Personnalité : M. Paul Biya a-t-il changé?

YAOUNDE - 11 Avril 2012
© Sylvain Andzongo | Repères

La célérité avec laquelle le chef de l'Etat donne suite à certains dossiers brûlants ces derniers mois, contraste avec l'image du Président qu'il a toujours été : celui qui prend son temps. Ou celle du «roi fainéant».

La célérité avec laquelle le chef de l'Etat donne suite à certains dossiers brûlants ces derniers mois, contraste avec l'image du Président qu'il a toujours été: celui qui prend son temps. Ou celle du «roi fainéant». Ce n'est plus totalement le Paul Biya qui clamait que «la conférence nationale souveraine est sans objet pour le Cameroun», défiant ainsi le vent des changements et des réformes qui soufflaient sur l'Afrique dans les années 90. Ce n'est peut-être plus le Paul Biya inflexible sur plus d'un sujet. Quelques illustrations...



Refonte des listes électorales, Biométrie, etc...: M. Biya dit oui.

Refonte de la liste électorale, introduction de la biométrie dans le processus électoral, ou alors un code électoral unique... De telles concessions étaient impensables il y a quelques années. D'ailleurs, juste avant la présidentielle de 2011, ces revendications figuraient dans les 11 points exigés par le principal parti de l'opposition, le Social democratic front (Sdf). Le pouvoir n'a pas cillé, les élections se sont tenues malgré tout. Elections cameroon Elecam en charge des élections arguant que le temps était court et que les anciennes listes électorales pouvaient juste être toilettées. Mais, pour la première fois, la participation de la diaspora camerounaise aux échéances électorales est effective.

Revirement spectaculaire mardi 07 février 2012, à Yaoundé. Le conseil électoral d'Elecam, réuni en session extraordinaire, ordonne la refonte des listes électorales. Une refonte qui met un terme à la révision décidée fin 2011 par le directeur général, M. Mohaman Sani Tanimou, et entamée le 5 janvier 2012. De fait, les développements de M. Samuel Fonkam Azu'u, président du Conseil électoral, trahissent le fait que la décision d'Elecam a préalablement reçu l'approbation tacite du pouvoir.

Entre temps, à l'Assemblée nationale, un projet de loi sur l'introduction de la biométrie est adopté. Idem pour l'adoption d'un code électoral unique.



Affaire Vanessa Tchatchou: Le président limoge les responsables de l’hôpital

Vendredi 9 mars 2012, M. Fru Angwafor III est le nouveau directeur général de l'hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Ngousso. En remplacement de M. Anderson Doh Sama limogé. C'est la substance du décret du président de la République. Le décret présidentiel qui nomme de nouveaux responsables à la tête de cet hôpital de référence, démet dans le même temps les responsables en poste. Même si le texte de M. Paul Biya est muet quant aux mobiles de ce limogeage, il est difficile de ne pas faire un lien avec les événements qui l'ont précédé. En l'occurrence l'affaire Vanessa Tchatchou, du nom de cette adolescente dont le bébé a disparu d'une couveuse de l'hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Ngousso depuis août 2011. En dehors de M. Fru Angwafor III, M. Paul Biya nomme également M. Charles Salé au poste de président du conseil d'administration.

De mémoire de Camerounais, le chef de l'Etat a rarement réagi avec une telle célérité. En d'autre temps, il aurait pu laisser pourrir la situation. En attendant de retrouver le bébé de Vanessa, le premier lot de consolation est le limogeage de M. Anderson Doh Sama qui se montrait complaisant dans la gestion de cette scandaleuse affaire de trafic de bébé.



M. Biya coupe des têtes dans le secteur de l’immobilier

Lors de sa prestation de serment le 03 novembre 2011, M. Paul Biya annonce les couleurs. Il décrie des «dérives inacceptables dans le secteur des logements sociaux». Il condamne une «certaine passivité de quelques responsables», qui a donné un retard à l'allumage de nombreux projets. Il indique que, «L'habitat demeure la priorité de notre action. Le programme de construction de 10 000 logements sociaux sera réactivé, en concertation avec le secteur privé et les autres partenaires nationaux et internationaux.»

Quatre mois plus tard, ce qui n'est pas toujours son habitude, le 9 mars 2012, il porte de nouveaux responsables à la tête du Crédit foncier du Cameroun. Ainsi, M. Camille Ekindi est remplacé par M. Jean-Paul Missi. Le nouveau directeur général aura comme adjoint M. Jean Calvin Tchonock. En toile de fond de ce limogeage, l'échec global du Crédit foncier après plus de trois dizaines d'années. Et même si on ne peut pas l'imputer au seul crédit foncier du Cameroun, la politique de logement a complètement échoué.



