Paul Eric Kingue: “Je suis un détenu politique... Le Premier ministre était au courant du complot”


YAOUNDE - 20 AOUT 2010
© Théodore Tchopa | Le Jour


"...Comment ne pas penser que je suis un détenu politique quand on n’ouvre pas les débats dans les procès pendants à Nkongsamba, en me laissant partir de Douala pour aller comparaître et revenir à Douala où j’ai été régulièrement transféré pour cause d’appel..."

Deux ans après les émeutes qui ont mis à feu et à sang certaines villes du Cameroun, pouvez-vous rappeler à nos lecteurs ce que c’est que l’affaire ou plutôt les affaires Paul Eric Kingue ?


A cette phase non. Pour ne pas risquer d’être reproché d’avoir porté à la place publique, des procès encore en cours. Mais ce que je peux globalement dire est que les dossiers ouverts contre moi sont purement et simplement fantaisistes et n’ont pour seul but que de permettre à mes bourreaux de se faire une apparente bonne conscience, en m’accusant de ceci ou de cela. Ceux qui ont monté des accusations contre moi à l’aube de février 2008, après les avoir préparées dès ma prise de fonction, n’avaient pas initialement pensé à la tournure que devraient prendre les évènements (mon interpellation et mon incarcération) plus tard ; ceux-ci, après avoir planifié le coup et pris de l’argent auprès des bananeraies du Moungo en terme de centaines de millions s’il vous plaît, aidés en cela par les autorités administratives (préfet et sous-préfet), pensaient que l’interpellation d’un "maire de banlieue" n’aurait aucune répercussion sur la scène nationale, encore moins sur la scène internationale. C’était sans compter avec l’œil éveillé des journalistes camerounais, déterminés à jouer leur rôle à fond dans la construction de notre société, et des organisations non-gouvernementales des droits de l’homme qui ont, dès le début de mes problèmes, refusé la thèse que voulaient leur faire avaler les grands bourreaux assis dans certains bureaux feutrés de Yaoundé.


Pouvez-vous nommer ces bourreaux ?

Pour l’instant non ! Mais ils se reconnaitront à travers mon interview. C’est une chaîne qui commence à Njombé-Penja. Mes adversaires politiques, les propriétaires des bananeraies, le Sous-préfet et le Préfet avaient fait de la commune de Penja leur robinet que je suis malheureusement (pour eux) venu fermer. Tôt ou tard, ils seront formellement dénoncés preuves à l’appui auprès des organisations de lutte contre la corruption au Cameroun et même devant les tribunaux. Oui, tout part d’eux, mais pour mettre à exécution leur plan, il a fallu associer les magistrats du Moungo dans cette affaire. Une fois passés à la caisse des bananeraies, ces derniers n’avaient pour seule option que d’engager des procédures qui pour certaines ont abouti à une condamnation sans preuves matérielles, ni témoignages. Pour me résumer, les petits bourreaux dont je viens de parler ne sont que des déclencheurs de la grosse maffia qui a trouvé quelques oreilles attentives et "intéressées" à Yaoundé. Je dis quelques oreilles parce qu’en vérité, pour mettre en branle leurs inepties, les responsables des bananeraies françaises, accompagnés par le Préfet d’alors sont montés à Yaoundé, mallettes et sacs pleins, pour payer ma tête. Vous serez surpris que je vous le dise. Leur voyage à Yaoundé s’est fait avant les évènements de février 2008. J’en avais été informé et j’avais alors saisi le Premier Ministre chef du gouvernement par divers courriers. Pour vous convaincre, les services du courrier du Premier Ministère entre novembre 2007 et février 2008 portent les traces de dépôts par moi personnellement, des courriers informant le Premier Ministre d’alors, du complot qui était en cours contre moi.


Vos déclarations sont très graves…

Elles ne sont pas graves ; elles retracent simplement ce qui s’est réellement passé. Mon interpellation a été ordonnée le 12 février 2008, après le défilé de la fête du 11 février 2008. Aux motifs que pendant le défilé, j’avais demandé aux jeunes de perturber la fête d’une part et d’autre part, j’étais resté assis au moment de l’exécution de l’hymne nationale alors que j’étais maire…Des aberrations que j’ai fait balayer d’un revers de main en produisant au gouverneur du Littoral et au Minatd, des images (CD Rom) contredisant ces grossiers mensonges !


