Présidentielles: Le bulletin de santé doit-il figurer dans le dossier de candidature ?

YAOUNDÉ - 18 Mai 2012
© Georges Alain Boyomo | Mutations

La question soulevée dans la lettre ouverte de Marafa cache une problématique bien plus profonde, celle de la santé de nos dirigeants.

La santé du président de la République est-elle un tabou, ou plutôt devrait-elle être un sujet tabou ? Chaque candidat à l’élection présidentielle doit-il ou non communiquer son bulletin de santé? Si oui, sous quelle forme ? Les électeurs camerounais sont-ils en droit d’être informés sur l’état de santé de leur futur président?

Ces questions ont à coup sûr traversé l’esprit des lecteurs pointilleux de la deuxième lettre de l’ancien ministre d’Etat, Marafa Hamidou Yaya, au président de la République, Paul Biya. En effet, au chapitre des insuffisances et omissions de la loi du 19 avril 2012 portant code électoral, l’ancien «ministre des élections», pense qu’ «un certificat médical devrait figurer dans les pièces devant accompagner les déclarations de candidature à la présidence de la République». Certificat médical, rapport sur l’état de santé ou un bulletin de santé, le débat sur l’importance de cette pièce dans le dossier des candidats à l’élection présidentielle ne manquera pas de se poser un jour ou l’autre au Cameroun.

En parcourant les codes électoraux de la plupart des pays africains, souvent cités comme des exemples en matière de démocratie, notamment le Sénégal, la disposition qui consiste à produire un bulletin de santé pendant le dépôt des candidatures n’y existe pas. Mais, à titre exceptionnel, à la présidentielle de l’an 2000, qui se solda par sa victoire sur Abdou Diouf, le président sénégalais Abdoulaye Wade avait jugé nécessaire de produire cette pièce, chose qu’il ne refera curieusement pas en 2007.

De manière générale, évoquer la question de l’état de santé des présidents en fonction en Afrique signifie s’engager sur un terrain glissant. L’on se souvient des malheurs du feu directeur du journal Le Messager, Pius Njawé (emprisonné pour dix mois), en 1997, qui avait osé s’interroger sur la santé du chef de l’Etat. Réagissant à un article du magazine panafricain Jeune Afrique sur son état de santé au début des années 2000, Omar Bongo, le feu président gabonais déclarait, goguenard: «même rebaptisé L’intelligent, le journal Jeune Afrique continue à dire et à écrire que Bongo est malade; d’autres journaux l’écrivent aussi, explicitement ou par de lourdes allusions. Mais Bongo est malade de quoi? Et où? Quel est le médecin qui l’a examiné, quel est le médecin qui le soigne?». «Je pète la forme en ce moment», disait pour sa part le président tchadien Idriss Deby, en 2003, dans une interview accordée à Jeune Afrique. Mais selon ses adversaires politiques, le président tchadien était alors gravement malade et interdit d’alcool.

Secret médical

En France, même la loi fondamentale n’oblige pas les chefs d’Etat en fonction à publier leur bulletin de santé. Ainsi, Jacques Chirac, qui s’était engagé en 1995 à publier un bulletin de santé semestriel, n’a pas tenu sa promesse une fois élu, jusqu’à son hospitalisation en septembre 2005, après un accident vasculaire. Valéry Giscard d’Estaing avait opté pour le silence radio sur ce sujet. Les Français n'ont été informés qu'après sa mort le 2 avril 1974 du cancer de la moelle osseuse dont souffrait Georges Pompidou. Atteint d’un cancer de la prostate dès novembre 1981, François Mitterrand avait sommé son médecin personnel de falsifier ses bulletins de santé pendant plus d’une dizaine d’années. Pourtant, durant la campagne présidentielle de 1981, François Mitterrand s'était engagé à rendre public son état de santé au nom de la transparence. Même Nicolas Sarkozy, qui avait juré de publier régulièrement son bulletin de santé n’a pas toujours montré patte blanche.

Pour expliquer ce mystère, cette omerta qui a toujours entouré l’état de santé des chefs d’Etats, le journal Le Monde indiquait en août 2007 que «la santé du président est une question taboue, car elle pose le problème de la bonne marche de l'Etat. Le président de la République est le personnage central des institutions (…) Seul un chef d'Etat en pleine forme, parfaitement maître de ses moyens, peut conduire les affaires de l'Etat.
Evoquer les problèmes de santé du président, c'est s'interroger sur les capacités de celui-ci à exercer le pouvoir car un président malade ne peut pas gouverner (…) D’ailleurs, d'un point de vue juridique, la santé des chefs d'Etat est soumise au secret médical, au même titre que n'importe quel citoyen».



Réactions

Kah Walla, présidente du Cameroon people’s party (Cpp)
Le bulletin de santé est important

"Je pense qu’un homme ou une femme qui postule aux hautes charges de l’Etat décide automatiquement de mettre sa personne au service de la république, c'est-à-dire de l’ensemble des citoyens. Il est donc tout à fait normal que ces citoyens soient informés sur son état physique et psychologique afin qu’il sache si ce dernier peut tenir pendant la durée du mandat qu’il sollicite. Il n’est pas du tout acceptable que le citoyen choisisse une personne pour assumer la charge de président de la République et que trois ans ou trois mois après, on se rende compte que ce dernier souffre d’un cancer alors qu’on aurait pu le savoir avant".


Henriette Ekwè, membre de la société civile
Que le chef de l’Etat en fonction prêche par l’exemple


"Je suis tout à fait d’accord que les candidats à l’élection présidentielle intègrent leurs bulletins de santé dans leurs dossiers de candidature. Mais je pense que le président en fonction doit être le premier à remplir cette condition. N’oubliez pas qu’un confrère a été jeté en prison parce qu’il s’est interrogé sur l’état de santé du président de la République. Donc, c’est une disposition qui doit être appliquée, mais que le chef de l’Etat en poste prêche par l’exemple".


Sosthène Médard Lipot, universitaire
C’est une exigence démocratique


"L'élection présidentielle, en démocratie, est une consultation majeure au cours de laquelle le peuple, souverain, fait le choix de donner mandat à l'un de ses dignes fils, afin que celui-ci préside aux destinées de la nation durant une période bien déterminée. Ce fils, valeureux, doit aussi et surtout être bien portant donc jouir d'un état de santé qui rassure le peuple souverain quant à son choix. Le corps social, que constitue le collège électoral, porte donc son dévolu sur un homme dont le corps physique rassure ledit corps social. A notre avis, c'est une exigence démocratique légitime pour des démocrates d’aspirer à élire le premier des citoyens, rassurés que le prochain président de la République est bien portant".


21/05/2012
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