Pius Njawé: Un visage plein et généreux

DOUALA - 06 JUILLET 2010
© Louis Blaise Ongolo | La Nouvelle Expression

La levée de corps du journaliste a eu lieu hier, à l’hôpital général de Douala.La prosternation autour de la dépouille, hier, a dévoilé un homme mort égal à lui-même, un accidenté sans aucune marque.

Il n’y avait aucune difficulté à se rendre au domicile de Pius Njawé hier. A l’ancienne route Bonabéri. L’on prend la rue en face de l’agence Snec de ce quartier de l’arrondissement de Douala 4ème. Le domicile de feu Pius Njawé est au fond de la rue.

Une immense bâtisse béante plus que plongée ce 05 août 2010 dans la tristesse. Pour cause, le corps du propriétaire vient d’y arriver après la levée de corps qui s’est déroulée vers 11 heures, à l’hôpital général de Douala.

A mon arrivée sur les lieux, je cherche qui reconnaître, et mon regard va droit sur mon confrère Constant Zé, de la Crtv Littoral. Vêtu d’un costume noir, il porte lui aussi le deuil, autant que la centaine de personnes environ, déjà présente sur les lieux. A peine j’entame une conversation avec lui qu’une voix indique de l’intérieur que : « En ordre, vous pouvez déjà commencer à voir le corps ». C’est alors que Constant Zé et moi nous précipitons vers la porte centrale de la maison, précédés par d’autres personnes plus promptes. A l’intérieur, le cercueil presque au centre de la salle. Et le tour autour du cercueil ouvert, présentant la dépouille, commence. Chacun y va de sa curiosité. Quant à moi, un seul sentiment m’anime au-delà de la tristesse qui habite tous les journalistes depuis l’annonce du décès, le 12 juillet 2010, du président de Free Media Group. Je suis curieux de voir dans quel état se trouve ce corps accidenté. J’imagine des images macabres et cauchemardesques, renvoyant à un corps déchiqueté et rafistolé, d’autant plus que, mes prédécesseurs, parmi lesquels Constant Zé, battent des mains en signe d’étonnement au passage. Mais, de mon imagination, il n’en est rien lorsque j’arrive en présence du macchabée. Je découvre un Pius Njawé couché, endimanché et serein. Il est vêtu d’un costume en gabardine blanche. Je suis tenté de penser qu’il fait le mort, à défaut d’être endormi. Pendant une dizaine de secondes, je suis désorienté, perdu dans les nuages. Mais je reviens aussitôt sur terre, pour voir que le visage de Puis Njawé est le même que celui qui est sur les affiches en couleur collées ça et là dans la concession. Un visage plein et généreux. Je finis par exécuter un hochement de la tête, geste similaire à celui de certains de mes prédécesseurs passés par cette épreuve de prosternation devant ce corps inerte.


Agitation

Ressorti de la maison, je regagne la route et je n’hésite outre mesure de demander à Constant Zé qui me tient toujours compagnie, « si Pius Njawé est vraiment mort des suites d’un accident de circulation ? » Il me dira « si » dans un premier temps. Pour ajouter, en guise de précision, que : « L’autopsie l’a même confirmé ». Mais alors, comment comprendre que ce corps n’ait la moindre égratignure, la moindre boursouflure nulle part, aucune marque de détresse ? Alors même que les images du véhicule qui le transportait au moment de l’accident qui l’a emporté sont désastreuses.

Un pasteur passant par là et ayant suivi notre conversation dira tout simplement « qu’il faut retenir que Pius Njawé se repose et qu’il mérite ce repos éternel, pour avoir trop travaillé sans relâche ». Des propos qui m’ont renvoyé dans l’oraison du pasteur qui a officié à la petite chapelle de la morgue de l’hôpital général de Douala, peu après la levée du corps du défunt. « Il y a un temps pour toute chose. Un temps pour faire la guerre. Un temps pour faire la paix. Un temps pour parler. Un temps pour se taire », a dit ce dernier. Là, Pius Njawé s’est tu. Impossible pour lui de voir toute l’agitation qui se fait autour de lui. Impossible d’entendre le moindre bruit. Impossible de contester la moindre initiative dans l’organisation de ses obsèques, qui serait contre sa volonté ou de ses principes. Comme en pareille circonstance, il est l’acteur impuissant qui attend le jugement dernier. Heureusement, il avait précédé le destin pour éviter ce jugement dernier, « en donnant sa vie à Dieu », tel que le lui reconnaissent, avec beaucoup d’égard, ses frères en Christ.

Un premier hommage lui a été rendu par une foule immense qui a pris part à sa levée de corps. On a ainsi pu voir des hommes politiques tant du pouvoir en place que de l’opposition, les journalistes de diverses générations, les opérateurs économiques, etc….