Devons-nous comprendre qu’avant même ces émeutes, vous étiez déjà une cible à interpeller ?

Pour vous le prouver, je vous remets ce rapport du sous-préfet daté du 12 février 2008. Vous voudrez bien si vous le voulez, le publier. A la lecture de ce rapport du sous-préfet adressé au préfet du Moungo, une réunion du Cco (comité de coordination), sous la présidence du préfet Gambo Haman, s’est tenue à Nkongsamba et a relayé le même rapport mensonger au Cco du Littoral présidé par le gouverneur. C’est à la suite de la tenue du Cco du Littoral que Yaoundé ordonne mon arrestation. Nous sommes le 12 février 2008, bien longtemps avant les émeutes.


Et comment vous mêle-t-on donc à ces émeutes?

Je suis mêlé aux émeutes parce qu’après que j’eusse été informé du plan machiavélique en préparation, j’ai personnellement remis au gouverneur du Littoral le CD-Rom qui montrait bien que je n’étais pas resté assis pendant l’exécution de l’Hymne national le 11 février 2008. Désemparés par cette anticipation, il n’y avait plus suffisamment d’arguments pour faire exécuter leur projet machiavélique qui consistait à me mettre hors d’état de nuire à ce moment précis. Les émeutes venues, le prétexte leur était enfin servi par la nature sur un plateau d’or. M’accuser d’être l’instigateur des émeutes à Penja était devenu leur meilleure arme ; et ils l’ont fait. C’est ainsi que le 28 février 2008, je suis interpellé sans aucun mandat, gardé à vue pendant 21 jours disait-on sur ordre du préfet, au groupement de gendarmerie du Moungo où j’étais au quotidien torturé, enchaîné et obligé de me coucher sur un sol nu pendant toute la garde à vue.


Voulez-vous dire que vous avez été injustement accusé d’avoir été l’instigateur des émeutes à Njombé-Penja ?

Oui … Oui … Oui … ! J’en veux pour preuve, cette condamnation rendue à Nkongsamba le 19 janvier 2009. Une condamnation qui ne repose sur rien, sur aucune preuve matérielle. Le législateur a pourtant été clair en la matière : « La décision du juge ne peut être fondée que sur des preuves administrées au cours des débats » (article 310 alinéa 3 du Code de procédure pénale). Le même législateur reconnaît les témoignages comme preuves, à la seule condition que ceux-ci soient directs. « Est direct, tout témoignage qui émane de celui qui a vu un fait si c’est un fait pouvant être vu, de celui qui a entendu un fait si c’est un fait pouvant être entendu, de celui qui a perçu un fait si c’est un fait qui pouvait être perçu… ». Or dans le jugement rendu à Nkongsamba, aucun témoin, mais alors aucun ne dit m’avoir vu sur le théâtre des émeutes. Aucun ne dit m’avoir entendu donner le moindre ordre aux émeutiers que je ne connais toujours pas ; plus grave, parce qu’un crime n’est jamais parfait, le sous-préfet déposant comme témoin de l’accusation, a versé une liste des instigateurs et des exécuteurs des émeutes au dossier de procédure. Dans ces listes, mon nom ne figure nulle part. Le même sous-préfet dit ne m’avoir pas vu tout au long des émeutes ; le commandant de brigade, lui emboitant le pas, déclare exactement la même chose que le sous-préfet. Au total, 30 co-détenus, 22 témoins à charge, aucun ne dit m’avoir aperçu sur le théâtre des émeutes. Pour tout couronner, un co-détenu, sieur Ambomo Guy Modeste dénonce et dit avoir fait l’objet des pressions et même des suggestions fallacieuses pour déposer en mentant contre moi et ce, au mépris de l’article 122 du Code de procédure pénale. Dans un Etat normal, cette seule déclaration parue dans les journaux en mars 2010 et qui a fait le tour du monde, aurait suffi pour établir mon innocence.


