Paul Biya et la jeunesse camerounaise

Cameroun : Paul Biya et la jeunesse camerounaiseLe 11 février 2013, la jeunesse camerounaise a célébré dans des frustrations multiples et multiformes sa 47è fête. Occasion pour le chef de l’Etat, M. Paul Biya de lui consacrer un traditionnel discours. Dans ce dernier, le président de la République, du haut de ses 80  ans et plus de 30 ans à la magistrature suprême, s’est évertué à expliquer à cette jeunesse en proie au désarroi qu’il n’est pas moins proche d’elle.

Et pour bien le faire savoir, il a délimité les trois catégories de jeunes qui se côtoient plus ou moins. Pour y avoir disserté la semaine dernière, nous n’y reviendrons plus cette semaine. Le président  Biya, en toute humilité et honnêteté – même si c’est politique – a admis qu’il existe en tout état de cause des facteurs qui entraînent parfois le découragement : « le niveau des rémunérations pour ceux qui ont encore le privilège de trouver un hypothétique emploi, les conditions de vie, surtout dans les zones rurales ou la dégradation de la fonction enseignante ».

Comme pour absoudre une politique  qui a étalé ses limites depuis quelque deux décennies, le chef de l’Etat emprunte une porte désobée sous prétexte que « le Cameroun n’est pas seul à connaître ce genre de problèmes et il est vrai que la société moderne a bouleversé le système de valeurs auquel nous étions habitués. Mais il ne servirait à rien de se retrancher derrière une hypothétique » crise de civilisation  « pour chercher des explications ou des excuses ».

Les deux pieds dans la même bottine, le président confesse néanmoins : « nous devons assumer nos faiblesses pour trouver des solutions ». « C’est pourtant depuis plus de 20 ans que ça dure », rétorque un jeune qui attend son premier emploi depuis plus de 15 ans. Ceux qui se sont lancés dans de petites aventures d’auto-emploi et qui se sont heurtés à la hargne des agents des impôts et des mairies qui, forts sur leurs strapontins, ignorent royalement la « tolérance fiscale », ont répondu par un « crachat » de désapprobation, très éloquent. Même la lueur d’espoir de « 200 000 emplois dans le secteur formel 2013 » n’a pas réchauffé tous ceux qui n’ont pas pu avoir place dans le train des 25 000 emplois dans la Fonction publique. Ceci me rappelle d’ailleurs une leçon de mon cathéchiste, j’avais alors un peu plus de 15 ans : « même au Ciel, ce ne sont pas tous les anges qui contemplent Dieu ». Comme pour justifier les discriminations qui sont à l’origine de Tanga nord et Tanga sud du romancier Mongo Béti.

Petite fleur aux conducteurs de moto-taxis qui jouent « un rôle social incontestable » puisqu’ils offrent à leurs clients « la possibilité d’atteindre rapidement et à moindre coût des destinations difficiles d’accès ». Si seulement, les scribes du chef de l’Etat lui avaient dressé les statistiques de ceux qui achèvent souvent leur course sous les roues des camions ou, dans le meilleur des cas, aux urgences d’un centre hospitalier dépourvu des produits de premiers soins, le président n’aurait sans doute pas abordé aussi aisément un sujet d’une brûlante actualité, qui divise fortement l’opinion et constitue un cailloux dans la chaussure de certaines municipalités.

Puisque le ministère de l’Education civique, en liaison avec celui de l’emploi et de la Formation professionnelle est mis à contribution pour mettre de l’ordre dans ce secteur et de promouvoir de nouvelles structures d’encadrement des jeunes, attendons de voir ce qui sera fait d’ici la 48è journée des jeunes en février 2014. Sans verser dans un pessimisme de mauvais alois, il y a lieu de remarquer que le Conseil national de la jeunesse mis sur pied au lendemain des émeutes de la faim de février 2008 reste désespérément inoppérant faute de structures d’accueil dans les régions et les départements et faute de moyens. Le président sait-il que nombre de structures mises sur pied pour encadrer les jeunes ne jouent pas pleinement leur rôle en raison des tares bien camerounaises qui sont le clientélisme, la corruption, les détournements de fonds et autres ?

Le chef de l’Etat est réputé très bien renseigné. Si c’est le cas, il ne se serait pas laissé prendre dans le piège de ses scribes qui  lui ont fait lire un discours de politique politicienne, éloigné des réalités de terrain. Depuis combien d’années les enseignants et les chercheurs battent-ils le pavé dans ce pays, manifestent sous les portails et les fenêtres des services du Premier ministre puisqu’ils ne peuvent pas se rendre à Etoudi de peur de trouver la Gp sur leur chemin ? L’implantation de l’Institut des sciences mathématiques  au Cameroun est sans doute une victoire diplomatique et politique pour le gouvernement par le biais du ministère de l’enseignement supérieur.  Mais elle n’a rien à voir avec les conditions de la famille éducative camerounaise qui croupit dans une misère intellectuelle et matérielle objecte. Si le président était si bien renseigné que cela, il n’aurait pas doute sans parlé de la gratuité de l’enseignement dans le primaire. Puisque ce n’est pas vrai.

Dans ces mêmes colonnes, j’ai écrit vendredi dernier que nombre de jeunes Camerounais issus des milieux paysans, d’ouvriers et du lumpens prolétaria ont pu accéder aujourd’hui aux cercles décisionnels parce qu’ils avaient les mêmes chances que leurs camarades nés de parents fonctionnaires. Le privilège de la bourse d’études était la même pour tout le monde. Ce qui n’est plus le cas de nos jours. C’est la sélection qui s’opère de nos jours entre riches et pauvres qui a entraîné pour beaucoup la dégradation du niveau de moralité de notre jeunesse. Et le cloisonnement entre riches et pauvres est évident. Les pauvres, faute de moyens peinent à contrôler leurs progénitures du reste très nombreuses. Tant il est vrai que « le lit du pauvre est fécond ».

Il se trouve que de nombreux jeunes Camerounais désertent le toit parental pour aller « se chercher ». Et en se cherchant, ils finissent dans la rue, la pègre, les maisons clauses, l’exil vers les mirages d’ailleurs. Il faut bien les persuader que l’herbe n’est pas forcément plus verte ailleurs. Mais comment le faire quand tout ou presque s’avère désespérant sur place. Il y en a qui, par opiniâtreté arrivent à percer les filets de la misère et sortir la tête de la gadoue. Mais il faut souquer ferme comme disent les marins. C’est ce qu’il faut dire à cette jeunesse. Tout le reste est politique et dans nos villages comme dans nos bidonvilles, la politique, c’est le mensonge et les hommes politiques des bonimenteurs qui, comme des charognards, s’engraissent avec ce que nous savons.

© Le Messager : Dobell


24/02/2013
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