Promesses électorales et devoir d’inventaire

Journal Mutations 21/03/2011

Promesses électorales et devoir d’inventaire

Le 05 octobre 2004 à Monatélé, capitale départementale de la Lékié, Paul Biya faisait l’un de ses rares discours de campagne pour l’élection présidentielle qui devait avoir lieu cinq jours plus tard. Pas avare en promesses, il déclinait son slogan de « Grandes ambitions » comme les piliers d’un vaste programme en cinq points qu’il n’est pas inutile de revisiter dans ses grandes lignes en l’accompagnant de commentaires propres basés sur les éléments de contexte.
1- «La poursuite de la modernisation de notre système démocratique. Nous bénéficions déjà des avantages essentiels de la démocratie. Institutions représentatives et exercice des droits et libertés fondamentaux. Grâce à la décentralisation, nos populations seront mieux associées à la vie publique (…) Nous agirons énergiquement pour développer le «comportement citoyen» qui est à la base de l’harmonie sociale.»
Bientôt 7 ans après, rien n’a véritablement changé. La décentralisation a timidement été lancée et connaît de nombreux hoquets. Elecam a été mis sur pied dans un contexte de crise de confiance entre les principaux acteurs politique –avec notamment un président du conseil électoral impliqué dès le départ dans une scabreuse affaire d’immigration clandestine qui n’a jamais été élucidée et les autres membres du conseil accusés d’être des responsables du parti au pouvoir- dont la plupart, ceux de l’opposition, continue de lui contester toute indépendance et toute impartialité, en dépit des gages que multiplie le directeur général des Elections pour garantir la transparence du processus électoral. Quant au comportement citoyen, il a accouché de l’opération Epervier qui s’est rapidement muée en une action d’épuration politique.

2- «Au plan économique, nous n’allons pas nous satisfaire des 5% de croissance. Nous pouvons, nous devons faire mieux (…) Nous allons tout faire pour porter notre économie à un niveau plus élevé, en ouvrant de nouvelles perspectives à une grande politique agricole, en mettant en œuvre un programme énergétique d’envergure, en mettant en œuvre une politique industrielle digne de notre pays et en développant nos richesses touristiques».
Le gouverneur de la Beac déclarait il y a quelques jours, au sortir d’une réunion du comité monétaire, qu’il y avait espoir d’atteindre cette année le taux de croissance de 5%. C’est dire qu’entre temps on a encore reculé. Qui en serra surpris ? La grande politique agricole annoncée il y a 7 ans a été encore rappelée il y a quelques semaines lors du comice agropastoral d’Ebolowa, où on aurait dû faire un premier bilan. Le programme énergétique et la politique industrielle sont encore en projet pendant que le pays cherche toujours à dépasser le seuil ridicule des 500.000 touristes par an…

3- «Nous allons faire en sorte que ce nouvel élan serve ce qui demeure notre priorité : le progrès social. Il faut admettre que les retombées de la croissance ont été inégalement reparties. Trop nombreux sont nos compatriotes qui sont restés sur le bord de la route de l’amélioration de la situation économique (…) Je connais les soucis des Pme-Pmi dont les créances restent impayées, je connais les difficultés de la Caisse d’épargne postale, les inquiétudes des salariés lorsque les traitements ne sont pas payés à temps, la désespérance des retraités aux maigres ressources, les déceptions de certaines catégories comme les enseignants. A tous ceux-là, je dis : ne désespérez pas, les choses vont changer. »
Malheureusement, les 7 dernières années ont continué de creuser le fossé entre une minorité de privilégiés qui s’enrichit toujours davantage avec une scandaleuse arrogance, pendant que l’écrasante majorité de la population s’appauvrit toujours plus. Aucune embellie dans la situation des Pme-Pmi dont les mouvements de défense des intérêts se sont multipliés, pendant que les établissements de micro finance, à l’image de Cofinest, ont sonné la débandade et le désarroi auprès des petits épargnants. Les enseignants, au gré de grèves et revendications, ont affiché leur mal être. Et comme rien n’a changé, le désespoir s’est accentué.

4- «Je renouvelle devant vous mon engagement de tout faire pour maintenir notre pays dans la paix et la sécurité (…) Nous vivons en paix, c’est indiscutables. C’est notre bien le plus précieux. Et nous entendons bien le préserver car tout en dépend : développement et progrès social».
L’éternel fond de commerce sur lequel s’est toujours appuyé le régime a tenu bon, si on considère la paix comme l’absence de guerre. En finalisant les derniers détails sur la Camerounité de la presqu’île de Bakassi, Paul Biya a marqué des points. Mais pas assez pour assurer la sécurité à l’intérieur du pays ou aux frontières. Les nombreux enlèvements d’autorités politiques et administratives camerounaises par des rebelles dans la zone toujours querellée, autant que des actes comme le braquage de la banque Ecobank à Douala (comme Limbe il y a deux ans), l’assassinat à son domicile du magistrat Biakan (comme de nombreux inconnus au quotidien) montrent que le chemin de la sécurité pour tous est encore long. Trop long…
5- «Nous allons valoriser l’image du Cameroun à l’extérieur (…) Jusqu’à présent, ce sont nos sportifs et nos artistes – auxquels je rends ici un vibrant hommage – qui ont contribué à cette bonne réputation.

Il conviendra donc de leur apporter un meilleur soutien. Mais de manière générale, nous devons faire plus pour être mieux connus. Telle est bien notre intention. C’est pourquoi nous lancerons à cet effet une vaste opération de communication».
Samuel Eto’o et Manu Dibango ont continué de briller. Les tabloïds et autres magazines internationaux ont certes gagné beaucoup d’argent en réalisant des suppléments spéciaux sur le Cameroun. Mais ils n’ont pas pu empêcher la déferlante sur le Cameroun à travers de multiples affaires touchant de près à l’image du pays et à celle du chef de l’Etat et de sa famille : vacances dispendieuses du chef de l’Etat et de son imposante délégation à La Baulle en France ; affaire du rapport sur les biens supposés mal acquis par une Ong catholique basée en France ou encore la récente plainte déposée et reçue par les tribunaux français par Célestin Djamen contre le président Paul Biya et qui lui a valu une sortie nerveuse en Libye il y a quelques mois devant ses pairs du Sénégal et de la Guinée Equatoriale.
Que retenir de tout cela ? Que les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient. Mais aussi que, par respect pour le peuple, avant d’annoncer de nouvelles promesses, un devoir d’inventaire s’impose.

Par Alain B. Batongué



22/03/2011
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres