Paul Alphonse Soppo: «Rattacher la croissance au budget est un leurre»

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Paul Alphonse Soppo: «Rattacher la croissance au budget est un leurre»
(journal du cameroun 21/12/2010)


L’ancien député, expert financier et liquidateur de la défunte Biao Cameroun fait une analyse de la loi de finances 2011

Le nouveau budget de l'état du Cameroun connaît une légère augmentation par rapport au précédent qui était de 2570 milliards de Fcfa, quelle lecture vous en faites?
Cette petite augmentation qui en valeur absolue n'est que d'un milliard ne peut avoir aucune incidence en tant que tel, je crois une fois de plus que le gouvernement a voulu respecter la tendance haussière de toujours augmenter le budget mais augmenter de 0,04% ne change rien, c'est la même chose.

N'est-ce pas cette tendance à la hausse qui a conduit au correctif du budget de 2010 et qui pourrait également rendre la nouvelle LF flexible en 2011?
Cette année ça n'a pas été un correctif, l'état a lancé comme vous le savez le comice agropastoral d'Ebolawa mais on s'est rendu compte que c'était dans une impréparation totale, il fallait donc trouver de l'argent quelque part, on a prélevé 50 milliards du budget qui était déjà affecté à un autre poste pour financer le comice agropastoral 2010, le budget est donc resté tel quel mais a connu une petite réaffectation de ce montant là. C'est ce que nous déplorons parce que la décision du comice n'avait pas été budgétisée d'où ce coté impréparation.

Le gouvernement s'appuie sur certains indicateurs pour expliquer la hausse; le cours du pétrole autour de 80 dollars, un taux de croissance de 3,8%, un taux d'inflation autour de 3%, un PIB de 3,5% qu'est ce que tout ceci vous inspire?
Lorsqu'on établit un budget on se fixe des objectifs, par exemple l'état peut effectivement situer le Produit intérieur brut (PIB) autour de 3,5%, mais cela ne veut pas dire que c'est systématiquement réalisable ce n'est qu'une prévision. Moi il y a une réflexion qui me vient à l'esprit, ce n'est pas le budget qui définit l'activité c'est la LF votée par l'assemblée qui va définir les objectifs, donc le budget est une traduction comptable de la vision économique et sociale du gouvernement fondée sur des éléments pas toujours certains, c'est dire que les indicateurs ne donnent pas la manifestation de la réalisation véritable on ne peut donc pas prédire que tout sera tel que annoncé.

Et si on analysait ce budget…
Effectivement avec un PIB de 3,5% qui sera obtenu à partir des recettes prévisionnelles du pétrole et à partir des recettes prévisionnelles fiscales. Ces dernières étant des recettes des entreprises en production, nous nous rendons compte que des entreprises en production nous en perdons de plus en plus. D'autre part on a tablé sur une moyenne de recette pétrolière et ce n'est pas nous qui fixons les prix du pétrole, ça veut dire que l'évaluation sur 80 dollars est biaisée en tout état de cause. L'état doit trouver des sources de financement certaines pour être à la hauteur de la LF 2011

Concrètement il est alloué 59,12% aux dépenses de fonctionnement, 26,46% à l'investissement et 14,42% au remboursement de la dette. Est-ce réaliste?
S'agissant des dépenses de fonctionnement vous n’êtes pas sans ignorer que l'état est le plus gros employeur de notre pays, lorsqu'on regarde les effectifs de la fonction publique ça saute à l'œil mais ceci n'implique pas qu'il faille tout mettre dans les charges de fonctionnement car l'état a ses missions régaliennes, aménager les routes, construire des écoles, construire des hôpitaux, électrifier des parties du territoire… C'est ça l'investissement. Il ne faudrait pas confondre cet investissement avec les grands projets de l'état car ceux-ci ne sont pas financés par le budget, des projets comme que le port en eau profonde de Kribi, ils se font en 3-4 ans or l'investissement prévu ici ce sont les réalisations à court terme que l'état peut faire, en clair le budget sert d'abord au fonctionnement de l'état d'où le pourcentage important alloué à ce poste.

Selon des études, le Cameroun fera face à un sérieux problème énergétique l'année prochaine. Est-ce que les prévisions de croissance dans ce cas ne seront pas revues à la baisse?
C'est l'une des failles de la prochaine LF parce que rattacher la croissance au budget c'est un leurre, c'est mal apprécier le fonctionnement de l'économie car la croissance est une conjonction de plusieurs facteurs, ce n'est pas seulement l'argent que l'on veut injecter dans l'investissement qui en réalité ne crée que des emplois précaires, c'est une conjonction de plusieurs facteurs parmi lesquels l'entreprise industrielle prend une grande part, or l'entreprise industrielle a fortement besoin d'énergie nous nous rendons donc compte dans notre pays que l'entreprise industrielle ne fonctionne pas en pleine capacité, elle ne fonctionne pas de manière à ce que sa capacité maximale soit exploitée faute d'énergie suffisante. Lorsqu'on dit que l'on veut atteindre 3,5% de croissance il faudrait s'en rendre compte et c'est ce qui va se passer tant que le problème énergétique n'est pas résolu la prévision de croissance est très incertaine, en plus on ne voit pas les dispositions prises par le gouvernement pour faire face à cette situation.

Le Cameroun a élaboré un «document de stratégie pour la croissance et l'emploi DSCE» et 2010 est la première année de la mise en œuvre de ce programme au regard de la LF 2011. Avez-vous le sentiment que le pays pourrait être émergent en 2035?
Je dis tout de suite non! Cette loi là ne permet pas d'apprécier parce que vous dites que vous voulez être émergent en 2035 la première année de référence est 2010 et nous venons de le voir nous aurons certainement un taux du PIB d'environ 3,5%, 2011 nous prévoyons également un taux de 3,5%, en faisant abstraction de tous les aléas dont on a parlé plus haut notamment les prix des matières premières, le cours du pétrole et autres produits vendus à l'extérieur et pour lesquels nous ne sommes pas maître de la fixation des prix. Nos industries ne sont pas compétitives, donc si nous voulons être émergents en 2035 il ne faudrait pas qu'on continue de naviguer à vue parce que dans le DSCE on n'y voit pas clair, il y a certes une idée mais comment allons-nous procéder concrètement pour la réaliser? Avant 2035, il faudrait élaborer des objectifs à brève échéance qui mis ensemble nous conduirons à l'émergence, les experts du Minfi doivent donc nous proposer une programmation du DSCE auquel cas cette ambition tombera sous le coup des multiples slogans qu'on a déjà entendu jusqu'aujourd'hui. Par ailleurs, il faut expliquer comment va être financé le DSCE. Va-t-on désormais systématiquement faire appel à un emprunt obligataire? Là aussi il y a un problème qui se posera parce que lorsque vous intégrez comme en 2010 l'épargne public de 200 milliards dans le budget et que vous clôturez votre budget en septembre ou octobre vous voyez que vous courrez le risque de ne pas obtenir les 200 milliards donc votre budget est amputé de cette somme. En clair ça été une grave erreur d'imputer l'emprunt dans les LF 2010 et 2011 car on ne peut pas mettre le financement des projets structurants dans une programmation à court terme.


Par Dipita Tongo,Camereco.com - 21/12/2010

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21/12/2010
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