Quand les tortionnaires jouent les victimes

M.Fame Ndongo invite à un  « véritable  débat d’idées », mais ne définit pas d’entrée de jeu ce qu’il entend par débat ou par débat d’idées. Il s’empresse de s’étendre volubilement sur la présentation de la « logique aristotélicienne et anti-aristotélicienne » comme pour insinuer que les termes « logique » et « débat (d’idées) » sont synonymes.

 

A QUAND LE VERITABLE DEBAT D’IDEES ?

OU QUAND LES TORTIONNAIRES JOUENT LES VICTIMES.

Pr. TAKOUGANG Jean, Expert en Dialogue Social (Analyste Politique),

Traducteur Principal. (Tél. 99 84 60 40)

 

            Notre intérêt a été attiré par l’article intitulé « A quand le véritable débat d’idées ? » rédigé par le ministre Jacques Fame Ndongo, Secrétaire à la Communication du Comité Central du RDPC et publié à la page 06 du Cameroon Tribune du 19 avril 2010. Dans ce texte, le ministre de l’Enseignement supérieur nargue ces gens qui organisent des attaques contre le chef de l’Etat pour tenter de fragiliser le RDPC, qui diabolisent les partisans du président et infantilisent le peuple. Il croit savoir que ce sont les mêmes qui « se sont opposés à la révision constitutionnelle et qui, inaptes à vaincre le président Paul sur le terrain strictement électoral…, refusent de débattre à visage découvert avec les fidèles du chef de l’Etat et inventent une logique anti-aristotélicienne pour parvenir à leurs fins, en utilisant le bal masqué comme contexte, le couteau comme texte et la délation comme adjuvant ». Après avoir défini ce qu’il entend par logiques aristotélicienne et anti-aristotélicienne ainsi que leurs manifestations, il invite tous ceux-là qui ont des vues contraires aux siennes à « un débat d’idées et de programme». A travers cette invitation au débat plutôt dédaigneuse et condescendante, le ministre de l’Enseignement Supérieur et le professeur d’Université, du haut d’une chaire d’amphi, regarde les autres avec mépris et se présente ainsi comme « un instituteur brandissant sa férule devant une nation de cancres (A. Césaire). Par la hauteur de son verbe, la préciosité de son vocabulaire et la discourtoisie de son ton, ce texte (belliqueux) qui se voulait didactique soulève quelques remarques que nous allons présenter dans les lignes qui suivent :

1)      Prêcher par l’exemple

 

M. Fame Ndongo nous définit magistralement, exemples à l’appui, la notion de la logique aristotélicienne mais ne prêche pas lui-même par l’exemple dans la suite de son texte.

a) Il invite à un  « véritable  débat d’idées », mais ne définit pas d’entrée de jeu ce qu’il entend par débat ou par débat d’idées. Il s’empresse de s’étendre volubilement sur la présentation de la « logique aristotélicienne et anti-aristotélicienne » comme pour insinuer que les termes « logique » et « débat (d’idées) » sont synonymes. Pour notre part,  tout en lui concédant péniblement qu’un chevauchement puisse être possible entre ces deux notions, nous insistons que non seulement le mot débat peut bel et bien exister tout seul et se suffire par lui-même, mais encore que l’épithète « aristotélicien » n’est pas le seul courant auquel il puisse être associé: il peut par exemple être socratique (maïeutique, perpétuelle remise en cause, humilité), cartésien (rationalité, méthode, doute), pascalien (Induction, démonstration mathématique)... Donc, ces concepts, vitaux dans l’orientation, la délimitation du sujet et la compréhension de la suite du texte, auraient dû être explicités afin que le « téméraire » qui prendrait le risque de l’affronter à un éventuel duel  sache d’avance à quelle sauce il sera mangé et ce, d’autant plus que le sens des termes « débat ou débat d’idées » peut bien être brouillé par des mots tels que dialogue, entretien, conversation, discussion, concertation, affrontement, confrontation, querelle etc.