Le chef de l’Etat sauve (pour l’instant) les tracteurs d’Ebolowa de la broussaille

C'est un fait rare. La Presse dénonce une situation et M. Biya réagit. Le cas des tracteurs abandonnés à Ebolowa. Fin janvier 2012, alors qu'il est en séjour de près de trois semaines dans son village natal Mvomeka'a, la presse révèle que 111 tracteurs sont abandonnés dans la broussaille au complexe industriel d'Ebolowa. Selon toute vraisemblance, il commande des rapports à différents services, ceci après avoir dépêché sur place une mission conduite par le ministre de l'Economie, de la Planification et de l'Aménagement du territoire (Minepat), M. Emmanuel Nganou Djoumessi. Le mois suivant, les 111 bulldozers sont rétrocédés au ministère en charge de l'Agriculture.


Bémol

Si M. Paul Biya donne actuellement l'image d'un Président qui suit de près les dossiers de la nation, les exemples des cas où il fait preuve d'atonie sont légion. A Ebolowa les chantiers abandonnés du dernier comice agro-pastoral sont là pour le témoigner. «Je tiens à le dire : tous ces chantiers vont se poursuivre jusqu'à leur terme cette année (Ndlr : 2011). Mon Cabinet y veillera particulièrement aux côtés du vice-Premier Ministre chargé de l'Agriculture», promet-il. Bilan des courses: le chantier de l'hôtel du comice, une infrastructure hôtelière de trois étoiles assortie de trois suites présidentielles, est au point mort. C'est la même gangrène qui s'est saisie de la route périphérique de 15 km Nnemeyong-Mvam Essakoe. Même sort aussi pour le centre d'hémodialyse. A se demander ce que vaut la parole présidentielle dans ce cas.

La célébration du cinquantenaire de la Réunification annoncée dans son discours à la Nation le 31 décembre 2010, n'a pas eu lieu. Depuis 2008, année de prescription des mesures de défiscalisation sur les denrées de première nécessité, la situation décriée par les Camerounais qui étaient sortis en masse dans les rues contre la vie chère, n’a pas beaucoup changé. Au contraire, le coût de vie n'a fait que renchérir. La loi de finances de 2012 a modifié les impôts. Ainsi, la taxe sur le précompte pour la farine et le riz est passée de 1 à 5%. Le sac de 50 kg de farine vendu actuellement à environ 20 000 FCFA, coûtait au moment des mesures spéciales présidentiel 17.500 FCFA. Et tutti quanti.



M. Mathias Owona NGuini: «Les concessions de Paul Biya ne menacent pas sa position»


Depuis le début de cette année 2012, l'on se rend compte que M. Biya a lâché du lest concernant plusieurs dossiers (refonte de la liste électorale, code électorale unique, etc.) Est-ce qu'il a changé?

C'est toujours le même régime. Tous ces actes sont posés dans une perspective de calcul politique. Donc je ne vois pas en quoi il a changé. Ce sont les mêmes manières de procéder aujourd'hui comme hier.


Avouons quand même que ce n'est plus le Paul Biya inflexible et intransigeant qui n'a presque jamais cédé à une quelconque pression venant des Camerounais, par exemple.

?? lui souffle le chaud et le froid en ce sens qu'il définit ce qui est considéré comme son intérêt politique. Tout cela est toujours envisagé dans une perspective manœuvrière. Il n'y a pas une souplesse fondamentale parce que, ce ne sont pas des concessions qui menacent sa position. Les concessions sur la biométrie ou un certain nombre de revendications ne menacent pas sa position qu'en réalité elles n'ont pas été adoptées à la suite d'un dialogue ouvert. Ça veut dire qu'il a imposé son propre agenda en faisant des concessions et en donnant l'impression qu'il se soumet aux revendications de l'opposition. Vous voyez bien qu'une partie de cette opposition récuse la qualité du dialogue autour de la réforme électorale.


Ces derniers temps, c'est un Président qui limoge dès qu'il s'avère qu'un dirigeant n'est pas à la hauteur.

Le limogeage est un instrument du président nommant aux fonctions civiles et militaires, il faut de temps en temps qu'il limoge des personnes. Les limogeages peuvent apparaître comme une expression de fermeté. Mais seul, il ne suffit pas à garantir que les nouveaux gestionnaires vont s'inscrire dans une perspective forte de gouvernance s'il n'ya pas de suivi de la manière dont-il gère. Donc tout ça, ça ne change pas le fond.


15/04/2012
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