Selon vous donc, et en l’absence de tout élément matériel, qu’est-ce qui justifiait ma condamnation si ce n’était un règlement de compte politique bien ourdi d’avance ?

Plus grave, une décision rendue avec des contradictions des motifs qui font honte. Au commencement, selon l’ordonnance de renvoi au Tgi du Moungo, ma culpabilité était retenue parce que selon le juge d’instruction, j’avais tenu des réunions préparatoires aux émeutes, ensemble avec le Dr Victor Kamè, dans son domicile. Au terme des débats au tribunal, le premier juge reconnaît et je le cite : « qu’il n’existe dans le dossier de procédure, aucun élément permettant d’établir que les réunions tenues chez Dr Kamè avaient un lien avec les émeutes et pillages objets de la cause ». Par conséquent, le premier juge a acquitté Dr Kamè des faits de complicité de pillage en bande, obstruction, destruction, etc …Mais curieusement et en toute contradiction, le même juge retient ma culpabilité pour avoir tenu des réunions préparatoires aux émeutes ensemble avec Dr Kamè et au domicile de ce dernier. En répression, me condamne à 6 ans d’emprisonnement ferme et 850 millions à payer à la Société des plantations du Haut Penja (Php). Voyez-vous une telle contradiction? C’est le même juge qui dit n’avoir aucun élément, c’est le même juge qui acquitte Dr Kamè Victor des infractions liées à ces prétendues réunions, et c’est le même juge qui dit n’avoir aucun élément qui retient ma culpabilité du fait des mêmes réunions dont il dit n’avoir aucun élément permettant d’établir que ces réunions avaient un lien avec les pillages et émeutes objets de la cause.
Une décision qui donne du tournis et qu’un élève, même du cours élémentaire ne comprendrait. Bizarre non ? Cette contradiction seule, suffit pour que la nullité de cette procédure soit prononcée par la Cour d’Appel.


Vous faites-là le procès des magistrats de Nkongsamba ?

Je suis prêt dans les prochains jours, même s’il faut être pendu parce que j’ai osé vouloir faire payer les taxes aux français, de mettre dans un blog les notes d’audiences du tribunal de Nkongsamba, pour permettre au monde entier de comprendre que les contradictions relevées dans la décision rendue n’honorent pas notre justice. Ici, les magistrats qui ont rendu ce jugement ont balbutié et rien de plus, pire que des gamins ...


Votre affaire en rapport avec les émeutes de février 2008 n’en est qu’une parmi tant d’autres…

Comme je vous l’ai dit, mes bourreaux ont tout mis en marche pour détruire ma vie. Mensonges, calomnies …tout y est passé pour prouver à l’opinion suffisamment regardante dans mes affaires qu’on ne m’a pas interpellé pour rien. Je me souviens que le procureur du Moungo, en pleine audience me disait et ce, devant les journalistes venus assister à une audience, qu’il mettrait tout en jeu pour que je ne recouvre pas ma liberté avant longtemps. C’est la mise en application de ses menaces que je vis aujourd’hui. Conscient que le procès des émeutes peut ne pas produire l’effet escompté jusqu’au bout, parce que sans éléments, le procureur du Moungo qui a manipulé sieur Ambomo Guy Modeste de mentir sur moi, a pris sur lui, d’ouvrir contre moi des procédures vides les unes les autres, en espérant qu’avec la tactique du dilatoire, je mourrai en prison. Mais, je regrette qu’il ne soit pas convaincu des miracles de Dieu notre Créateur. Dieu ne punit jamais le coupable et l’innocent. Mon innocence, dans toutes ces machinations, m’accompagnera. Même si je venais à décéder en prison, parce que j’ai voulu faire mon travail tel qu’il le fallait, j’accepterai de mourir la paix dans l’âme.


Vous ne faites toujours pas allusion aux autres dossiers

Deux autres dossiers sont ouverts contre moi par ce procureur qui a formellement induit toute la République en erreur en voulant faire croire qu’il avait des éléments accablants contre moi.