 

b) Le débat auquel il convie respecterait la logique aristotélicienne, référence faite à Aristote (384-322) av. J.C, savant et philosophe grec, disciple de Platon et créateur de la métaphysique et de la logique. Nous nous trouvons là à Athènes, dans la Grèce Antique où la critique de la tradition, (ancienne forme d’organisation politique où les décisions sont prises par des aristocrates dans le secret) a abouti à l’apparition d’une nouvelle forme d’organisation politique appelée démocratie, où les décisions sont prises par l’ensemble de la collectivité, en public, d’où la place prépondérante accordée à la parole (liberté d’expression et d’association) et aux débats publics, car il fallait savoir et pouvoir parler pour convaincre une Assemblée ou influencer ses décisions. Comment le RDPC peut-il reconnaître l’universalité du raisonnement logique et nous rétorquer chaque fois qu’il indigénise la démocratie « qu’il n’y a pas d’étalon universel de la démocratie », alors que les deux concepts, logique et démocratie, sont contemporains et tous issus de la Grèce, patrie d’Aristote dont il se veut le disciple? Il aurait pourtant été plus « aristotélicien » ou plus  « logique » que ceux qui veulent tropicaliser la démocratie invitent plutôt à un débat selon les règles de « la palabre africaine » où la violence trouve un exutoire dans la parole cathartique et dans un processus de négociation-médiation qui engendre la paix dans un climat de vouloir-vivre ensemble durable et partagé.

 

c) Les accusations et les justifications qui jalonnent la suite du texte sont fallacieuses et ne suivent en rien la logique du raisonnement aristotélicien. Il croit savoir que ceux qui nuisent à M. Paul Biya, à son parti et à ses fidèles sont des gens  « inaptes à vaincre le président Biya sur le terrain strictement électoral, incapables d’occuper systématiquement et scientifiquement le terrain comme le fait avec efficacité le RDPC dont S.E Paul Biya est le président national, ceux qui se sont opposés à la révision constitutionnelle et refusent de débattre à visage découvert… » Il ne nous démontre pas comment M. Paul Biya s’y prend pour occuper systématiquement et scientifiquement le terrain ni ce qui l’amène, lui, à pointer un doigt accusateur sur les boucs-émissaires qu’il choisit au jugé, en procédant par la technique du soupçon pour ainsi subtilement appeler à des purges, des chasses aux sorcières ou à des procès en sorcellerie d’autant plus que ce n’est qu’en interprétant  « certains signes à l’aune de la communication non verbale » qu’il  « identifie » (sic !) ces ennemis qui «refusent de débattre à visage découvert  et qui se livrent à une guerre de longs de couteaux dans un bal masqué où celui qui donne des coups bas est invisible ».

 

Les plaidoiries qu’il présente pour défendre son champion  s’égrènent plutôt comme une soliloque et non une argumentation de prétoire:

« Il est facile mais absurde de prétendre que le président Paul Biya  a fait réviser la constitution pour se maintenir « ad vitam aeternam » au pouvoir ( et non pour l’intérêt supérieur de la République), de prétexter qu’il a créé et fait réformer ELECAM pour gagner frauduleusement les élections (comme si cet organe n’était pas autonome), d’exciper de la prétendue politisation de l’Opération Epervier (alors que la Justice est indépendante), d’alléguer qu’il a une fortune colossale et des immeubles à l’Etranger, d’insinuer qu’il a spolié la trésorerie de l’Etat (vacances dispendieuses…), de décréter « ex cathedra » qu’il est de moralité douteuse, de postuler que son âge ne lui permet plus de diriger le Cameroun( comme si la compétence était proportionnellement liée au quantum de juvénilité), de fantasmer sur sa maladie imaginaire (Molière fait bien des adeptes à l’envers) etc. »

 Après cette fastidieuse litanie qu’il nous présente comme archétype de la logique aristotélicienne il peut enfin souffler, avec la fierté et la satisfaction du devoir accompli : «En conclusion, nous clamons haut et fort que le Cameroun se fait et se fera avec le Président Paul Biya qui est soutenu par la majorité des Camerounais » !

