Paul Biya, l'homme le plus puissant du monde?

Sorti vainqueur de l'élection présidentielle du 9 octobre, Paul Biya va entamer un sixième mandat à la tête du Cameroun.


Paul le jour de l'élection, le 9 octobre 2011. Seyllou/AFP

l'auteur

Eric Essono Tsimi 

Mise à jour du 3 novembre: Sorti vainqueur du scrutin du 9 octobre, Paul Biya a été investi président pour un sixième mandat consécutif. Il a prêté serment à l'Assemblée nationale.

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Mise à jour du 22 octobre -  Sans surprise le président camerounais Paul Biya a été déclaré vainqueur de l'élection présidentielle du 9 octobre. Il remporte 77,98% des suffrages devant son opposant historique John Fru Ndi qui a, lui, recueilli 10,71% des voix. Les résultats ont été proclamés par le 21 octobre au soir par la Cour suprême siégeant comme Conseil constitutionnel, au terme d'une audience qui a duré plus de 8 heures.

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Obama, Sarkozy, Poutine et Hu JinTao se retrouvent en comité restreint pour décider ensemble de qui, parmi eux, devrait être considéré comme le plus décisif de ces dernières années. Le premier ministre britannique est tout de suite éliminé, fragilisé qu’il est par l’affaire Murdoch. Au surplus, il n’a jamais su peser sur le Commonwealth comme le président français sur la Francophonie.

Et le gagnant est... Paul Biya

Avec sa sobriété caractéristique, Obama invoque tout simplement l’exploit du siècle. Il a exterminé le terroriste le plus dangereux de l’histoire universelle: Oussama Ben Laden. Sarkozy bombe son torse et, en pointant le «continent noir», dit qu’Alassane Dramane Ouattara à la tête de la Côte d’ivoire, c’est lui. Il précise, gouailleur, qu’il ne lui a pas fallu dix ans pour cela. L’exploit est d’autant plus inédit que les Ivoiriens eux-mêmes, selon des sondages crédibles menés par des instituts français, auraient penché pour la douce dictature de Laurent Gbagbo. C’est grâce à lui, Sarkozy, si le contentieux électoral de la Côte d’ivoire se résout à la CPI (Cour Pénale Internationale). Il ajoute, comme une évidence, que Kadhafi, c’est aussi son initiative, donc sa victoire personnelle.

Mais le premier ministre britannique se drape dans sa dignité et indique qu’il ne saurait être ignoré cette fois-ci. Il a été décisif dans l’affaire CNT (Conseil National de Transition) vs Kadhafi; c’est aussi de son fait si le verdict des armes a démocratiquement consacré le CNT. Des profondeurs de la géhenne, d’où l’on peut distinguer les voix de Pol Pot, qui crame du côté le plus chaud de l’enfer, ou de Hitler, qui exige que ses droits d’auteur sur son best-seller (Mein Kampf) soient reversés à tous les partis d’extrême droite européens plutôt qu’au Land de la Bavière, le guide libyen récemment défunt se charge lui-même d’apporter des clarifications d’outre-tombe.

Comme des voix plus infernales couvrent la sienne, il réussit à jeter un pavé dans la mare des croisés, sur lequel est gravé en lettres de sang: «Sarko m’a tuer», la preuve par neuf, s’il en était encore besoin. Gêné aux entournures par tant de reconnaissance, Sarkozy s’excite des épaules, comme à son habitude… Les Libyens ne s’y sont pas trompés, eux qui ovationnaient le président français quand l’OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord) pilonnait les positions de Kadhafi.

Vladimir Poutine estime, lui, que la couronne de l’homme le plus puissant au monde devrait lui revenir. Le Russe a été le seul président à avoir choisi comme lieu de retraite un poste de premier ministre. Comme tel, il est le seul premier ministre au monde à avoir nommé un président de la république. Et c’est enfin le seul premier ministre à avoir promis à son président d’être son premier ministre (ceci est une histoire vraie, si tant est que vous y compreniez rien!).

Le Chinois Hu Jin Tao, à la tête de la plus grande armée du monde, arrive et rappelle à Sarkozy tous les bons du trésor français en sa possession, à Obama qu’il détient le quart de la dette US et reconnaît que même si Forbes l’a désigné l’homme le plus puissant de la planète, il ne peut pas s’estimer plus puissant qu’un homme qui dure depuis si longtemps. Il n’a que 8 ans de règne quand Sa majesté Biya en a 30 !

