Pourquoi Paul Biya se tait sur la Côte d'Ivoire

Le messager

Le chef de l’Etat du Cameroun  jusque là n'a félicité ni Laurent Gbagbo, ni Alassane Dramane Ouattara. Peur de la France et des Etats-Unis, ou alors prudence diplomatique ? Décryptage.

Le fait est curieux pour ne pas être mentionné. Depuis le lendemain du 2nd  tour de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, les médias d'Etat camerounais (Cameroon-tribune et Crtv) semblent s'être mis en marge de cette info qui passionne pourtant l'ensemble des Camerounais. Pendant que le journal de la rue de l'Aéroport, après avoir titré à sa « une » la réélection du président sortant, a finalement opté de reprendre simplement quelques dépêches de l'Agence France presse (Afp) sans le moindre commentaire. A la Radio télévision nationale, c'est pratiquement le silence absolu. « Les médias à capitaux publics semblent avoir reçu des instructions du sommet de l'Etat pour ne pas faire l'écho de la situation assez délicate dans laquelle la Côte d'Ivoire se trouve en ce moment, analyse un politologue proche du régime. À travers cette attitude des dirigeants camerounais, l'Etat du Cameroun a décidé pour l'instant d'observer et de ne pas prendre position. La situation semble prêter à confusion en Côte d'Ivoire. Il faudrait donc attendre que les nuages s'éclaircissent ».

Pendant que Paul Biya envoyait à son homologue burkinabé, Blaise Compaoré, un télégramme de félicitations pour sa réélection à la tête de son pays, juste après la publication des premières tendances qui donnaient vainqueur le successeur de Thomas Sankara, le même Paul Biya a préféré ne rien dire lorsque Laurent Gbagbo a été proclamé vainqueur de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire par le Conseil constitutionnel, où alors lorsque, peu avant, Alassane Dramane Ouattara a été déclaré vainqueur par la Commission électorale indépendante (Cei). Une attitude ambiguë de l'un des doyens des chefs d'Etat africains, et qui pousse légitimement à de multiples interrogations, presque trois semaines après le déroulement du second tour de l'élection présidentielle au pays de Félix Houphouët-Boigny.

 

Sans opinion ?

Ce qui apparaît en tout cas évident est que cette posture diplomatique du Cameroun n'est pas gratuite. Elle serait même voulue et entretenue depuis le sommet de l'Etat. « Le président de la République, son Excellence Paul Biya suit avec la plus grande attention la situation post électorale en Côte d'Ivoire. La Côte d'Ivoire est un grand pays ami avec qui le Cameroun entretient de bonnes relations », nous a indiquée hier au téléphone une source proche de la présidence de la République du Cameroun. Au-delà de cette confabulation diplomatique, il apparaît plausible que l'attitude actuelle de Paul Biya, un homme d'Etat prudent et pondéré, et presque toujours sans opinion officielle lorsqu'il s'agit des situations de crise en Afrique, obéit à des logiques qui tirent leur origine sur les contours géopolitiques entre l'Occident et le Cameroun. De manière plus dévoilée, le chef de l'Etat camerounais semble être face à un dilemme depuis que Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara se disputent la légitimité et la légalité de la présidence de la République de Côte d'Ivoire.

Dans un premier temps, si Paul Biya décide de choisir le camp de la « communauté internationale » qui ne reconnaît que Alassane Dramane Ouattara comme vainqueur de la récente élection présidentielle en Côte d'Ivoire, il court le risque de fouler au pied un principe moral qui lui est cher, à savoir le respect du droit et de la légalité républicaine et surtout de la souveraineté nationale. Laurent Gbagbo a été proclamé élu (même si c'est dans des conditions qui suscitent la polémique), par l'instance suprême compétente en la matière, à savoir le Conseil Constitutionnel de la Côte d'Ivoire. C'est elle seule, qui tranche en dernier ressort, quand bien même cette élection a été organisée dans des conditions de crise, et qui ont amené à inclure dans le processus d'autres instances susceptibles de donner leur point de vue sur le déroulement du scrutin. Paul Biya en juriste averti, et dont ses proches disent être très méticuleux dans le respect des principes de droit, le sait très bien. Et il n'a sans doute pas oublié l'épisode de 1992 ici au Cameroun (John Fru Ndi, son challenger, soutenu par l'ambassadrice des Etats-Unis, réclamait la victoire à la présidentielle).

Des risques inquiétants

De l'autre côté, si Paul Biya en venait dans l'immédiat à féliciter Laurent Gbagbo qui a été proclamé élu par le Conseil constitutionnel, donc est le président légal, il sait très bien qu'il se mettrait à dos les violents et redoutables animateurs du concept de la « communauté internationale » dans cette affaire que sont la France et les Etats-Unis. Pour avoir longtemps travaillé aux côtés de feu le président Ahmadou Ahidjo, et connaissant les principes (mafieux ?) qui guident les relations franco-camerounaises depuis 50 ans, Paul Biya sait très bien où sont ses intérêts. A un an de l'élection présidentielle au Cameroun, mieux vaut la prudence et donc se taire. Déjà, des sources bien introduites au sein du sérail politique camerounais commencent depuis quelques temps à avoir de lourds soupçons, notamment depuis les déclenchements des affaires de vacances dispendieuses, et de la plainte sur les biens mal acquis du président fortement médiatisées par les organes à capitaux publics en France. Les tenants du système au Cameroun y voient, à n'en point douter, une main du régime de Nicolas Sarkozy, un peu comme un signal que si Biya ne s'aligne pas, la fin de son régime, pourrait bien  devenir imminente. Au final, on peut donc comprendre pourquoi le président camerounais préfère le silence, qui du reste est un principe dit de prudence en diplomatie moderne.


21/12/2010
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