 

Nous nous serions attendu à ce qu’il prenne « ces chefs d’accusation » qu’il a lui-même inventoriés et qu’il les démonte les uns après les autres, de façon dialectique et convaincante. Par exemple, qu’il nous démontre que le Président Biya a changé la constitution pour l’intérêt supérieur de la Nation et non pour s’éterniser au pouvoir, (il était pourtant à cette époque le seul Camerounais frappé par la limitation des mandats pour la présidentielle de 2011), que ELECAM est autonome et qu’il n’a pas été réformé pour frauder aux élections (malgré la nomination, en flagrante violation de la loi, des militants les plus fanatiques et les plus zélés du RDPC à la tête de cet organe et le retour en force d’un MINATD ostentatoirement partisan et aux ordres), que la Justice est indépendante ( alors que le ministre de la justice  attend toujours que le Chef de l’Etat (et non la Justice) choisisse les suspects, l’opportunité et les modalités des poursuites dans  l’Opération Epervier), que le chef de l’Etat ne dispose pas d’une fortune colossale ni d’immeubles à l’Etranger ( déclaration de ses biens et avoirs conformément à l’article 66 de la Constitution) etc.

 

Mais il fallait être trop naïf pour attendre du professeur cette démarche qu’il enseigne pourtant à ses étudiants et à tous ses contradicteurs. Un spécialiste de la Grèce antique ne peut être étranger à la sophistique du barreau. Par la parole ou l’écrit, il cherche à faire naître telle ou telle opinion. Il ne débat pas pour expliquer ou donner les moyens de comprendre, mais pour avoir raison et produire sur les hommes des effets qui leur font adopter sa propre croyance, ou pour extorquer le vote qu’il attend d’eux. Il ne parle pas pour communiquer, mais pour éblouir, manipuler, convertir, transformer : les mots comme modus operandi, litanies ubuesques, incurie, ex nihilo, quantum, fantasmagorique, burlesque, bonimenteurs, aphone, amnésique, élucubrations, fantasmes, urbi et orbi, ex cathedra, ad aeternam, ploutocrate, ad hominen, canularesques et abracadabrantesques  (entre autres) dans une communication politique destinée au grand public n’ont pas pour but de convaincre, mais d’impressionner, de séduire et de susciter la peur de l’inconnu ou de quelque sortilège. Ce sont des formules magiques ou incantatoires qui nous transportent soit devant la caverne d’Ali Baba, soit dans une célébration eucharistique en latin. Et cela peut être efficace devant une foule moutonnière: depuis que l’église catholique a eu « la malencontreuse idée » de laisser traduire la bible et dire la messe en langues locales, le catholicisme a perdu de sa mystique et de son mystère et depuis, mes parents ont tout compris et ont perdu la foi! Qu’adviendrait-il du RDPC si les Camerounais pouvaient comprendre la vacuité de ce qu’il leur propose ? La rhétorique politique sophiste ne propose ni raison ni arguments; elle joue sur les passions qu’elle exacerbe pour opposer et soulever la haine. C’est pourquoi le RDPC présente les gens qu’il invite au débat sous leur jour le plus sombre.

 

Sur le plan intellectuel, ce sont des gens incultes, ignares, ne pouvant raisonner que par « la logique anti-aristotélicienne, des adeptes des arguties, des arguments spécieux et canularesques qui nous ramènent à l’ère gothique, des apprentis-sorciers, des incapables dont les seuls hauts faits sont le mensonge, la calomnie, les élucubrations, les fantasmes,… » ! Il n’y a rien à attendre ni à tirer de tels interlocuteurs lors d’un débat. D’ailleurs M. Fame Ndongo sait d’avance qu’il n’y en face aucun « débatteur assez courageux » et suffisamment outillé pour comprendre son langage cabalistique. Voilà pourquoi, très sûr de lui, il peut évoquer la pièce « En attendant Godot » de Samuel Becket et tancer les autres par ce cri de guerre : « Que ceux qui ont des vues contraires acceptent de débattre, démocratiquement et à visage découvert, avec nous, chiffres contre chiffres, date contre date, fait contre fait » ! 