Paul Biya, qui mâche, comme chacun sait, des écorces magiques aux propriétés mirobolantes, apparaît subitement. Il confirme être plus puissant qu’eux tous. Il n’a pu être inquiété ni par Obama, ni par Hillary Clinton et sa lettre au peuple camerounais, ni par WikiLeaks et ses câbles contre Yaoundé, ni par Sarkozy qui a entrepris de «génocider» les dictateurs du continent.

Il ajoute qu’il a annexé un bout de territoire du puissant voisin nigérian (Bakassi) et a supervisé personnellement la transition pacifique au Gabon. Son action a ainsi permis d’éviter un duel fratricide entre Ali et Pascaline Bongo. Il termine l’éloge de son moi en promettant à Obama et Sarkozy, du haut de son expérience, qu’ils n’auraient pas de second mandat dans leurs pays respectifs et que le temps leur manquerait de l’attaquer.

La morale de l’histoire: l’homme le plus puissant du monde est camerounais et vient d’être plébiscité, dès le premier tour d’une élection qui n’en compte qu’un seul avec 77% des suffrages exprimés, presque un vote par acclamation. Moubarak, Ben Ali, Saddam Hussein, Oussama Ben Laden, Gbagbo, Kadhafi, tous ces noms qui semblaient si terribles ont lamentablement échoué: pendu, exécuté, jugé, assigné à résidence, exilé, rien ne leur a été épargné dans la spirale de la déchéance, en terme d’avanies et de retournements de situation. Lui, il est toujours là et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Il aurait conclu un pacte occulte de non-agression avec son opposition et aurait marabouté son peuple pour que celui-ci réalise seulement après sa disparition toute la léthargie qui aura été la sienne.

Absences longues et répétées

La vie, aimait à dire un guérisseur pygmée, comme s’il était l’inventeur de la formule, la vie est une maladie mortelle. Tous les peuples esclavagés ont toujours su rendre grâce au ciel de ne leur avoir pas fait des maîtres immortels. La logique biologique finit toujours par présider au renouvellement du corps politique et demeure la perspective la plus viable dans l’horizon camerounais de l’alternance.

Le président polonais Lech Kaczinsky a administré la preuve par l’exemple que des chefs d’Etat pouvaient mourir inopinément. Si notre président n’a pas l’intention de l’imiter, ses séjours réguliers outre-Atlantique alimentent inévitablement les rumeurs et les supputations sur sa santé. Omar Bongo s’est vu lui aussi donner une leçon d’humilité par les dieux.

«Pov’Biya» n’est pas immortel. Vu son âge avancé il est même plus mortel que l’écrasante majorité des Camerounais. L’espérance de vie est de 56 ans au mieux, dans ce pays où la spécialité des hôpitaux est d’aider à mourir. En utilisant une image sportive l’on serait statistiquement fondé à dire que Biya, qui est chargé d’ans, joue les prolongations maintenant. L’appréhension commune est que cela se termine sur une mort subite (voir l’explication de cette crainte dans la dernière partie).

Est-ce politiquement sain de tabler sur la disparition d’un président, fût-il âgé de 79 ans,  et d’y fonder ses espérances? Le cas Biya, «l’homme le plus puissant du monde», rappelle l’histoire d’un Premier ministre français d’avant la révolution de 1789, le Cardinal de Fleury, qui est arrivé au pouvoir à 73 ans. On le savait d’une santé fragile, mais le souffreteux, qu’on croyait condamné, a désespéré les ambitions de ses contemporains en atteignant 90 ans!

Dans l’opposition, on en est à fantasmer sur les absences longues et répétées à Etoudi, qui pourraient déboucher sur un constat par le «conseil constitutionnel» (la présence de guillemets d’atténuation est expliquée plus bas) de la vacance du pouvoir: on peut toujours rêver!

Le quotidien camerounais Le Messager, s’est spécialisé dans le décompte régulier des jours que monsieur 77% passe hors du territoire, le plus souvent sans que ses compatriotes ne sachent où il se trouve précisément. La presse nationale a produit des articles circonstanciés sur le sujet et fort édifiants. L’on exagère à peine en disant que notre président est continuellement dans les nuages, loin des dures réalités qui sont celles de ses compatriotes. Mais au fait, Lansana Conté qui ne quittait jamais son terroir était-il pour autant un meilleur Président de la République que notre Biya national?

 Le Cameroun dans de bien beaux draps

Ce n’est pas Biya lui-même qui fait problème, mais l’équation de sa succession (un peu compliqué quand même de démêler l’écheveau des responsabilités). En effet, s’il venait à comment dire…à disparaître ou bien si sa santé lui jouait le même tour que celui que celle de Fidel Castro lui a joué, le Cameroun se retrouverait dans une impasse institutionnelle.

La Loi fondamentale du Cameroun en son Chapitre I, Du Président De La République Art. 5.- sous section (4) dispose: «En cas de vacance de Présidence de la République pour cause de décès, de démission ou d’empêchement définitif constaté par le Conseil constitutionnel, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République doit impérativement avoir lieu vingt (20) jours au moins et quarante (40) au plus après l’ouverture de la vacance. a- l’intérim du Président de la République est exercé de plein droit, jusqu'à l’élection du nouveau Président de la République, par le président du Sénat, et si ce dernier est, à son tour, empêché, par son suppléant, suivant l’ordre de préséance du Sénat.» C’est si joliment dit!

Mais, voilà, le Cameroun n’a ni conseil constitutionnel (ce qui explique les guillemets supra) ni sénat. Le provisoire est devenu définitif, la Cour suprême a pris l’habitude de siéger en lieu et place de cette institution. Pourrait-elle constater la vacance de la présidence de la république si l’exécutif lui-même ne le lui commandait pas? Admettons qu’elle y parvienne miraculeusement. Une fois cette absence constatée, un autre problème se poserait, puisque le sénat n’existe pas lui non plus. Le président intérimaire serait donc inéluctablement une création des grands pontifes du régime, il serait à leurs ordres. Les interprétations des plus brillants publicistes de la République donneront le tournis au peuple et l’opposition n’y verra que du feu.

Si l’on suppose que l’intérim échoira au président de l’Assemblée nationale, il ne disposera pas d’une marge de manœuvre pouvant laisser croire qu’il sera neutre et se contentera d’appliquer la loi purement et simplement. Le président de l’Assemblée nationale réside au Quartier général, il lui faudrait un aplomb de suicidaire pour le voir défier l’Armée et faire autre chose que ce que l’état-major du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), le Secrétaire général et le Directeur du cabinet civil de la Présidence de la République, le Premier ministre et ses vice-premiers ministres, le ministre de la défense, le DGSN, le DGRE, le chef d’Etat-major et le Contrôleur Général des armées, et Franck Biya, conseiller à la présidence, dans une concertation au sommet, auront décidé. Ceux-ci ne décideront rien que Biya ne leur aura préalablement dicté. Biya ne leur dictera pas de le ressusciter si cela s’avérait nécessaire. Il faudra donc bien désigner l’un d’entre eux.

Tous les personnages de cette coterie respirent à la même hauteur, aucune tête ne voudra dépasser les autres, ils désigneront peut-être Franck Biya, fils de Paul, comme le candidat naturel du RDPC à l’élection présidentielle qui se tiendrait. Mais comment réagiront les caciques du Nord, auxquels le régime de Yaoundé, pour donner le sentiment qu’ils hériteront de la présidence de la république, a confié les clés de la présidence de l’Assemblée Nationale, du ministère de la Justice (vice-premier ministre), du ministère de la Communication, du ministère de l’Administration territoriale, de la Direction générale de la CRTV, de la Direction Générale d’Elecam, en somme c’est bien dans les mains des ressortissants du Nord que se trouve l’appareil à faire un président de la république.

Seulement, les armes se trouvent du côté des ressortissants du Sud, plus précisément de l’ethnie bulu. Sur les cinq derniers ministres de la défense qui ont pour noms: Edgar Alain Mebe Ngo’o, Remy Ze Meka, Amadou Ali, Laurent Esso, Akame Mfoumou, on recense un seul OVNI pour ainsi dire, Amadou Ali, l’actuel vice-premier ministre, garde des sceaux, qui est un Peul. Les trois autres sont des Pahouins, très précisément bulu et Laurent Esso un Sawa (Pour mémoire le Cameroun compte plus de 250 ethnies). Cette configuration ethnique se retrouve dans le haut commandement d’un bataillon typique de l’armée camerounaise. On voudrait ne jamais le savoir, mais qui au juste aurait le dernier mot entre le nord qui attend son tour, le sud qui ne voudra rien lâcher et les anglophones qui estiment que leur heure a sonné? Il ne fera pas bon être camerounais au moment de la réponse, qui peut arriver plus vite qu’on croit.

Eric Essono Tsimi



07/04/2012
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