Port en eau profonde de Kribi: Les indemnisations emportent le directeur du projet

DOUALA - 15 Février 2012
© David Nouwou | La Nouvelle Expression

Louis Nlend Banack a été limogé la semaine dernière par le Premier ministre. Poursuivi par le scandale des indemnisations qui demeure une patate chaude.


Nlend Banack
Photo: © Archives
Louis Nlend Banack a été limogé la semaine dernière par le Premier ministre. Poursuivi par le scandale des indemnisations qui demeure une patate chaude. Le 2 février 2012, Philémon Yang a signé un arrêté limogeant Louis Nlend Banack de ses fonctions de directeur du projet de construction du complexe industrialo portuaire de Kribi, la ville balnéaire du sud du Cameroun. Le 10 février dernier, au Hilton Hôtel de Yaoundé, il a passé le service à son successeur, Patrice Barthélémy Melom, un cadre du Premier ministère pas du tout étranger à ce projet, puisqu’il y représentait déjà la Primature. Alors, comment comprendre que le patron du projet soit subitement remercié, alors que, sur le terrain, les différentes phases du chantier semblent s’exécuter selon le chronogramme retenu?

Depuis sa nomination, en juillet 2008, le démarrage de ce grand chantier n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Notamment le gros scandale qui a marqué son démarrage et demeure, à ce jour, une épine sous le talon des acteurs de construction de ce grand projet dit «structurant», selon la terminologie consacrée par le gouvernement des grandes réalisations. Dès le 22 août 2011, les populations expropriées dans le cadre de la construction de cette infrastructure étaient revenues devant le guichet pour percevoir les chèques correspondant au montant de leurs indemnisations. Une opération qui avait déjà débuté en fanfare, en décembre 2010. Mais qui avait été brutalement interrompue. Des grincements de dents avaient commencé lorsque, le 13 décembre 2010, le ministre en exercice chargé de l’Economie, de la Planification du développement et de l’Aménagement du territoire, Louis Paul Motaze, président du comité de pilotage, était descendu sur le terrain «pour informer les populations des modalités des opérations de recensement des personnes concernées et du processus de paiement…» des indemnisations.


Flou dans le recensement des bénéficiaires

Tout semblait alors baigner dans de l’huile. Et comme pour donner plus de transparence à l’opération, le directeur du projet qui gère la cellule opérationnelle sur le terrain, Louis Nlend Banack, avait cru devoir rendre public cette première liste des personnes à indemniser. C’est alors que nombre d’autochtones se sont étonnés des grosses sommes dont bénéficiaient certains «voisins» dont ils n’avaient jamais entendu parler. Des éclats de voix, suivis de vives protestations parties des villages, sont parvenus à Etoudi, remettant fermement en cause la liste des personnes à indemniser et, surtout, le flou dans le recensement des bénéficiaires. Toute chose qui avait intrigué les riverains et jeté un sérieux discrédit sur la procédure d’identification et de recensement des véritables victimes de l’expropriation dont les experts s’accordent à dire que c’est la plus onéreuse de tous les grands chantiers initiés au Cameroun

La présidence de la République a dû interrompre le processus d’indemnisation. Et comme mesures conservatoires, les comptes des particuliers qui avaient été mobilisés dans le cadre des premiers paiements avaient été bloqués, et certains chèques déjà touchés récupérés, en attendant que les choses soient à nouveau tirées au clair.

C’est ainsi que, sur instruction de Paul Biya, des missions d’enquêteurs, l’une de la sous direction des enquêtes économiques à la direction de la police judiciaire (Dpj), et l’autre de la Direction générale à la recherche extérieure (Dgre), se sont succédé sur le terrain. Tous les acteurs ayant participé au processus d’identification et de recensement des ayants droits, ainsi que les responsables de différentes administrations chargées de l’établissement des titres fonciers du site déclaré d’utilité publique (Dup), ont été entendus

Des indiscrétions de ces missions révèlent notamment que plusieurs autochtones figurant sur la liste des indemnisations ne connaissaient même pas où est situé leur terrain, encore moins leur village supposé. Certaines parcelles décrites comme ayant été mises en valeur, question de renchérir le coût des indemnisations, n’avaient jamais reçu la visite d’un homme. Sans compter que certains prétendus occupants sont restés introuvables. Les enquêtes avaient révélé aussi que les montants les plus costauds sur la liste des indemnisations étaient sujets à caution, et devaient être passés au scanner. Les différentes missions d’enquête ont donc bouclé leurs dossiers et remis leur copie à Philémon Yang, pour la préparation d’un nouveau décret à soumette au visa du président de la République.

Lors des «journées de mobilisation des populations riveraines», organisées les 19 et 20 juillet derniers, à Kribi, l’initiative de Grégoire Mba Mba, le représentant des populations riveraines, que Paul Biya a nommé dans le comité de pilotage, on a, par exemple, appris que l’enveloppe des indemnisations, après toilettage, est passé de 24 à 14 milliards F Cfa, soit une différence de 10 milliards F Cfa qu’on avait destinée au paiement des faussaires qui avaient réussi l’exploit, avec des complicités à tous les niveaux des différentes administrations, à constituer de faux dossiers d’indemnisation.


Titres fonciers obtenus frauduleusement

Selon des informations confidentielles, une nouvelle liste allait donc être confectionnée. C’est sur cette base que les indemnisations avaient manifestement été reprises. C’est dire aussi que tous les faux dossiers étaient déjà identifiés et leurs auteurs démasqués. Les mêmes sources indiquent que des procédures devaient être engagées contre ces auteurs de tentative de détournement de deniers publics et leurs complices. Le signal avait d’ailleurs déjà été donné par le ministre des Domaine et des Affaires foncières d’alors, Jean-Baptiste Beleoken, qui avait annulé une trentaine de titres fonciers obtenus frauduleusement sur les parcelles à exproprier. Toutes les flèches sont alors dirigées vers le directeur du projet, en sa qualité de responsable opérationnel sur le terrain

A ce jour, toute la lumière n’est pas encore faite sur ces indemnisations devenues un serpent de mer. Entre temps, le président du comité de pilotage, Louis Paul Motaze, dont des informations indiquent qu’il avait recruté ce haut cadre sous la caution de certains conseillers, est devenu secrétaire général des services du Premier ministère, l’administration qui doit assurer le contrôle de ce vaste chantier. Peut-être a-t-il conseillé «au patron» d’écarter ce responsable dont l’ombre continue de déteindre négativement sur la bonne marche du projet de construction du Port en eau profonde de Kribi. Pour la sérénité de la poursuite des travaux. Reste à clarifier la situation de tous ceux qui ont contribué à fausser la procédure d’indemnisation. Et qui sont susceptibles de poursuites pénales.



15/02/2012
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