 Sur le plan civique, il recourt à la théorie du complot pour désigner ses potentiels contradicteurs : ce ne sont pas des compatriotes qui aiment eux aussi le Cameroun, mais des conspirateurs impénitents qui ne peuvent pas

 «  surclasser le Président Paul Biya par la voie des urnes et dans la transparence démocratique pour arriver à leurs fins, utilisent le bal masqué comme contexte, le couteau comme texte et la délation comme adjuvant ; qui « ont érigé en règle d’or la démocratie du couteau, qui veulent esseuler  le Chef de l’Etat et le transformer en une proie facile à abattre ou à capturer, qui veulent induire en erreur les Camerounais, les investisseurs étrangers, les touristes, voire les institutions financières internationales pour disqualifier notre pays sur la scène mondiale, Internet aidant, qui veulent ternir l’image du chef de l’Etat à l’intérieur et hors des frontières, espérant que le peuple « manipulé» se révoltera et votera contre le candidat statutaire et légitime du RDPC à l’élection présidentielle ou descendra dans la rue pour désavouer le premier magistrat camerounais par « des raccourcis anti-démocratiques ».

 

 En un mot, ce sont des fauteurs de troubles et de guerre, des putschistes, des ennemis de la République et de la paix,  des renégats coupables de haute trahison et qui devraient passer devant la cour martiale pour être expéditivement jugés et être pendus haut et court.

Pour notre part, nous croyons qu’un débat est une discussion constructive sur un sujet précis, annoncé à l'avance, discussion à laquelle prennent part des individus ayant des avis, idées, réflexions ou opinions divergentes. Un débat d’idées est un débat argumenté où on cherche à convaincre par des arguments pesés et raisonnés. Débattre, c’est partager son point de vue,  écouter et comprendre celui de son interlocuteur, entendre et apprécier les nuances, apprivoiser la complexité d’un sujet sans a priori. Le débat, surtout le débat démocratique, doit être un dialogue où les interlocuteurs recherchent honnêtement et sans parti-pris la meilleure solution à un problème controversé, où chaque partie, pour l’intérêt supérieur du vouloir vivre ensemble, est prête à modifier son opinion ou à revoir ses prétentions à la baisse, si on lui apporte des arguments pertinents. Il doit à tout prix viser à dégager les lois et les règles construites pour la vie en commun.  Le principe de base du débat démocratique doit être la reconnaissance de l’égale dignité de l’autre fondée sur des valeurs communes. Quand on n’a rien en commun, il n’y a pas de débat possible !

 

Le débat argumenté a une dimension éthique : il implique un mode de comportement, une façon de se conduire qui permet la mise en contact des esprits. D’où l’élaboration d’un langage commun (donc de s’entendre sur la signification des mots), une écoute et un respect des autres interlocuteurs, une considération réciproque, une certaine empathie (aptitude à comprendre les arguments d’autrui, sans pour autant renoncer à ses propres arguments), en un mot, un respect mutuel. Instaurer le débat, c’est renoncer à la violence. Si « l’homme est un loup pour l’homme », tant qu’il dialogue, il reste homme et cesse d’être loup ».  De tout ce qui précède, on peut se poser quelques questions sur la « préoccupation » de M. Fame Ndongo quant à son invitation au débat: 1) Qui a peur du débat d’idées ? 2) Qui doit l’organiser? 3) Qui est habilité à y prendre part ? 4) Quels sont le genre et l’objet du débat ?

