Psychose: L'armée menace-t-elle Paul Biya?

Yaoundé, 14 Août 2013
© Dominique Mbassi | Repères

C'est l'enfant gâté du Renouveau mais qui, de plus en plus, s'illustre par ses dérives. Au point de constituer une menace pour la stabilité de l’État et devenir une source d'insécurité.

Le Ministre de la Communication demandait, il n'y a pas longtemps, à la presse d'éviter de parler de la «Grande muette qui par essence ne parle pas». Mais à force de faits d'arme pas forcément glorieux, M. Issa Tchiroma Bakary s'est finalement résolu à organiser une communication gouvernementale sur l'armée camerounaise le 21 avril 2011. Sur instructions du Président de la République, il a édifié l'opinion publique sur le braquage de l'agence Ecobank de Bonabéri à Douala dans la nuit du 18 au 19 mars 2011, en confirmant l'implication des éléments des forces de défense dans cette opération.

Tout un commandant, ainsi que cinq autres éléments des forces de défense, mis aux arrêts pour leur participation présumée à ce braquage. Jusqu'ici, les hommes en tenue se contentaient des exactions «mineures» sur les populations civile : des élèves officiers de l'Emia s'introduisent sans autorisation dans le campus de l'Université de Yaoundé pour leur sport et cassent au passage un véhicule de reportage de la Crtv coupable d'avoir exigé le passage, des militaires brutalisent les étudiants dans une mini-cité à Soa, les pensionnaires du centre de formation de la garde présidentielle molestent de manière récurrente les populations d'Obala, des éléments du Bir passent à tabac des habitants de Limbe, etc. Démontrant par la que si sa mission principale est la préservation du pays, elle peut aussi mettre en péril la sécurité intérieure.

M. Paul Biya a pourtant tout donné à l'armée. A commencer par la considération sociale. Avant son arrivée au pouvoir, elle recrutait essentiellement parmi les «ratés». Aujourd'hui l'armée est très prisée. «Ce n'est pas seulement parce qu'elle offre la chance même à ceux qui n'ont pas véritablement de diplômes dans un environnement où l'emploi est rare. Il y a surtout que depuis 28 ans l'armée est choyée. Elle n'a jamais connu de baisses de by Savings Wave">salaires si bien qu'un sergent gagne autant sinon plus qu'un enseignant du secondaire», explicite un cadre de la Fonction publique.

Mais plus le Président de la République joue le père Noël, plus l'enfant prodigue semble ne pas se satisfaire des multiples cadeaux dont il le gratifie. Et pis, il en fait désormais à sa tête, galvanisé par la frilosité de son chef suprême qui semble s'interdire l'usage du bâton. Revue de ses hauts faits d'armes. Non contents de leurs émoluments que leur envient les civils, une frange importante de ses éléments a en plus instauré le «Mboma», un nom de code qui désigne le réseau de trafic des salaires et avantages au vu et au su de la haute hiérarchie militaire. Qui en bénéficie aussi.

Si bien que l'armée, peut-être concernée au premier chef, réussit à se soustraire des différentes opérations d'assainissement du fichier solde de l’État menées par le Ministère de la Fonction publique et de la réforme administrative. Le Ministre des Finances est stoppé net dans son entreprise de récupération des milliards ainsi perdus par l’État, en raison des risques de remous au sein de la troupe agitée par ses hommes. Des arguments similaires permettent d'entretenir le trafic de carburants, la perception des commissions dans l'achat des armements, le monnayage des recrutements et des nominations, etc.

D'aucuns invoquent la même inquiétude pour expliquer l'embarras présidentiel face à la by Savings Wave">retraite des officiers généraux. «C'est une question très sensible, difficile à trancher pour le Président de la République. Observez bien que sa décision d'envoyer enfin à la retraite quatre généraux frappés par la limite d'âge ne concerne pas d'autres pourtant concernés par ce critère», observe un enseignant.

Preuve qu'elle dicte sa loi, l'armée refuse de soumettre la gestion de son budget à tout contrôle, même le Contrôle supérieur de l’État n'y est pas admis. Pourtant, en 2008, Transparency International l'a classée troisième administration la plus corrompue du Cameroun. Le classement de cette ONG semble à ce point pertinent que le Président de la République a marqué son accord pour que des experts militaires américains de la Defence Institute of International Legal Studies jettent les bases d'un plan de guerre contre la corruption au sein de la «Grande Muette». Ces experts ont beau, au terme d'un séminaire tenu du 8 au 11 septembre 2008 à Yaoundé, rappeler à la Conac, la Chambre des comptes de la Cour suprême, à l'Anif et au Contrôle supérieur de l’État qu'ils disposent d'outils légaux leur permettant de traquer les dérapages budgétaires et les malversations financières, ces structures demeurent impuissantes.

Pour M. Mathias Eric Owona Nguini, cette situation n'est nullement liée à l'armée en tant qu'institution. Elle est davantage le fait des favoris à qui on a accordé des passe-droits en vue de leur recours pour la défense et la survie du régime. Il peut alors arriver qu'ils utilisent ces positions de rente comme une espèce de chantage», soutient le politiste. En ce moment où le pays a la sensibilité à fleur de peau, l'armée ne rassure guère. Le cas burkinabé, où une poignée d'hommes en tenue a voulu refaire le monde selon la volonté des armes dont elle disposait doit servir d'alarme.


14/08/2013
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