Que pensez-vous de la visite de Paul Biya en France?

Anicet Ekanè, membre du bureau politique du Manidem, “Une perpétuation du néocolonialisme”
Cameroun : Que pensez-vous de la visite de Paul Biya en France?L'importance que le régime accorde à cette visite tient de deux facteurs. Le premier facteur, fondamental, c'est la relation qui lie le pouvoir néocolonial français au régime néocolonial au Cameroun. La deuxième raison, c'est le fait que la dernière visite remonte bien avant le dernier quinquennat. Le pouvoir français n'a pas reçu Paul Biya lors de celui-ci. Si le Cameroun et la France entretenaient des relations bilatérales égalitaires (comme c'est le cas avec l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, etc.) sans vassalisation, cette visite serait ordinaire, c'est-à-dire celle d'un chef de l'Etat qui rend visite à son homologue, même si les intérêts économiques sont énormes. Notre peuple ne doit pas se réjouir d'une telle visite. Elle n'a rien qui puisse impacter la vie quotidienne de nos concitoyens.

Une telle visite continue à renforcer les liens de dépendance néocoloniale qui lient la France au Cameroun. Il est regrettable, même si cela ne nous surprend guère, que le gouvernement socialiste français continue à entretenir cette relation de vassalisation qui caractérise les relations entre le chef de l'Etat français et ceux de la Françafrique. Sans aucun doute, Hollande va s'efforcer d'être le démarcheur des intérêts français au Cameroun. La situation sociopolitique au Cameroun n'intéresse le président français que dans la mesure où son évolution catastrophique ou brutale peut compromettre les intérêts français au Cameroun. Les patriotes camerounais, à l'instar de ceux qui sont regroupés dans le Front des forces patriotiques et panafricanistes, ne peuvent que stigmatiser la perpétuation de la néo-colonisation en Afrique, qui se manifeste ici par le sentiment de satisfécit qu'affiche le régime Rdpc parce que Hollande a daigné accorder une audience au chef de l'Etat camerounais. Tous ceux, hommes politiques ou personnalités de la société civile, qui continuent à penser que l'avenir de notre pays se décide ailleurs, à Paris, à Bonn ou à Washington, seront confondus par les prochains développements de la situation politique au Cameroun. Les Camerounais, avec à leur tête les patriotes panafricanistes, prendront leur destin en main, tôt ou tard.

“Une prime à la dictature”, Célestin Djamen, ex-président du Conseil des Camerounais de la diaspora (Ccc)
Cette visite a un volet politique et un volet économique. Sur le volet politique, il faut déjà distinguer qu'il y a des questions de droits de l'homme. Je ne suis pas contre la coopération bilatérale. Vu les liens historiques entre la France et le Cameroun, il me semble naturel que les relations diplomatiques soient maintenues entre les deux Etats. Le problème qui se pose c'est par rapport à la France. Je me souviens que le candidat Hollande avait pris 60 engagements pendant sa campagne. Le 58ème dit clairement que s'il est élu président de la République française, il va engager de nouvelles relations avec l'Afrique sur la base d'un projet économique, démocratique et culturel équitable. Il ajoute : « Je romprai avec la Françafrique ». Or, quelle n'est ma surprise de constater qu'aussitôt élu, il s'est mis dans la blouse du parfait président françafricain, dans la tradition françafricaine. De nombreux chefs d'Etat, comme d'habitude aussitôt après l'élection d'un nouveau président français, sont montés à Paris pour lui faire allégeance.

Je pense que quelles que soient les relations diplomatiques que personne ne conteste entre les Etats, le président Hollande aurait pu quand même émettre une certaine dose d'exigence démocratique. Or, en recevant M. Biya en personne, il sait très bien que celuici est tout sauf un démocrate. M. Hollande ne respecte pas son 58ème engagement qu'il a pris devant le peuple français, parce que le Cameroun n'est pas une démocratie. Le fait même qu'il n'a pas posé une exigence démocratique par rapport à ses relations avec l'Afrique nous inquiète au plus haut point. Car recevoir le président Biya est une prime et un encouragement à la dictature.

Il est clair, cela va de soi, que M. Biya ne respecte pas les institutions de son propre pays, notamment le fait que pour s'accrocher au pouvoir, il a dû faire sauter le verrou constitutionnel de la limitation des mandats. Sur le plan économique, il est clair que la coopération entre la France et le Cameroun est fortement déséquilibrée. C'est une relation gagnant-perdant, puisque la plupart des opérateurs économiques qui accompagnent le président sont des dirigeants de sociétés à capitaux majoritairement français. En 2012, le déficit de la balance commerciale entre la France et le Cameroun était de 400 milliards F Cfa en défaveur du Cameroun. Vous voyez donc que cette rencontre ne va rien apporter au peuple camerounais. Simplement, M. Biya considère que rencontrer un chef de l'Etat français constitue pour lui un nirvana politique.

“ Une visite de travail”, Fritz Ngo, président du Mouvement écologique camerounais (Mec)

Je pense que ce n'est que normal, dans le cadre des relations bilatérales. C'est une visite de travail. Nous avons beaucoup de projets structurants à réaliser. Ce n'est que normal, la France étant le premier partenaire commercial du Cameroun, de revoir un peu certaines conventions et d'harmoniser davantage nos relations. Je pense que c'est la bienvenue, pour une visite de travail de ce genre, que le président Biya et le président Hollande vont encore réaffirmer et réactiver leurs relations personnelles et politiques pour la France, pour l'Europe et pour les décisions mondiales. Surtout qu'aujourd'hui, il y a beaucoup de problèmes au niveau du terrorisme, etc. Mais, privilégions nos relations de partenaires égaux pour que cette affaire-là soit gagnant-gagnant. Evidemment, cette visite doit faire du bien aux Camerounais et aux Français parce que si nous voulons réaliser toutes les infrastructures pour le développement et pour le bien-être de demain, je pense que c'est tout à fait normal que notre premier partenaire commercial soit mieux impliqué. 

“Notre avenir n’est pas en France”, Franck Essi, secrétaire général du Cpp
Nous ne pensons pas qu'il y ait des choses fondamentales qui vont se décider là-bas en France. C'est une visite qui, en principe, devait être normale, mais qui fait l'objet de ce tapage à cause du froid qu'il y a entre le régime actuel et le dernier gouvernement français. Ce froid naît du retard démocratique, des élections mal organisées, de la violation des droits de l'homme, de la situation dans les prisons et de l'oppression de l'opposition.

Paul Biya va s'avancer sur ces questions en faisant des promesses, comme d'habitude, qu'il va appliquer à sa manière. Mais pour nous, l'essentiel se joue au Cameroun et cela doit être mené par les Camerounais. Le combat pour un Cameroun uni, démocratique et prospère se joue ici sur place. Et ça commence par la participation active de tous les Camerounais à la gestion de leur pays. Le Cameroun doit se développer avec des citoyens actifs et non spectateurs. Notre avenir est entre nos mains et non entre celles de la Chine ou de la France.

© Le Jour : Propos recueillis par Théodore Tchopa


08/02/2013
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