                                   1. Qui a peur du débat ?

Le sujet, tel qu’il est formulé donne à penser que le RDPC est très ouvert aux débats et que ce sont les autres qui se dérobent  parce qu’ils n’ont rien à dire ou ne sont pas à la hauteur de quelque duel intellectuel. On constate ici qu’après un demi-siècle d’un règne musclé et sans partage, l’UC-UNC-RDPC et ses cadres sont restés, selon Lacan, au « stade du miroir », caractérisé par une relation spéculaire (miroir), de nature imaginaire et illusoire, narcissique et intrusive ; elle est marquée par l’agressivité et une haine meurtrière de l’autre, puisqu’elle confond amour et identification, mais surtout, elle est transitiviste. Le transitivisme est un mécanisme délirant observé dans la schizophrénie, qui amène le patient à projeter sur autrui ses propres actes : le tortionnaire qui se plaint d’avoir été torturé par une victime mutilée, à l’article de la mort ! Quand le RDPC, parti-Etat, prend les devants pour se « plaindre » de l’absence des débats d’idées, de l’infantilisation du peuple, de la diabolisation de son chef et de ses fidèles, il ne faut pas être particulièrement futé pour comprendre que lui seul a les moyens et les ressources pour accomplir ce qu’il semble déplorer et que sa relation spéculaire transitiviste et la « pulsion de mort » l’amènent à attribuer à l’autre qu’il ne peut supporter et qu’il veut détruire tous les actes négatifs qu’il a lui-même commis. Cela permettra de le livrer à la vindicte populaire et de se faire bonne conscience!

 

 Sinon que sont devenus respectivement la « Tribune Libre » autrefois animée par M. Albert Mbida et Espace politique réservés aux partis politiques représentés à l’Assemblée Nationale ? Lorsqu’un gouvernement s’arroge le monopole de la communication politique en confisquant les médias d’Etat, en mettant une pression insoutenable sur les autres médias audio-visuels par le prix exorbitant de la licence d’exploitation, en laissant tournoyer au-dessus de leur tête l’épée de la « tolérance administrative » qui permet de fonctionner dans une semi-illégalité et de pousser les promoteurs privés à une telle auto-censure qu’ils en viennent à changer radicalement leur ligne éditoriale pour pouvoir exister, en faisant fermer des radios et des télévisions qui dérogent à cette règle non écrite de l’exigence de la génuflexion et de l’inféodation, il peut avoir beau jeu de jouer aux victimes et d’attribuer  aux autres tous ses échecs et toutes ses turpitudes. Mais que pouvions-nous attendre d’autre d’un Etat totalitaire ?

 

Dans Démocratie et totalitarisme, Raymond Aaron explique que l’un des éléments-clé du « phénomène totalitaire » est le monopole et le contrôle des moyens de propagande : « Pour répandre la vérité officielle de l’Etat issue du Parti, l’Etat se réserve un double monopole, le monopole de la force et celui des moyens de persuasion. L’ensemble des moyens de communication, radio, télévision, presse, est dirigé, commandé par l’Etat et ceux qui le représentent ». M. Fame Ndongo ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit : «Au RDPC, nous sommes prêts et les organes de presse sont disposés à médiatiser nos débats » De quels organes de presse parle-t-il ? De ceux du RDPC, de l’Etat, du privé ou tous à la fois ? Qu’y a-t-il eu de nouveau pour que subitement ils acceptent tous, sans crainte, de faire ce qu’ils ont refusé de faire depuis vingt ans ?

 

Dans sa dimension politique, le débat est usage et affirmation de la raison dans la liberté de la parole et la possibilité d’user du débat public. Quand chacun peut s’informer, confronter sa pensée à celle des autres, présenter et défendre son point de vue, alors s’établissent les conditions de l’accession à l’autonomie personnelle sans laquelle il ne peut y avoir de démocratie. Le cheminement de la raison ne peut se faire sans conquête de cette autonomie. Le débat public est le seul à même de pouvoir instituer le citoyen dans la jouissance et l’exercice total de sa citoyenneté. Le régime totalitaire RDPC le sait bien qui met tout en jeu pour étouffer l’expression publique du désaccord par l’intimidation, la violence et un constant abus d’autorité. Ceci se traduit par sa haine viscérale et destructrice de la pensée individuelle et autonome, du journaliste indépendant, du non-conformisme et de la contradiction.

2)      Qui doit organiser les débats (publics) ?

