Paul Biya, Un professionnel de la survie

YAOUNDE - 06 AOUT 2010
© MICHEL MICHAUT MOUSSALA | Aurore Plus

On l'a déjà donné pour mort plus d'une fois, tenté de le renverser par les armes en 1984, dit qu'il souffrirait de plusieurs maladies graves dont le cancer du foie...

On l'a déjà donné pour mort plus d'une fois, tenté de le renverser par les armes en 1984, dit qu'il souffrirait de plusieurs maladies graves dont le cancer du foie, programmé sa mort en lui achetant un avion, une sorte de cercueil volant dénommé l'albatros, déclaré à maintes reprises qu'il serait en fin de règne ou que le G11 serait sur le point de lui porter l'estocade finale. On a dit tout cela sur le chef de l'Etat depuis plusieurs années, ce qui ne l'empêche pas de multiplier de longs séjours en occident où il se la fait couler douce contre disant ainsi ses détracteurs de plus en plus nombreux.

Paul Biya est un chef d'Etat qui fait peu de déclarations publiques tonitruantes comme ses pairs de certains pays africains tels que Abdoulaye Wade du Sénégal, Idris Deby lino du Tchad, Mouammar Kadhafi de Libye ou encore Paul Kagamé du Rwanda. Il fuit ou évite les interviews, paraît peu en public sauf à l'occasion de certaines fêtes nationales. Il se fait donc discret mais cette apparence ne doit pas tromper: Paul Biya reste extrêmement vigilant quand il s'agit de son pouvoir. Un colonel à la retraite dont nous taisons volontairement le nom nous avait révélé il y a une vingtaine d'années qu'il était difficile de renverser le chef de l'Etat par un putsch. Paul Biya a toujours organisé sa sécurité de la manière suivante: quand il place par exemple un Anglophone à la tête d'une structure militaire, le premier adjoint peut être un originaire du Grand Nord tandis que le deuxième est bamiléké, le troisième, béti et, vice versa. Il sait très bien que même si l'esprit de corps peut prévaloir, il sera difficile qu'un béti s'entende avec quelqu'un du Grand Nord ou de l'Ouest pour le renverser. C'est ainsi qu'on peut constater que chaque fois qu'une tentative de putsch veut s'esquisser, elle est aussitôt éventrée pour la simple raison que les intérêts des protagonistes divergent. Car si des originaires du Grand Nord (pas tous bien entendu !) trouvent normal que Paul Biya soit renversé, les Bétis ne seront pas d'accord avec eux. Cette organisation de l'armée n'est pas il faut le reconnaître une garantie car sinon, on n'aurait pas renversé l'ancien président nigérien Mamadou Tanji qui avait placé des hommes sûrs dans les rouages de l'armée de son pays.

Si Biya constate que l'armée ou plutôt la garde présidentielle est infiltrée par des éléments qui lui sont hostiles, on parle même des gens de Guerandi Mbara, ancien capitaine de l'armée camerounaise, l'un des artisans du putsch manqué du 6 avril 1984, il va procéder à une purge systématique ou à tout le moins à des mutations. Il a une autre carte: remplacer la garde présidentielle par des éléments du bataillon d'intervention rapide (Bir). Mais est-ce que le Bir est une bonne solution, connaissant la fougue, la brutalité qui caractérise ces jeunes gens incontrôlables ?

Paul Biya a des habitudes, un mode de fonctionnement que beaucoup de gens n'ont pas encore compris: il reste ou passe peu de temps à Yaoundé au palais d'Etoudi, ce qui lui permet d'échapper à beaucoup de choses. En effet, le fait qu'il passe beaucoup de temps à l'étranger —mais pas en terres africaines— ou dans son village natal de Mvomeka'a le dispense de certaines choses. Il est difficile qu'il passe une semaine pleine dans la capitale si ce n'est pour remplir ou exécuter des tâches bien précises.

Il sait supporter beaucoup de choses que certains de ses homologues africains ne sauraient accepter: les injures de ses adversaires politiques, de l'opinion publique nationale et même internationale et de la presse. En effet, qui peut impunément insulter le président rwandais Paul Kagamé ou l'Erythréen Afeworki ? Paul Biya n'accorde pas une grande attention à tout ce qu'on dit de lui en mal. S'il le faisait ou s'il suivait les conseils de ceux qui lui demandent de réagir aux injures, pas mal de gens se trouveraient aujourd'hui en prison. Ses adversaires politiques l'agonisent de toutes sortes d'injures, dont certaines sont très osées, carrément des attaques personnelles et perfides qui n'ont rien à voir avec la politique. Ils lui font endosser des actes qu'il n'a jamais posés ou même imaginés. Ce sont généralement les responsables de son parti, le Rdpc, qui réagissent à sa place par la bouche ou la plume de René Emmanuel Sadi, le Secrétaire du Comité central, Grégoire Owona, le Secrétaire général adjoint ou Jacques Fame Ndongo, le Secrétaire à la Communication.