En dehors du dossier des émeutes, il m’a poursuivi par ailleurs en alléguant que j’avais détourné 1.400.000 francs Cfa (un million quatre cent mille) de la commune de Penja, ensemble avec trois autres responsables de cette collectivité toujours en détention. En faisant la division de la somme supposée détournée, il m’est individuellement donc reproché d’avoir détourné 350.000 francs Cfa (trois cent cinquante mille), de quoi faire rire tout homme normal, quand on sait ce qu’il faut débourser pour être élu maire Rdpc dans un contexte comme le mien ; Njombé-Penja étant le fief naturel de l’opposition ; quand on sait aussi que pour le Rdpc, j’ai vendu deux immeubles à Yaoundé pour faire admettre mon parti dans le Moungo-Sud en général et à Njombé-Penja en particulier.


Voulez-vous dire une fois de plus que ces autres accusations sont non fondées ?

Elles sont bien sûr non fondées parce que dans le premier cas, il m’est reproché ensemble avec trois de mes collaborateurs, d’avoir détourné 1.400.000 francs Cfa (un million quatre cent mille), sur la simple base que la dépense que j’ai engagée en ma qualité d’ordonnateur, de juge d’opportunité et de gestionnaire de la commune, devait être visée préalablement par le préfet. Comme si pour engager une dépense dans sa commune, le maire doit préalablement obtenir le visa du préfet. Au départ, le procureur s’appuyait sur l’article 29 du décret n° 77/91 du 25 mars 1977 déterminant les pouvoirs de tutelle sur les communes, syndicats de commune et établissements communaux, modifié par le décret n° 90/1464 du 09 novembre 1990 qui stipule que les actes du maire sont exécutoires après visa préalable du préfet. Porté aux boîtes de nuit, restaurants et cabarets à Nkongsamba, le procureur n’avait pas compris que le décret sur lequel il voulait fonder son accusation visait la loi n° 23 du 5 décembre 1974 qui elle-même est abrogée depuis le 22 juillet 2004. Les lois de 2004 étant devenues désormais celles régissant les communes au Cameroun.

A supposer même qu’il avait existé une loi exigeant du maire d’obtenir le visa préalable du préfet, en quoi sa violation aurait été pénale ? La violation d’une règle de procédure relève de la seule compétence du juge administratif !
Par ailleurs, au moment où j’attends qu’il me soit produit une seule pièce à charge montrant que j’ai perçu la somme querellée, le procureur m’oppose uniquement un décret abrogé sans aucune pièce, ni aucune expertise. Cette somme a pourtant été utilisée (pièces à conviction) à l’appui, pour la location de l’orchestre ayant animé la cérémonie d’installation de l’exécutif communal de Penja le 25 septembre 2007, ainsi que pour les boissons. Ici, je ne me suis pas limité à verser comme preuve les factures, mais pour démontrer le non-sens de l’accusation, j’ai les images (CD-Rom) prouvant que cette dépense n’est pas fictive.


Comment peut-on me reprocher un détournement alors que de par ma fonction, je suis l’unique ordonnateur du budget communal au moment des faits ? Comment peut-on me reprocher d’avoir ordonné la dépense sans avoir attendu le visa du Préfet ? Quel texte de loi au Cameroun l’impose ?

Aucun texte, mais alors aucun n’oblige le maire à faire viser ses décisions par le préfet. N’étant pas au fait de l’évolution des lois régissant les communes, le procureur s’est largement fourvoyé et, lorsqu’il s’en est rendu compte pendant les débats, il a ouvert un troisième dossier dans lequel il m’est reproché d’avoir cette fois-ci détourné 4.960.000 francs Cfa (quatre millions neuf cent soixante mille) donnés par une société de la place dans le but d’installer un réseau d’eau à l’hôtel de ville de Penja. Cette somme a bel et bien été versée par cette entreprise, qui était à son tout premier "geste" au profit de la commune qui abrite pourtant ses activités. Cette somme également a été utilisée (pièces à conviction à l’appui) pour installer ce réseau d’eau Snec. Je vous donne copies de ces pièces afin qu’après ma mort programmée, vous les présentiez à l’opinion qui mérite d’être édifiée dans ces affaires raccommodées de toutes pièces. Non seulement les travaux ont été réalisés, mais les populations qui sont autour de ces travaux bénéficient des retombées de ceux-ci, réalisés sur un kilomètre et dont la facture s’élevait initialement à 9.160.600 francs Cfa (neuf millions cent soixante mille six cent). Ces travaux sont constatables par tous. Je vous remets par ailleurs le constat d’huissier prouvant que les travaux en question ont été réalisés, ainsi que le procès-verbal de réception des travaux.