Le débat est une pratique sociale qui doit être organisé par le gouvernement selon les règles de l’art, c’est-à-dire l’accord sur un thème, un format, le respect de la durée globale et de ses composantes, les rôles des différents participants et les modalités de leurs interventions, l’agencement du lieu du débat, les modalités de cadrage en cas de retransmission télévisée, l’animateur (le modérateur) qui s’attache à faire respecter les règles, notamment celles relatives à la courtoisie et au temps de parole. Il faut aussi savoir d’avance si ce sera un face à face, une table ronde etc.

 

 

3) Qui est habilité à y prendre part ?

Le texte nous donne à penser que ce sont d’abord les partis politiques qui sont invités (incapables de vaincre le président Paul Biya sur le plan strictement électoral), puis, tous les autres contre-pouvoirs (ceux qui se sont opposés à la révision constitutionnelle), mais peut-être aussi certains militants dissidents du RDPC (qui refusent de débattre à visage découvert avec les fidèles du Chef de l’Etat). Voilà ceux que le RDPC invite, dit-il, à « un débat démocratique ». Mais seulement, nous ne sommes pas dans un pays démocratique. Nous sommes dans un pays totalitaire, le RDPC n’ayant jamais accepté ni le pluralisme ni le moindre consensus, ni le moindre compromis. Toutes ses stratégie de dialogue ont toujours consisté à phagocyter, à humilier, à pousser à la compromission.

 

La préoccupation première de dirigeants totalitaires soucieux d’empêcher toute remise en cause de leur présence au pouvoir réside dans la mise en place d’un verrouillage institutionnel étroit : Interdiction de toutes les activités politiques et sociales organisées (partis, syndicats, marches, associations de la société civile, élections truquées…) Or, être démocrate consiste non seulement à accepter la pluralité des partis politiques mais aussi l’évidence que la légitimité n'est le monopole d'aucun d'entre eux en particulier. D’où la nécessité de doter l’opposition d’un statut pour la rendre stable, assurer l’effectivité de la démocratie, de la compétition politique et la prévention des conflits. Les meilleures démocraties (Angleterre, Japon, Canada…) ont constitutionalisé leur opposition car elles ont compris qu’il fallait consigner dans un document unique les droits et les obligations, les moyens et responsabilités devant permettre à l’opposition d’assumer sa fonction d’alerte, de critique et d’alternance à la majorité qui exerce le pouvoir d’Etat. En Afrique, le Burkina Faso, le Bénin, le Sénégal, la Mauritanie, la RDC, le Mali etc., ont franchi ce pas depuis longtemps. Quant au Cameroun, le multipartisme et la démocratie resteront encore pour longtemps « précipités » et la concurrence « éventuelle » comme l’avait annoncé le président du RDPC.

4) A quel débat sommes-nous invité ?

  M. Fame Ndongo et le RDPC veulent nous prouver  « chiffres contre chiffres, dates contre dates, faits contre fait, que, sur tous les plans, Paul Biya est de loin le meilleur et que le Cameroun se fait et se fera avec Paul Biya ». Le ton éminemment condescendant et narquois de son texte nous prouve que ce n’est pas à un débat d’idées que nous sommes invités, mais à un dialogue éristique où la controverse l’emporte sur l’échange, à une confrontation où le but n’est pas l’établissement de la vérité, mais le succès dans le combat.  Il nous invite à une querelle où chaque acteur s'en prend verbalement et violemment à l'autre dans  ce climat d'entêtement, d’étanchéité ou d'agressivité qui dégénèrent souvent en coups de poing; où aucune des parties n'est prête à changer d'opinion, même devant une réfutation argumentée et convaincante ; où chaque acteur veut vaincre, voire humilier l'autre, l'objectif de chacun des participants étant de l'emporter sur l'adversaire en utilisant par tous les moyens.

