Prostitution: Le sexe se vend toujours bien à Yaoundé

YAOUNDÉ - 24 Avril 2012
© Ateba Biwolé | Le Jour

A côté des vielles recettes, les belles de nuit inventent de nouvelles techniques pour davantage attirer les clients. Elles conquièrent de nouveaux territoires dans la ville.

Quand on sillonne les rues de Mvog-Mbi, Mvog-Atangana Mballa, Etoudi, Essos, il est difficile de croire que la prostitution est interdite par le code pénal camerounais en son article 343.

Est punie d’un emprisonnement de six mois à cinq ans et d’une amende de 20.000 F.Cfa à 500.000 F.Cfa, toute personne de l’un ou de l’autre sexe qui se livre habituellement, moyennant rémunération à des actes sexuels avec autrui. La prostitution continue en effet de faire vivre plusieurs familles dans la capitale politique du Cameroun. Celles que le sociologue Valentin Nga Ndongo appelle «les amazones de Yaoundé», dans son ouvrage intitulé «Violence, délinquance et insécurité à Yaoundé» ne cessent de gagner du terrain, parfois aidées par des policiers. Ces amazones pratiquent essentiellement la prostitution extérieure, celle qui consiste à racoler sur la voie publique, les bars et autres lieux de loisirs. La prostitution en établissement, c'est-à-dire dans les hôtels, les auberges, les motels, et la prostitution à domicile: plus déguisée et entretenue par des femmes tenant dans leurs maisons un commerce.

Le quartier Mvog-Atangana Mballa grouille de monde en cette nuit du vendredi 13 avril 2012. Les gens vont et viennent, le pas lent. Il est pourtant minuit. Comme la majorité des gargotes ici, Anyang Coffee ne désemplit pas. Il est difficile de se frayer un chemin pour atteindre le comptoir qu’entourent de jeunes filles légèrement vêtues, dos et ventres dehors, malgré le froid. Les fameux vêtements Dvd exposent bien les corps. «La marchandise se vend bien quand elle est exposée», dit-on en langue ewondo. Minutes après minutes, certaines sortent, toutes flanquées d’hommes.


Jeunes et jolies

Les couples se dirigent tous vers des auberges de fortune mal tenues qu’indiquent des ampoules rouges négligemment suspendues à l’entrée de chacun de ces établissements. Les filles, dans leur majorité, sont visiblement jeunes et débutantes. «Ce sont des prostituées, mais ce sont des enfants qui ne connaissent pas ce travail. Elles débutent à peine et acceptent n’importe qui et n’importe quoi», lance Sabine Mendoua, fille de joie bien connue au quartier Mvog-Atangana Mballa et à Mvog-Mbi. Sabine est visiblement courroucée car, depuis l’arrivée de ces jeunes amazones, il y a un an, elle est de moins en moins sollicitée. Les recettes de cette «ancienne» ne cessent de baisser. L’activité est aussi intense entre le carrefour et le commissariat de Nkolndongo.

La causerie avec Sabine est interrompue par une jeune fille. Elle s’approche, sa forte poitrine à peine couverte de son décolleté presque transparent, alors que son string rouge est bien visible à cause de son «matelot», cette très courte culotte devenue tendance, couleur noire, volontairement portée en taille basse. Elle laisse voir la naissance de ses fesses. La mise en valeur des seins et du postérieur semble être la démarche marketing considérée comme efficace lorsqu'on veut décrocher le partenaire le plus offrant, à en juger par les tenues que portent les filles ici. «Chéri, on va couper?», demande la nouvelle venue. Personne ne lui répond, mais elle insiste. Quelques minutes après, elle finit par trouver un «pigeon». Celui-ci la fait monter dans son véhicule après un bref échange, au cours duquel il est surtout question de négocier le prix. Le couple s’en va vers une destination inconnue. Mais 20 mn après, la fille est de retour. On apprendra d’une de ses amies qu’elle a «pointé» 2. 000 F.Cfa, après «le partage dans le véhicule» avec son pigeon.

«Les clients en voiture sont ceux qui payent le mieux, parce qu’avec eux, vous n’avez pas à payer la taxe à l’auberge», confie Rachel E., prostituée. Cette taxe s’élève à 500 F.Cfa, alors que le client débourse 2.000 F.Cfa pour une passe. Les filles de nuit préfèrent donc les hommes en voiture. Par ailleurs, elles évitent au maximum de se rendre chez les clients qui le leur proposent. «Je ne vais pas avec les gens chez eux, parce que quand tu le fais, les hommes abusent toujours de toi. Quand ils n’opèrent pas un viol collectif, ils te dépouillent ou ils profitent de toi sans payer, sachant bien que tu n’iras te plaindre nulle part», déclare Sabine.