Comment expliquez-vous donc que vous soyez toujours détenu jusqu’à nos jours ?

Cette histoire est un gros mensonge d’Etat dans lequel on est allé vite en besogne. Au lieu de recouper avant, les prolongements des mes bourreaux à Yaoundé ont vite conclu avant d’avoir investigué. C’est au fur et à mesure que les dossiers avancent que beaucoup comprennent qu’ils pourront être coincés le moment venu, dans cette histoire. Seulement, l’embarras s’est installé. Comment dire aux camerounais et au monde entier qu’on s’est trompé ? Voilà le hic d’aujourd’hui : la peur d’innocenter quelqu’un qu’on a condamné avant de l’avoir jugé. Il ne m’a même pas été permis d’apporter la contradiction si nécessaire, dans chaque cas où un responsable doit être sanctionné. Souvenez-vous que dans une lettre ouverte au président de la république, je dénonçais déjà le fait que le principe du contradictoire m’ait été totalement refusé. Même votre "boy" de maison mérite qu’il lui soit demandé des explications en cas de faute lourde ! Vous comprenez qu’un maire élu a été traité, tel que le montre mon cas, moins qu’un "boy", et ce, en violation totale de l’article 94 de la loi n°2004 - 18 du 22 juillet 2004, fixant les règles applicables aux communes, chapitre 2, section 3.
Dans un Etat de droit, je reste convaincu que s’il m’avait été donné l’occasion de m’expliquer, le pire aurait été évité. Aujourd’hui, il s’agit pour mes bourreaux de ne pas perdre la face. Il se donnerait la mort si l’Etat venait à reconnaître qu’il a été trompé par eux. Seulement, et je puis vous rassurer, j’ai pardonné à tout ce monde, la prison m’ayant rapproché plus qu’hier de mon Dieu, le Dieu créateur de l’univers, le Dieu de Jésus-Christ.


A votre avis, existe-t-il un lien entre vos déclarations dans une chaîne de télévision de la place au sujet des morts enregistrés à Njombé Penja lors des émeutes de février 2008 et votre arrestation ?

Je vous ai dit que les émeutes ont servi de prétexte pour éliminer "l’empêcheur de bouffer et de tricher" que j’étais à Njombé-Penja. Le jour même où j’ai été interpellé, c’est la seule question qui m’avait été posée par l’enquêteur à savoir : « pourquoi avez-vous déclaré qu’il y a eu mort à Penja » ? Je lui ai répondu : « Y a-t-il un délit ou un crime pour un maire, de faire le bilan du désastre dans sa localité après de telles émeutes ? ».

Embarrassé, l’enquêteur a compris que s’il continuait dans cette lancée, l’opinion comprendrait trop vite que je suis un détenu politique.

Et pour masquer mon arrestation, il a fallu qu’ils aillent chercher ailleurs d’autres arguments non liés à cette déclaration faite à Canal 2 International. Cette interview est l’élément direct qui a catalysé mon arrestation. En clair, je suis un détenu politique qu’on essaye de faire passer pour un détenu de droit commun. Le Lieutenant-colonel Nguete Nguete et le procureur Bifouna Ndongo m’ont clairement dit que je suis finalement arrêté pour avoir informé l’opinion sur les morts de Penja et de Loum. En fait c’était la goutte d’eau qui débordait le vase. Mais biens malins, ils ont tout fait pour que cela ne paraisse pas à l’avant-plan des accusations contre moi.

