Pr. MBA « Les élites camerounaises ne voient pas toujours en nos langues nationales un instrument de libération et de développement »

Gabriel Mba:Camer.beLocuteur natif de la langue Ghomálá parlée à l’Ouest du Cameroun, il en est le Président du comité et à ce titre, le principal coordinateur scientifique des activités de standardisation et d’instrumentation de la langue. Le Professeur Gabriel MBA puisqu'il s'agit de lui, est linguiste, titulaire d’un Doctorat de 3ème cycle et d’un doctorat d’Etat. Spécialiste des problèmes d’éducation multilingue avec la prise en compte des langues maternelles des apprenants, il est le coordonnateur pour l’Afrique Centrale du programme PANMAPAL (Panafrican Masters and Ph.D in African Languages  and Applied Linguistics), et des programmes de promotion et de développement des langues africaines et de l’éducation multilingue au centre ANACLAC de Linguistique appliquée (CLA), basé à Yaoundé. Depuis 1982, il a milité et milite encore plus énergiquement pour l’utilisation des langues maternelles dans les systèmes éducatifs de l’enseignement maternel, primaire, secondaire et dans les circuits de développement endogène des populations. Ayant longuement servi de coordonnateur technique des projet camerounais de promotion, de développement, de standardisation et de dénombrement des langues (PROPELCA, BASAL, COBMOL), le Professeur MBA est consultant en alphabétisation et il accomplit cette tâche dans plusieurs programmes.
Connaissant très bien le puzzle linguistique camerounais depuis trente ans, il a assisté au développement du matériel en langues africaines vers les langues officielles (français, anglais, etc.). Cela lui a valu d’encadrer avec Julia VAN DYKEN, le séminaire sous-régional du programme de la Société internationale de Linguistique (SIL) en Mai et Juin 1993 sur la conception et l’élaboration  du matériel didactique de base pour l’alphabétisation tenu en Guinée-Conakry pour le compte des concepteurs et l’élaborateurs des manuels d’alphabétisation des différents pays d’Afrique de l’Ouest.
Le multilinguisme urbain et ses problèmes sur la gestion des langues a été le creuset de nombreuses publications (articles, ouvrages) dont Gabriel MBA a été auteur, co-auteur et/ou éditeur.
La revue de Linguistique appliquée dénommée AJAL (African Journal of Applied Linguistics) bénéficie de toute son expertise en qualité « d’Assistant editor » tout comme il figure dans la liste des membres du comité scientifique de la revue gabonaise des sciences du langage et la revue béninoise « langue de développement ».
Scientifiquement passionné par l’étude des problèmes de politiques linguistiques en général et de politiques linguistiques éducationnelles, Prof. Gabriel MBA a largement contribué de par ses écrits à la compréhension de la diversité linguistique, à la gestion de cette diversité et à la création des outils efficaces de cette gestion.

Merci professeur Gabriel Mba pour cette présentation personnelle très riche. Pouvez vous présenter pour nos lecteurs et lectrices de camer.be qui de plus en plus entendent parler l’ANACLAC ?

L’Association nationale des Comités de Langues camerounaises (ANACLAC) a, vu le jour en 1989 et a pour principale mission de promouvoir le développement oral et écrit de toutes les langues camerounaises, de veiller à leur utilisation dans le système éducatif et dans l’alphabétisation des masses, de créer ou de susciter la création des équipes de personnes volontaires pour impulser tout le développement. Ces personnes volontaires sont regroupées sous la bannière de comités de langues qui constituent les membres de l’association faîtière qu’est l’ANACLAC.

Un mot sur la gestion administrative de ANACLAC ?

L’ANACLAC a outre la cellule administrative dirigée par des gestionnaires élus (Présidents, Vice, Secrétaire général,…), une cellule scientifique dénommée Centre de Linguistique appliquée (CLA). Ce Centre est le bras technique, scientifique de l’association et agit en son nom pour tous les problèmes  des langues (formation du personnel dans différents comités de langues, mise en place des programmes communs, évaluation des niveaux de développement écrit des langues, renforcement  des capacités, représentativité officielle de toutes les langues aux instances de décision gouvernementale bilatérale ou multilatéral). A ce jour, l’ANACLAC compte plus de 78comités de langues membres, repartis dans tout le territoire national.

Quels sont les projets qui ont été depuis la création d'ANACLAC réalisés ?

L’ANACLAC a conduit ou poursuivi avec succès les projets suivants : PROPELCA, BASAL, CONAL, ERELA, COBMOL. PROPELCA est un sigle qui se décline en Programme de Recherche opérationnelle pour l’Enseignement des Langues au Cameroun.
Parlons point par point de chacun des projets : PROPELCA qu'on pourrait bâptiser le parent d'ERELA.
PROPELCA (Programme de Recherche opérationnelle pour l’Enseignement des Langues au Cameroun) a été initié en 1978 par l’Université de Yaoundé ;  PROPELCA a été repris par l’ANACLAC dès 1989 après la phase de recherche fondamentale et surtout après le lancement de  la phase d’extension survenue en 1986. L’association a ainsi poursuivi les efforts de diverses institutions de départ et a à ce jour permis l’introduction d’une quarantaine de langues camerounaises dans le système éducatif primaire et secondaire, formé environ trois mille (3000) Instituteurs, plus de soixante (60) Inspecteurs de l’enseignement primaire public, quarante (40) Superviseurs locaux, produit cent quatre vingt (180) manuels pour l’enseignement primaire, développé quatre modèles d’enseignement des langues au Cameroun, et permis au gouvernement de la République par les résultats des diverses expériences d’enseignement de mieux concevoir les lois en faveur de la gestion  des langues locales dans le système éducatif et dans l’alphabétisation.