Réactions



Jean Michel Nintcheu, député Sdf: «Une vie riche en enseignements»
Le grand journaliste qui nous quitte ce jour restera à jamais gravé dans l’histoire dans notre pays. Les mots ne manquent pas pour justifier la valeur d’un homme comme Pius Njawe. Durant toute sa vie, il a démontré aux yeux de l’Afrique et du monde qu’il pouvait pour ceux qui n’ont point de bouche. Le combat que menait Pius est un combat citoyen, et méritait plus d’admiration. Je suis de ceux qui l’ont accompagné dans sa lutte, simplement parce que c’était une cause juste pour le bonheur des hommes. Il était de ceux qui pensent que tout ce qui est contre l’épanouissement de l’Homme n’est pas valeur. La vie de Njawe n’a pas été longue comme beaucoup souhaitaient, mais elle est riche en enseignements. Je garde de lui le souvenir d’un grand combattant de la liberté et des droits de l’homme. Nous devons lui en être reconnaissants. Il a laissé un vide qui sera difficile à combler

L’aide de Paul Biya à l’endroit de la famille de Pius Njawe, est une provocation. Je me réserve d’apporter un jugement sur l’attitude de la famille qui a reçu cette aide. Je comprends que la famille, dans l’état mental où elle se trouve, peut éventuellement poser des actes de ce genre. J’accuse monsieur Biya profite du désespoir de cette famille, pour se rapprocher de Pius Njawe à titre posthume. Je suis convaincu que là où il se trouve, si on lui demandait son avis, il n’aurait accepté. Je condamne une fois de plus cette hypocrisie du président de la république qui a continué à le persécuter durant toute sa vie, pour venir après sa mort se moquer de lui.



Moukoko Priso, homme politique (Upc): «Il était prêt à se sacrifier pour son pays»
Je garde de Pius le souvenir d’un patriote camerounais. Il était vraiment engagé pour des idées qu’il faut pour notre pays ; pour les idées qu’il partageait même si on n’était pas d’accord pour ce qui faisait. Je garde de lui, la mémoire de quelqu’un qui était prêt à se sacrifier pour la cause humaine. Il était prêt à se sacrifier pour son pays qui l’a persécuté durant toute sa vie, à preuve, les peines d’emprisonnement qu’on lui a infligées pour des raisons plus ou moins utiles, sans oublier les ennuis qu’on lui faits pour l’ouverture de sa chaîne téléradio.

Les circonstances de sa mort, vous avez écouté celui qui prêchait : Il y a pour naître, il y a un temps pour mourir. Mais il n’est pas sûr que tout le monde meure au moment où il devait mourir. On a comme l’impression que certaines morts sont accélérées, et on vous aide à mourir plus tôt que prévu. Je ne crois pas toujours à la thèse qu’on reprend, dans laquelle on dit : Si vous mourait c’est que Dieu avait décidé que c’est en ce moment là. Ecoutez ! Le geste de Paul Biya à l’endroit de la famille me rappelle un geste qui avait déjà eu lieu à l’endroit de Mongo Béti. Cet homme de lettres est mort dans des circonstances un peu curieuses, c’est le moins qu’on puisse dire. De son vivant, on lui a mené la vie dure. Il y a eu un moment où, on lui a dénié sa qualité de camerounais. Je me rappelle qu’à un moment, il voulait se présenter aux élections je crois sur une liste Sdf, on lui a refusé cela. Ce n’était pas humain de porter de tels jugements de valeur. Je crois moi qu’à part des grands héros nationaux, à l’instar de Félix Moumié, Um Nyobe, Ernest Ouandié ; en dehors de Milla connu à travers le monde entier pour son football ou Samuel Eto’o, Mongo Béti, à travers sa littérature, représentait le Cameroun. Lorsqu’il est mort, le président a voulu envoyait une gerbe de fleurs, disait-on. C’est terrible de voir que quand nous avons des valeurs, de leur vivant, on essaie de les écraser et quand ils meurent, on fait un geste. Ça me donne un sentiment pas agréable du tout. Et je dois dire que ce genre de traitement n’est du tout ce qu’il faudrait dans un pays comme le nôtre.



Garga Haman, homme politique: «Un ami que je perds»
J’ai connu Pius Njawe comme directeur de publication du Messager, ça fait trente cinq ans quand j’étais à la Sonel ; et on était très proches. C’est à lui que j’avais demandé de me donner toutes les adresses des journaux du monde pour annoncer ma démission. Et on ne peut donner qu’à des gens qui sont proches et à qui on fait confiance. Avant de remettre ma démission, c’est à lui et à lui seul que j’avis accordé une interview pour annoncer cette surprise nouvelle. La dernière livraison du Messager d’il y a trois mois, avait retracé nos liens. Alors c’est un ami que je perds. C’était un grand journaliste courageux. On ne peut rien faire de grand au monde si on n’est pas courageux. Il ne reculait devant rien, et c’est pour cette raison qui est mort sur le champ de bataille. Vous les jeunes journalistes, vous devaient copier l’exemple de ce grand homme qui nous quitte. Vous devaient apprendre à dire la vérité dans la diffusion des informations, afin d’aider le Cameroun à changer.

Rassemblés par Bernard Tchami


08/08/2010
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