Et, parlant même de ces interventions à la télé, personne ne s’est soucié de savoir dans quelles conditions je les ai faites. J’étais assailli par plus de cinq mille émeutiers qui promettaient de me tuer si je n’informais pas Canal 2 International de ce qui venait de se passer à Penja et aux environs. Quel choix avais-je ? A l’impossible nul n’est tenu ! Devrais-je accepter d’être lapidé et décoré à titre posthume par l’Etat ? Est-ce ce qu’on voulait de moi ?

Non ! L’instinct de survie et le devoir de vérité m’ont fait choisir la vie. Et en parlant à Canal 2 International, je prenais là le visa de ma vie, qui m’était presqu’arrachée par les jeunes armées de gourdins et de machettes ce jour-là. Je n’ai pas fait ces déclarations dans ma chambre, mais bien devant le commandant de brigade de Penja et toutes les autorités qui étaient elles aussi désemparées.
A supposer donc que ce soit pour ces déclarations que j’ai été arrêté, une déclaration faite d’ailleurs après les émeutes à Penja (parce que faites le 27 février), en quoi celle-ci est-elle plus grave que les cas de ceux qui ont tué ? Qui ai-je tué pour être autant détruit tel que c’est le cas en ce moment ? Ai-je attenté à la vie du chef de l’Etat ?

Ne voyez-vous pas avec quelle passion les dossiers des émeutes ont été gérés dans le Moungo où se trouvent les intérêts des opérateurs français ? Qu’a perdu le Moungo pendant ces émeutes en comparaison à Douala ? Mais a-t-on interpellé un maire à Douala pendant ces émeutes de février 2008 ? Que cherchent les tribunaux aujourd’hui, quand pour une si simple affaire pour laquelle le chef de l’Etat avait déjà gracié les auteurs, on en soit à 23 renvois ? Qui peut oser croire que les affaires Paul Eric Kinguè ne sont pas politiques ? Il est facile d’accuser mais difficile de prouver. On en est là aujourd’hui. Depuis bientôt un an, on attend toujours les témoins à la cour d’appel, les parties civiles même sont portées disparues.

Le ridicule ne tue plus au Cameroun ; sinon comment décoder cet acharnement dont je suis l’objet depuis deux ans et demi ? Qui a peur de ma libération ? Qu’est-ce que ma détention apporte à l’Etat du Cameroun dont je n’ai pas essayé de déstabiliser l’intégrité ? Je mourrai sans doute en prison pour avoir exigé des français du Moungo les taxes communales, mais je mourrai la conscience tranquille, avec le sentiment ultime d’avoir refusé de tremper dans la corruption, dans le faux aujourd’hui institutionnalisé dans notre pays.


Vos rapports avec les opérateurs des bananeraies étaient apparemment très tendus avant même les émeutes de février 2008 ?

Non, en vérité non. Non, parce qu’il n’existait pas entre ces gens-là et moi des problèmes de personnes, mais bien des problèmes entre structures, c'est-à-dire la commune d’une part et les plantations d’autre part.

Certaines langues disent que les problèmes de taxes auxquels vous faites allusion n’existent pas. Votre successeur l’a toujours soutenu…

J’ai aussi appris, à travers la télévision, les interventions de mon «successeur» qui essaye de blanchir ces opérateurs de bananeraie. Chaque fois que j’entends ses interventions, j’en ris parce qu’en vérité, si ces plantations payaient leurs taxes communales, Njombé et Penja n’auraient pas un visage hideux rappelant celui de "Zangali" de René Philombe. "Zangali" où les routes n’avaient de routes que de nom, jonchées de nids de poule…