Deal avec des policiers

Cette attitude prudente est presqu’une règle dans la profession car, aux lieux-dits Carrefour de l’Intendance, Montée Ane rouge, Sho, Hippodrome et Hôtel de ville, aucune fille n’accepte de quitter son poste. Elles préfèrent s’occuper de leurs partenaires sur des cartons, à l’arrière ou dans les magasins de certaines entreprises installées ici. L’un des bâtiments de la Caisse nationale de prévoyance sociale (Cnps) est d’ailleurs fort utilisé pour ces activités. «Il n’est pas prudent de se rendre chez l’homme, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut arriver. Nous préférons l’auberge ou les cartons», révèle Aïcha, dont la renommée est établie au lieu-dit Campero. Le client qui accepte d’aller avec sa compagne sur des cartons ne débourse que 1.000 F.Cfa. S’il se rend à l’auberge, il paye entre 3.000 et 5.000 F.Cfa.

Selon des habitués de ces endroits, l’autre option, pour ceux qui veulent absolument rentrer avec une fille, est la patience. Cette option consiste à attendre le lever du jour pour la convaincre. «Le seul moment où il est possible de convaincre une fille ici c’est quand le jour commence à se lever, c'est-à-dire vers 4 h. Il y a des filles qui cherchent où aller, ou qui ne veulent pas dormir seules, d’autres ont terminé leur nuit et il est plus facile de les convaincre», affirme Alex Ndem, plus connu ici sous le nom d’«Apache».


«Tchouk and pass»

Entre Campero et l’hôtel de ville, il se dit que les filles travaillent avec la complicité des policiers. Et l’argent est au centre de ce deal pour le moins surprenant. «Quand l’une de nous va avec un client, les autres alertent les policiers par des sms ou par des appels. Elles indiquent l’endroit où le couple s’est rendu», chuchote une des prostituées approchées à la montée Ane rouge. Selon elle, les policiers interviennent toujours en pleins ébats et happent l’homme qu’ils menacent de conduire au poste de police en citant l’article 343 du code pénal camerounais qui punit la prostitution et le racolage. Mais il suffit souvent au «pigeon» de donner entre 500 F.Cfa et 1.000 F.Cfa pour être libéré.

Au quartier Emombo, à 15 minutes de voiture du centre-ville, la rue n’est qu’une vitrine pour celles qui pratiquent le plus vieux métier au monde. Une fois le marché conclu en effet, les filles conduisent leurs clients à domicile. Au lieu-dit Emombo 2eme, Samantha, Emilie et Nadège occupent une chambre derrière un bar. C’est sur un matelas jeté par terre au milieu de la pièce. Le service coûte 1.000 F.Cfa. A chacune son tour avec son client. Ici, l’expression «Tchouk and pass», en français «tire et pars» trouve tout son sens. Les clients sont toujours appelés à se dépêcher pour laisser la place au suivant. Certaines proposent toutefois l’auberge à leurs partenaires. A Essos, au lieu-dit Camp Sonel, la seule option qui se présente aux clients, c’est l’auberge.

Au marché d’Ekounou, connu depuis des années pour ses bars, c’est sur les tables et les comptoirs des commerçants qu’on décolle pour le septième ciel. Les filles hèlent tous ceux qui passent ici la nuit. Le langage est très imagé. Morceaux choisis: «mon gars, viens, je te cut» ; «bébé, viens je te fais pleurer à kolo». Le client ainsi aguiché va débourser 1.000 F.Cfa. Le «coup» se tire derrière des boutiques ou des bars installés. «C’est plus facile, parce que quand nous proposons l’auberge, certains trouvent que c’est trop cher. Or, derrière la boutique, il donne juste 1.000 F.Cfa et on s’occupe de lui», révèle une fille. Ici aussi, il faut faire vite, «tchouk and pass», pour éviter d’être la cible des agresseurs qui rôdent, jouant les protecteurs de ces vendeuses de sexe.


Nouveaux lits

Jusqu'à il y a quelques années, le quartier Nsam n’était pas connu comme un repaire de prostituées à Yaoundé. Elles ont aujourd’hui gagné le Carrefour Nsam, devenu un lieu aux milles plaisirs. Entre l’agence de Garanti Express et le lieu-dit Nsam-Sofavinc, tous les bars et autres bistrots ouverts ont encouragé les belles de nuit à venir «se chercher» ici. Mais l’activité n’est pas aussi visible qu’à Campero, Essos, Etoudi ou Mini-ferme. Les filles se font plus discrètes. Pour «attaquer», les «gos» n’ont pas besoin de se mettre à nu.

«Quand vous mettez des habits qui laissent trop voir le corps, il est certes facile d’attirer les hommes, mais vous attirez aussi la police. Moi, je m’habille dignement et je viens attendre», explique Eveline. Agée de 38 ans, le teint clair, la poitrine généreuse et le derrière cambré sur ses talons aiguilles, elle opère entre 20h et minuit, tous les soirs. Mais ses gains ne sont pas aussi élevés que ceux des filles de Campero ou de l’hôtel de ville. «Je m’en tire toujours avec au moins 5.000 F.Cfa par soirée, raconte Eveline. Ceci me permet de payer mon loyer et de m’occuper de ma fille». Demandez lui si elle conseillerait la prostitution à son rejeton de 13 ans, elle répond sans hésiter: «Je ne le ferais jamais, car, j’y suis malgré moi. Je suis une sorte d’objet pour les hommes, qui m’utilisent pour se soulager».


24/04/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres