Politique: Niat Njifenji, le Grand Nord et la primature

Yaoundé, 17 Juin 2013
© YVONNE SALAMATOU | L'Oeil du Sahel

Les regards des régions septentrionales sont plus que jamais tournés vers l'Immeuble Etoile.

La désignation de Marcel Niat Njifenji à la tête du Sénat, le 12 juin 2013, est un pas décisif franchi dans la construction de l'architecture politique que le Chef de l'Etat, Paul Biya, a mitonné depuis qu'il s'est enfin résolu à mettre en place toutes les institutions issues de la Constitution de 1996. Comme nous l'avions longuement relevé dans nos éditions précédentes, le Président avait, du fait même de la période choisie pour installer le Sénat, exclu tout nordiste du perchoir de cette Chambre, toute somme symbolique. De fait, il avait pris le parti de bouleverser les grands équilibres politiques qui lui avaient si bien réussi jusqu'ici en accordant notamment, une place de choix à son allié traditionnel qu'est le Grand-Nord, plus précisément la position de numéro 2 à un de ses fils.

En installant donc l'ancien vice-Premier Ministre, originaire de l'Ouest, à la tête du Sénat, lui conférant ainsi la charge symbolique de successeur constitutionnel, une position dévolue jusqu'ici aux nordistes depuis l'élection de Cavaye Yeguié Djibril en 1992 à la tête de l'Assemblée nationale, le Grand-Nord se voit, malgré son immense poids politique, reléguer au second plan. Donc, la désignation de Marcel Niat Njifenji est d'abord et avant tout un choix réfléchi, qui remet dans le jeu politique une région, quoi que puissent en dire les pourfendeurs des grands équilibres politiques.

La voix du parti au pouvoir, le journal L'Action, dans son édition du 13 juin 2013, consacre cet état de fait. «Marcel Niat Njifenji au perchoir du Sénat, l'Ouest est plus que consolée, elle doit s'estimer comblée», écrit le Directeur de la Rédaction, Christophe Mien Zok. «On serait alors tenté de croire que le Chef de l'Etat a rebattu les cartes sans crier gare. Car là où l'opinion publique voyait un anglophone, un ressortissant du Nord, où à tout le moins d'une ethnie minoritaire, il (Paul Biya) a joué de son joker», renchérit Marie Claire Nnana, Directeur du quotidien gouvernemental Cameroon Tribune dans son éditorial du 14 juin 2013. C'est un fait que les équilibres politiques ont été sérieusement bousculés. Reste à connaître la suite du programme.


PRIMATURE OU RIEN

Convaincu depuis la convocation du corps électoral pour l'élection sénatoriale du 14 avril dernier, que la place symbolique de deuxième personnalité du pays allait leur échapper, les régions septentrionales se sont tournées vers la Primature, véritable enjeu politique et pôle important de pouvoir. «La désignation de Niat Njifenji n'est pas en soi une mauvaise chose. Elle écarte l'Ouest définitivement de la succession de Paul Biya et nous place en orbite pour la Primature, une position bien plus intéressante que la présidence de l'Assemblée nationale», se satisfait un Député Rdpc de la région du Nord. Pour la succession de Paul Biya, rien de nouveau sous le soleil. Amadou Ali, actuel Vice-Premier Ministre, Ministre délégué à la Présidence chargé des Relations avec les Assemblées, avait déjà résumé dans un câble de Wikileaks publié en son temps, l'idée prédominante chez l'élite nordiste: Ni Béti ni Bamiléké après Paul Biya.

Quant à la Primature vers laquelle se tournent désormais les régions septentrionales, seule compensation politique à la hauteur de leur espérance, le moins que l'on puisse dire est que Paul Biya conserve ici, encore toutes les cartes pour faire pression sur ses alliés d'hier. Il veut contraindre ceux-ci à lui donner le maximum de députés aux futures élections législatives pour être en position de mériter l'Immeuble Etoile bien que la désignation de Niat Njifenji est là pour témoigner de la nouvelle philosophie politique du Président, qui ne s'accommode guère des résultats électoraux. «Comment comprendre que les régions septentrion qui ont contribué à hauteur de 42,7% à sa victoire à la dernière élection présidentielle d'octobre 2011, se retrouvent clouées au pilori par la région de l'Ouest dont l'adhésion à sa politique est plus que discutable et le poids politique plus que négligeable considéré à celui du Grand-Nord», s'interrogent un dignitaire nordiste.

Certains veulent voir toutefois dans ce changement d'équilibre, un bon signe pour l'avenir. «Je suis convaincu que Paul Biya dessine sa succession. Désormais, le mano à mano va se jouer avec le grand bloc Centre-Sud. Ce bouleversement nous est, à bien analyser, très profitable et ne doit pas nous inciter à commettre des erreurs qui puissent nous être préjudiciables. A l'allure où le Président nous traite, nous devons être vigilants et chercher autant que possible des pistes pour déjouer ses pièges, car nous ne sommes pas encore en mesure de soutenir un bras de fer politique avec lui. Il faut garder ses forces quand il faudra se battre pour sa succession», indique pour sa part un haut fonctionnaire du Grand-Nord.

Cet optimisme, s'il peut se justifier, tombe cependant au mauvais moment.

L'interpellation du Directeur Général de la Sodecoton, Iya Mohammed et les manœuvres visant à «déstabiliser» bon nombre de personnalités originaires du Grand Nord ont fini par convaincre beaucoup, que la désignation de Marcel Niat Njifenji participe d'un plan pour casser le Grand-Nord. C'est du moins ce qu'expliquent, depuis quelques jours, les initiateurs du projet du grand parti du Grand-Nord. «Tout ce qui se passe en ce moment nous interpelle. Si nous ne disposons pas d'une force politique capable de peser sur la scène, capable d'aligner un candidat à l'élection présidentielle avec toutes les chances de gagner, nous allons être des -laissés-pour-compte de la succession. Évitons de nous dézinguer, réfléchissons aux alliances, au projet qui pourra avoir l'adhésion de la majorité des camerounais», explique le chef de projet du grand parti du Grand-Nord.



21/06/2013
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