Il me plaît de vous dire avec aisance que le paiement par ces sociétés de taxes communales se serait obligatoirement ressenti dans le développement de Njombé-Penja. En prenant un petit exemple, en 2007, la Php fait 207 milliards de chiffre d’affaires pendant que la Société des plantations de Mbanga (Spm) fait 07 milliards de chiffre d’affaires. Et ces sociétés ne parviennent pas à payer la moindre taxe communale que paye la « Bayam-Sellam » de nos marchés. De qui se moque-t-on ? Et pour s’en défendre, cette entreprise brandit des lettres d’exonération signées il y a plus d’une dizaine d’années par un inspecteur des impôts, alors qu’elle n’est pas éligible à ces exonérations qui en réalité, concernent plutôt les coopératives agricoles. Ces entreprises sont des agro-industrielles tournées vers l’exportation. Les listes des coopératives agricoles sont connues au Cameroun. La patente n’est que l’une des dizaines de taxes que ces entreprises françaises ne payent pas ; créant ainsi un manque à gagner de plus de 2 milliards et demi par an à cette commune pourtant très riche, mais paradoxalement peuplée des hommes et femmes qui côtoient la mort au quotidien, du fait de la misère à laquelle il faut ajouter la profusion, je voulais dire la propagation sur leurs corps, des produits toxiques interdits en agriculture partout au monde.


Regrettez-vous d’avoir engagé ce conflit fiscal avec ces intérêts français ?

Non ! J’aurais plutôt regretté si je n’avais pas exigé que ces taxes soient payées. Elles ne sont pas toujours payées malgré leur reversement, après ma dénonciation, dans le régime de droit commun par le Directeur Général des Impôts (voir la lettre que je vous fais tenir et que vous pouvez publier). Où avez-vous vu dans le monde, le patron d’une administration fiscale dans un pays souverain, reclasser des entreprises et celles-ci refusent de s’exécuter en ne faisant aucun recours administratif ? Il n’y a que le Cameroun pour nous offrir un tel film, digne de celui des narcotrafiquants. Quant à ma vie, elle est au Seigneur qui peut la reprendre comme bon lui semble. Pour ce qui me concerne, j’ai pardonné à tous ceux qui s’illusionnent et pensent avoir ma vie dans leurs mains. Je prie Dieu tous les jours, de leur pardonner leurs égarements.
Je reste disposé à mettre à la disposition de tous, où qu’ils soient, les notes d’audience du Tgi du Moungo et les pièces relatives aux autres dossiers afin qu’une fois pour toute, chacune et chacun soit convaincu de mon innocence.


Vous considérez-vous au finish comme détenu politique ?

Je vous ai dit plus haut que les émeutes de février 2008 ont servi de prétexte à mon arrestation ; mais l’information que j’ai passée dans cette chaîne de télévision sous le coup des menaces des émeutiers et dont le fond était vrai, était le catalyseur direct de mon arrestation. Personne au Cameroun n’ignore que c’est après avoir dit qu’il y a eu des morts d’hommes par balles à Njombé-Penja et Loum que j’ai été enlevé et incarcéré, même si le processus de mon incarcération était déjà mis en marche par les bananeraies.

Deux heures seulement après cette intervention médiatique qui était la goutte d’eau qui débordait le vase, mon domicile était encerclé, mais discrètement par des éléments de force de maintien de l’ordre venus de Nkongsamba qui, renforcés le lendemain par le Bir et les éléments de l’armée de terre du Moungo, sont passés à l’acte en m’enlevant sans mandat, comme un vulgaire assassin …Une seule déclaration et je fus arrêté. N’est-ce pas là ce qu’on appelle "un délit d’opinion" ?

Par ailleurs, comment ne pas penser que je suis un détenu pas comme les autres, quand il m’a été interdit de communiquer avec ma famille et l’extérieur pendant 19 mois à Nkongsamba alors que tous les autres détenus communiquaient sans problème ? Comment ne pas penser que je suis un détenu politique quand la cour d’appel du Littoral, après vingt trois renvois, est incapable d’ouvrir les débats dans mon dossier ? Que recherche-t-on en renvoyant vingt trois fois ces audiences ? N’est-ce pas là la preuve d’un dilatoire savamment entretenu pour espérer me voir craquer en prison ? Seulement, je ne ferai pas ce plaisir à mes bourreaux ; je résisterai par la grâce de Dieu.