On peut donc dire que PROPELCA est de loin le programme qui aura drainé beaucoup de scientifiques, d’étudiants, de ressources communautaire dans le cadre de la recherche linguistique appliquée au Cameroun. Qu'en est-il de BASAL ?

BASAL (Basic Standardisation for all unwritten African Languages) est une idée originale qui s’est contentée de répondre à la question fondamentale qui est celle de savoir comment réduire toutes les langues africaines non-écrites à l’écrit. Ainsi, il a été pensé qu’un corps de volontaires d’environ 3000 personnes pourrait après une formation adéquate, sortir les langues africaines de l’oralité. Cette idée mise en pratique au Cameroun et en Ethiopie a permis jusqu’à présent de pourvoir  pour 13 langues, un système d’écriture, un matériel de base de référence, un embryon de comité de langue capable de soutenir le développement et la pérennisation du système établi. Il s’agit pour chaque volontaire de passer  deux à trois ans dans la communauté linguistique au contact de la population, de vivre leur vie et d’essayer ensemble de faire passer la langue de l’oralité simple à une écriture convenable, utilisée et soutenue par les classes d’alphabétisation.

Pouvez-vous rappeler aux lecteurs et lectrices de camer.be le point sur ERELA ?

ERELA (Ecoles rurale électronique en Langues africaines) a pour objectif de capitaliser sur les produits actuels de l’informatique pour assister le développement des langues locales dans l’élaboration des outils, des matériels d’enseignement. L’outil informatique qui est à la panacée des langues officielles étrangères et des villes est quasiment absent dans les villages et ce fossé numérique se creuse de jour en jour. Le projet ERELA voudrait corriger cet aspect et surtout adapter toute innovation possible à l’enseignement des langues locales.

Qu'en est-il du COBMOL (Community Based Mother tongue Literacy) ?

COBMOL (Community Based Mother tongue Literacy) est un exemple de coopération entre ANACLAC et l’Eglise luthérienne du Cameroun. En 2003, après une évaluation des 16 projets d’alphabétisation de cette Eglise dont  le siège est à Ngaoundéré au Cameroun, l’ANACLAC a été invitée en raison de son expertise, pour la redynamisation des  diférents projets et a servi d’assistant technique dans la formation des formateurs, l’évaluation et la proposition de nouveaux contenus d’alphabétisation, la fonctionnalité des différents projets et surtout la participation de chaque communauté concernée. De 2003 à 2006, l’équipe technique de l’ANACLAC dirigée par les Professeurs Gabriel MBA et Etienne Sadembouo se sont acquittés agréablement de cette tâche et ont reçu la satisfaction de l’Eglise luthérienne et de sa partenaire norvégienne.

Au regard de tous ces projets menés avec succès par l'ANACLAC, vous ne diriez pas qu'elle ne rencontre pas de difficultés ?
 
Les différents programmes exécutés par l’ANACLAC n’ont pas été sans difficulté. Il faut relever pour le déplorer :
- l’instabilité dans le fonctionnement des programmes par les bailleurs internationaux ;
- la participation camerounaise assez faible dans le financement ;
- la non-conviction de certaines élites à des projets spécifiques ;
- le peu d’intérêt des élites, de certains intellectuels, de certains administrateurs et décideurs dans le projet concernant les langues camerounaises ;
- le poids psychologique négatif et les attitudes et réactions défavorables quant à l’enseignement des langues nationales ;
- les limites de l’ANACLAC comme entreprise privée. Cette limitation concerne sa surface financière qui ne lui permet pas d’opérationnaliser toutes ces ambitions et surtout le manque de visibilité que les camerounais ont eux-mêmes de cette structure importante du paysage institutionnel des langues au Cameroun ;
- le peu de contribution des communautés locales à la base. Cette contribution insuffisante est le reflet de l’attitude des élites respectives qui ne voient pas toujours en leur langue locale un instrument de libération et de développement.

Après tant d'années de travail, quel est l'avenir d'ANACLAC ?

L’ANACLAC entrevoit malgré les difficultés son avenir avec sérénité. A ce titre, elle multiplie les contacts et d’ici peu fera partie d’une aventure universitaire qui consistera à former des professionnels de langues camerounaises.
Elle pourra ainsi contribuer à offrir des licences professionnelles, des Masters et des Doctorats en langues africaines et linguistique appliquée. L’Institut d’Afrique-Unie (IAU) qui a été créé à cet effet doit relever ce défi.
 
Comment vous contacter ?

Pr. Gabriel MBA,
http://erela.pplawr.org/
Tél. +237 99 62 13 23
 Courriel : mbagaby2002@yahoo.fr

© Camer.be : Lydie Seuleu


06/12/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres