Projections: Doutes sur les 200 000 emplois promis par M. Paul Biya

Yaoundé, 13 Mars 2013
© Omer Mbadi Otabela | Repères

L'annonce de la création de ces emplois en 2013, après les 160 000 de l'année dernière, suscite le scepticisme sur la capacité de l'économie nationale à parvenir à un tel niveau de performance.

«Aucune statistique officielle (ou non) n'existe aujourd'hui au Cameroun pour donner une estimation crédible du nombre d'emplois total créés sur une période», réagit un spécialiste des questions d'emploi après l'annonce du Chef de l'Etat du 10 février dernier. Dans son adresse à la jeunesse, M. Paul Biya se lâche: « Tenez par exemple: pour l'année 2013, 200.000 emplois seront créés dans le secteur formel». Une information ayant certainement donné du baume au cœur des demandeurs d'emploi dont la plupart sont souvent à leur première expérience de recherche.

Depuis quelque temps, le Chef de l'Etat n'hésite pas à se montrer précis sur le terrain de l'emploi. Des annonces qui tranchent avec un propos fait par le passé de généralités sur le chômage des jeunes, tel le fameux bout du tunnel entraperçu durant les années quatre-vingt-dix. Le 31 décembre 2012, en adressant ses vœux aux Camerounais, le scoop fuse sur le bilan de l'année: l'économie nationale a réussi à créer 160 000 emplois. Une performance remarquable, qui signifierait que l'offre nouvelle a largement couvert la nouvelle demande. Selon le Ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle (Minefop), environ 100 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché de l'emploi, contrairement aux 75 000 que l'on enregistrait au début de la décennie passée.


POSTES DÉTRUITS

Pour l'expert, il faudrait clarifier ce qu'on entend par emplois créés.
« Dans une économie, la création brute d’emplois n’est pas un indicateur pertinent. Autrement, il suffirait, pour une entreprise, de renvoyer ses 500 employés et les re-recruter pour estimer qu'elle a créé 500 emplois», développe-t-il. «De même, le fait qu'un employé change d'entreprise serait considéré comme une création d'emploi alors qu'il n'en est rien. Imaginons qu'un employé A passe de l'entreprise X à l'entreprise Y et qu'au même moment, un employé B fasse le chemin inverse (de l'entreprise Y à l'entreprise X), on court le risque d'assimiler cela à la création de deux emplois alors que le nombre de chômeurs est resté le même». Il suggère de prendre en compte la création nette d'emplois qui intègre les postes détruits ou supprimés.

Le suivi de l'emploi par l'Observatoire national de l'emploi et de la formation professionnelle (Onefop) est sujet à caution. Généralement, le contrôle du nombre de chômeurs et leur comparaison avec la population en âge de travailler permet de suivre aisément l'évolution de l'emploi et du chômage. Ce qui n'est manifestement pas le cas au Cameroun où le recensement des emplois auprès des entreprises et des organismes de placement est l'approche privilégiée.

Cependant, le Président de la République s'est gardé d'indiquer les sources de création d'emplois. Tout au plus apprend-on du gouvernement qu'il a poursuivi ses recrutements directs ou par le truchement des programmes. Ainsi, «30 693 nouveaux emplois ont été créés (en 2012) dans le cadre du programme de promotion de l'emploi décent». Sans autre forme de précision.

Pour la projection cette année, le Ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle s'est chargé des détails. « (...) disons que les 200.000 emplois qui seront créés en 2013, découlent du volume global de création d'emplois de toute l'économie camerounaise, indique M. Zacharie Perevet dans une interview à Cameroun-Tribune. Ce volume est estimé à 900.000, tout secteur confondu». En somme, le secteur formel - public et privé -, actuellement situé entre 600 000 et 800 000 personnes, va créer 200 000 emplois cette année. Le reliquat, soit 700 000 emplois, sera généré par le secteur informel.

La Banque mondiale confirme par ailleurs l'idée d'un secteur informel en tant que filet de sécurité dans le domaine de l'emploi. « Les exploitations familiales et les entreprises du secteur informel non agricole resteront les plus gros pourvoyeurs d'emplois pendant les deux prochaines décennies au moins, prévient l'institution de Bretton Woods dans sa troisième livraison des Cahiers Economiques du Cameroun. Le secteur structuré occupe moins de 10% de la main d'œuvre depuis les années 90. En raison de cette très faible proportion, même des taux de croissance rapide ne permettront pas de répondre à la demande des nouveaux entrants sur le marché du travail. Même dans le cadre de l'ambitieuse Vision 2035, la part du travail informel ne diminuera que lentement».

Bien qu'étant d'accord sur le fait que l'informel constitue le plus grand pourvoyeur d'emplois, l'économiste reste sceptique sur sa réalité, dans la mesure où «l'évolution du stock d'emplois dépend énormément de l'évolution de l'emploi informel qui malheureusement est quasiment insaisissable statistiquement», analyse-t-il. Lors de son discours d'ouverture de la conférence annuelle des responsables de son département ministériel, le 23 janvier dernier, M. Perevet a présenté la situation de l'emploi au Cameroun. Estimant le taux de chômage élargi à 14%, il situe le nombre total de travailleurs à 7,5 millions de personnes.


ARITHMÉTIQUE

L'économiste va jusqu'à douter de la capacité de l'économie camerounaise à créer autant d'emplois. M. Zacharie Perevet a pourtant détaillé leur provenance. «Pour l'année 2013, l'investissement public va générer 90.000 emplois, escompte-t-il. Les entreprises privées et parapubliques et les administrations publiques vont créer 60.000 emplois, les grands projets vont en créer 10.000 et 40.000 proviendront de la mutation des acteurs du secteur informel vers le secteur formel. Les lecteurs les plus concernés sont par ordre d'importance: l'agriculture, les bâtiments et travaux publics et les services (commerce, transport, TIC, hôtellerie, tourisme et restauration)».

Dans cette revue, l'on constate que l'emploi saisonnier, qui prédomine dans l'agriculture, les bâtiments et travaux publics, sera la variable d'ajustement. De plus, il y a à craindre que l'enlèvement de la famille française Moulin-Tanguy à l'Extrême-Nord, le 19 février dernier, ne porte un sérieux coup au secteur touristique national, contrariant par le fait même les attentes gouvernementales en matière d’emplois.

Par ailleurs, le transfert des travailleurs de l'informel vers le formel peut-il être considéré comme des créations d'emplois? Enfin, les perspectives offertes par les grands projets doivent être tempérées. «Pour la plupart, ces projets n'induiront que très peu de création nette d'emplois en 2013, soutient le spécialiste. Les maîtres d'œuvre ont déjà effectué leurs recrutements dans le cas des projets en cours. Certains projets seront exécutés par des entreprises déjà en activité, disposant donc déjà d'un personnel, et n'auront recours qu'à des emplois temporaires. Par ailleurs, la plupart des projets ont une forte intensité capitalistique, donc peu demandeurs d'emplois».

S'appuyant sur les données des entreprises membres du Groupement inter patronal du Cameroun (Gicam) sur les quatre dernières années, il estime l'évolution en termes d'emplois nouveaux à 3,6% et projette près de 8000 créations venant du secteur privé formel. Ce à quoi il faudrait ajouter les 5000 postes en moyenne attendus chaque année de l'administration publique; 2011, avec le recrutement des 25 000 diplômés, étant un cru exceptionnel. Fort de cette arithmétique, il s'attend à plus de 12 000 postes nouveaux dans le secteur moderne de l'économie.

A moins qu'une conjoncture très favorable ne vienne à la rescousse des pouvoirs publics.


14/03/2013
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