une armée ivoirienne qui reste soudée malgré les intenses pressions internationales de ces derniers jours. Laurent Gbagbo peut compter sur la fidélité de ses généraux — "issus du même groupe ethno-régional", rappelle Christian Bouquet — et peut s'appuyer sur les fonds récoltés grâce au commerce du cacao et du pétrole au cours de ses dix ans au pouvoir pour continuer à verser les salaires des militaires.

"Il a de quoi tenir plusieurs semaines, estime ainsi Antoine Glaser, et même si le Nigeria a une armée forte, il ne faut pas non plus la surestimer : Abuja n'arrive même pas à pacifier le delta du Niger." Par ailleurs, les précédentes opérations de la Cédéao en Sierra Leone ou au Liberia ont été critiquées, les Nigérians utilisant leur présence militaire pour asseoir leurs intérêts. "Mais il n'en reste pas moins que la communauté internationale semble reposer ses espoirs sur Goodluck Jonathan, le président nigérian", estime Christian Bouquet. Dans une lettre transmise vendredi à Laurent Gbagbo, le président nigérian lui demande de transférer "immédiatement" le pouvoir à Alassane Ouattara.

Jean-Baptiste Chastand
LEMONDE.FR |

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21/12/2010
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