Comment ne pas penser que je suis un détenu politique quand on n’ouvre pas les débats dans les procès pendants à Nkongsamba, en me laissant partir de Douala pour aller comparaître et revenir à Douala où j’ai été régulièrement transféré pour cause d’appel ? Comment ne pas penser que je suis un détenu politique quand 28 mois après les émeutes qualifiées de la faim, alors même que le président de la république a gracié 96% des condamnés pour ces émeutes de février 2008, qu’on en soit encore à rappeler à travers mon procès, ces tristes évènements à l’opinion nationale et internationale ? N’est-ce pas pour une opinion que j’ai été arbitrairement enlevé et placé sous mandat de dépôt et ce après avoir reçu auparavant les menaces de mort, de destitution et d’emprisonnement de la part des opérateurs économiques français de Njombé-Penja? Qui doute du caractère politique de mon arrestation ?

Malgré le masque qu’on a voulu donner à mon affaire en m’accusant de tout, l’évidence d’une arrestation politique résiste et demeure ; et je profite de votre tribune pour souhaiter la présence massive des camerounaises et camerounais, des organisations non-gouvernementales de droits de l’homme, des medias, dans mes audiences afin qu’ils viennent tous entendre en direct, les raisons de mon arrestation. Deux ans et demi d’une vie détruite pour rien.

En quoi mes dossiers sont-ils plus sensibles que d’autres?
Après avoir traqué les délinquants fiscaux de Njombé-Penja, il ne restait plus qu’une étincelle : mon intervention à Canal 2 International et la coupe est pleine. Les conséquences, on les connait. Deux ans et demi de procès interminables, manipulés par des "immortels" et des "intouchables", et une révocation à la dimension de la décentralisation calquée sur le modèle des "Lamidats", qui fait d’un maire pourtant élu triplement, un moins que "boy" face à une tutelle qui n’est même pas sûre d’être élue dans sa propre famille si elle s’aventurait dans une élection transparente. J’accepte d’être pendu au nom d’un peuple que j’ai voulu loyalement servir. Au nom de la vérité, je reposerai alors paisiblement auprès de mon Créateur Dieu Tout-Puissant.


Aujourd’hui, quel est l’état de vos relations avec vos camarades du parti au pouvoir et quel rôle ont-ils joué dans vos malheurs ?

Les relations entre mes camardes dans l’ensemble et moi sont bonnes, très bonnes même, si je m’en tiens aux différents résultats que j’ai engrangés au cours des élections à l’intérieur du parti. Maintenant, si vous voulez dire qu’il existe une animosité entre les prétendants aux fonctions de maire et député à Njombé-Penja et moi, je vous dirai oui ! Ne voyez-vous pas qu’en les battant à chaque élection, c’était une forme d’humiliation qu’aucun homme politique normal ne pouvait digérer, surtout parce que, malgré les soutiens qu’ils avaient des autorités administratives, ils ne parvenaient pas à échapper à mes fessées électorales ? Il ne fait l’ombre d’aucun doute que tous mes adversaires sont aujourd’hui soulagés du fait de mon incarcération. J’ai toujours été une foudre électorale, ce qui n’arrangeait pas les autres, malheureusement moins nombreux, c’est-à-dire à peine 15 personnes sur plus de 60.000 âmes que compte cette localité. Ceci peut aussi expliquer cela. De là à penser que jaloux de mon dynamisme, ceux-ci conduits par Ndonno Mbanga André, directeur des relations extérieures des bananeraies de la Php, se sont alliés aux négriers français de Njombé-Penja pour "acheter" ma tête au Minatd, il n’y a qu’un demi pas. Mais parce que le Seigneur est plus grand que les hommes, la vérité se connaitra un jour, dans ces affaires que je ne connais ni d’Adam, ni d’Eve.


Avez-vous le sentiment d’avoir été lâché par vos « camarades » d’hier ?

Je préfère ne pas en parler. Sur cette question, accordez-moi le droit au silence ! Tout ce que je puis vous dire un mot à ce sujet, c’est que beaucoup me soutiennent, moralement et sont convaincus de mon innocence dans cette affaire.

Propos recueillis par
Théodore Tchopa


21/08/2010
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