Il réagit très rarement aux attaques de la presse qui ne le ménage pas, une presse privée qui en a fait son fonds de commerce. Les caricatures de Popoli et les articles de certains journaux lui arrachent parfois quelques sourires comme s'il leur disait : «un seul mot, continuez !»

Ce que les gens semblent n'avoir pas compris, c'est que le chef de l'Etat est un bon psychologue. Il a très vite compris qu'en bâillonnant la presse ou les populations, cela lui créerait beaucoup plus de problèmes que de solutions. Il a très vite compris qu'en laissant les gens se défouler sur lui, cela servait d'exutoire. Cela donne l'impression à ses adversaires politiques et à la presse privée qu'ils sont vainqueurs. Une pure illusion car Paul Biya s'est fabriqué une coquille, une carapace en acier sur laquelle toutes ces injures et toutes sortes d'insanités qu'on déverse sur lui n'ont aucun effet sur sa personne. Une carapace qui lui permet de résister à tous les chocs quelque soit l'amplitude.

Pour survivre politiquement et physiquement, Paul Biya fait des concessions en laissant tourner autour de lui des collaborateurs à la réputation sulfureuse. Le chef de l'Etat sait que telle personne aime l'argent mais n'hésite pas à la nommer à un poste ou cet argent circule beaucoup. On peut citer l'exemple du directeur du cabinet civil à la présidence de la République, Martin Belinga Eboutou qui a des relations pas faciles avec l'argent. Paul Atanga Nji est un délinquant financier, mais le chef de l'Etat n'a pas hésité un seul instant à le nommer ministre chargé de mission à la présidence de la République. Quel est le but de cette manœuvre ? C'est de créer des obligés, des gens qui lui sont redevables à vie, des gens qui sont prêts à le soutenir en toutes circonstances. Il y a quelque chose que l'opinion ignore très souvent, c'est que Paul Biya possède des dossiers compromettants sur tous les délinquants qui gravitent autour de lui.

Il y a un élément dont on tient peu compte quand on parle du chef de l'Etat: c'est sa formidable baraka. Oui, le président de la République est un chanceux, un veinard né. Cette chance inouïe lui a toujours permis de se tirer de toutes les situations même les plus difficiles, les plus désespérées. Car au moment où on croit que tout est perdu pour lui, il se relève. Au moment où on croit que tout est compromis, l'horizon s'éclaircit soudainement. Il y a un constat que l'on peut faire: tout ceux qui ont essayé, tenté de se mettre en travers de son chemin sont aujourd'hui décédés, écartés d'une manière ou d'une autre de la politique ou jetés en prison. Victor Ayissi Mvodo, ministre en charge de l'Administration territoriale sous Ahidjo qui avait dévoilé son intention de se présenter à l'élection présidentielle est passé de vie é trépas sans avoir eu le temps de réaliser son rêve. C'était un candidat sérieux qui pouvait diviser l'électorat traditionnel béti de Paul Biya et un grand nombre de nostalgiques du régime Ahidjo non seulement dans le Grand Nord mais sur l'ensemble du territoire national. Samuel Eboua était également un candidat redoutable, jusqu'à ce que Maïgari Bello Bouba vienne lui arracher la présidence de l'Undp.

Paul Biya ne dort pas. C'est une erreur de le croire. Il veille de manière Permanente sur son pouvoir, peut être pas à la manière de Sani Abacha ou Etienne Eyadema, respectivement anciens présidents aujourd'hui décédés du Nigeria et du Togo qui dormaient en journée et restaient toute la nuit pour ne pas être surpris par l'ennemi. Il veille constamment au grain, surveille ses adversaires, que ce soit ceux de l'opposition ou ceux de son propre camp de plus en plus nombreux à afficher des ambitions présidentielles et dont on sait certains derrière les barreaux sous le couvert de l'opération épervier.

La chance, alliée à la ruse et à un fonctionnement atype pour un chef d'Etat font en sorte que 28 ans après sa prise du pouvoir, Paul Biya soit encore là. Et pour combien de temps ? Nous ne saurons répondre à cette question.



08/08/2010
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