 

 

Lorsque M. Fame Ndongo parle du choix de la candidature à la présidentielle dans son parti, on ne peut s’empêcher de se représenter le RDPC comme une religion (ou une secte) dont le président national est la divinité (ou le gourou). Cette idée se renforce quand il parle de M. Biya comme le « sujet-héros du texte politique camerounais ». La relation spéculaire dont nous avons parlé plus haut est aussi caractérisée par la croyance aveugle dans des affirmations fanatiques. Aucun débat d’idées n’est possible quand on nous amène sur le terrain glissant de la foi et des croyances. On comprend pourquoi M. Fame Ndongo ne pouvait qu’être disciple d’Aristote, plus connu en son temps pour la métaphysique que pour la logique. En astronomie, il considérait que l’Univers était sphérique et fini et que la Terre était placée en son centre. C’est ainsi que ses disciples politiques de chez nous ne peuvent que croire que le Cameroun est sphérique, que le RDPC, son chef et ses fidèles sont placés en son centre, et que quiconque s’en éloigne, aura perdu la vie éternelle.

 

 

 Nous entrons ainsi de plain-pied dans le fanatisme politico-religieux où le fanatique, assassin potentiel, cherche à écarter, voire à supprimer du monde tous ceux qui ne partagent pas exactement ses combats, ses analyses et sa vision du monde. C’est toujours la peur de douter et la fureur de ne pouvoir prouver qui font que le fanatisme est toujours des plus virulents dans les domaines où les preuves font cruellement défaut. Le fanatique est sûr de détenir la Vérité et la science infuse. Se posant en apôtre d’une religion, il nous invite non pas à un débat d’idées mais à des séances d’endoctrinement, d’évangélisation, de conversion, de gré ou de force. Car ne pouvant accepter l’altérité, le fanatique vous tuera, s’il ne parvient à vous manipuler et à vous convertir. Il s’agit donc en réalité d’un monologue dialogué où le RDPC parle seul, s’écoute, s’extasie et se pâme en entendant les intonations de sa propre voix. Il s’agit d’un forum pour faire entendre « ces sourds qui ne veulent guère entendre » et déciller « ces aveugles qui refusent de voir la probité de S.E Paul Biya, la consistance de son bilan et la pertinence de sa vision pour l’avenir du Cameroun ». En un mot, le débat auquel on nous invite n’a pour but que de nous amener à concélébrer le culte d’un dieu vivant : Paul Biya ! Dans une secte, les partisans sont toujours plus fanatiques que le gourou, car ils ne s’appartiennent plus, ayant été déposséder de leur capacité à penser par eux-mêmes.

 

 

D’ailleurs, il se dit qu’au cours d'une réunion de l'élite de la région du Sud consacrée à la préparation du comice agro-pastoral d'Ebolowa, un ministre a déclaré« Nous sommes tous des créatures ou des créations du président Paul Biya, c'est à lui que doit revenir toute la gloire dans tout ce que nous faisons. Personne d'entre nous n'est important, nous ne sommes que ses serviteurs, mieux, ses esclaves ». Ceci nous renvoie au fameux propos de Goering : « Je n’ai pas de conscience : ma conscience, c’est Adolf Hitler ! » On comprend pourquoi chaque cadre du RDPC, qui n’est en fait qu’un esclave, s’empresse d’initier une motion de soutien pour rassurer son maître de son indéfectible loyauté et de son renoncement à toute forme d’ambition politique. Car, autant dans une secte on est serviteur et esclave du gourou, autant dans le RDPC, comme dans toute religion, on ne peut que s’effacer devant la Divinité. Mais quand M. Fame Ndongo à qui tous les organes de presse attribuent la paternité de ces propos les renie aujourd’hui et nous jure, la main sur le cœur, qu’il n’a jamais dit qu’ils étaient des esclaves, mais plutôt des adjuvants, nous sommes en droit de nous demander si cette pirouette, pour le moins périlleuse, est la nouvelle logique aristotélicienne dont il se servira lors des débats auxquels il nous convie sans trop y croire. Auquel cas, il vaut mieux attendre Godot !

 

Yaoundé, le 11 Mai 2010

 

Pr. TAKOUGANG Jean, Expert en Dialogue Social (Analyste Politique),

Traducteur Principal. (Tél. 99 84 60 40)

 

Copyright © 2010 icicemac.com

 



19/05/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres