Opinion: Le triomphe de la «littérature de caniveau dans un Cameroun en peine» !

12 AVRIL 2014
© Dr Vincent-Sosthène Fouda | Correspondance

Tout serait donc parti du décès de Charles Ateba Eyene ou de sa quasi « canonisation » par le peuple « Sancto Subito », « héros national » comme le scandait donc un peuple « d’affamés, une meute de prostituées et de bayam selam ».

Les sites d’information en ligne du Cameroun nous livrent depuis plusieurs semaines déjà une image assez ubuesque de l’information et de la communication. Pour une fois les journalistes n’en sont pas la cause même si une certaine presse semble vouloir s’en faire l’écho. Injures envers les morts, incitation à la haine tribale et religieuse, mépris des minorités ethniques, culte de la prostitution… Voilà les maîtres mots de ce nouveau « genre littéraire » : « White trash » (raclure blanche).

Tout serait donc parti du décès de Charles Ateba Eyene ou de sa quasi « canonisation » par le peuple « Sancto Subito », « héros national » comme le scandait donc un peuple « d’affamés, une meute de prostituées et de bayam selam ». Des « casseurs et drogués de mototaxis, des universitaires frustrés » ! Et voilà les gardiens de la bienséance qui se transforment en papes de la littérature ordurière et de caniveau. En insultant et en dénigrant, en avilissant les mémoires hier adulées, en mettant la mémoire collective « dans les chiottes » on croit inventer un nouveau mode littéraire, mais on n’est même pas dans le « white trash » anglo-saxon ! Car la haine de l’autre ne saurait être un mode littéraire, la déformation des faits historiques ne saurait être des références à transmettre à un peuple.

Le peuple des réseaux sociaux camerounais peut s’enflammer, peut attiser le feu, tenir les allumettes pour enfin faire partir le brasier que non ! On ne brûle pas un pays comme on ferait d’un papier journal, on n’oppose pas des tribus comme on séparerait un couple, un peuple c’est plus que cela. Quand nous disons « le peuple de la rue », « le peuple de la nuit », « le peuple de Yaoundé », le « peuple de Garoua », le « peuple agricole » comme le « le peuple de Bafoussam », nous pourrions multiplier les expressions qui se réfèrent ainsi à une réalité immuable, dotée d’un puissant caractère assertif, qui s’impose sans discussion. Tous ces peuples qui, selon Pierre Rosavallon, quand il parle de la représentation démocratique, sont « le peuple du Cameroun » tout en étant « le peuple introuvable ». Comment donc un peuple introuvable, une réalité introuvable peut-elle se mettre à réagir quand l’existence lui est niée ? Quand il est humilié (le peuple introuvable) au quotidien, quand même son expression la plus autonome lui est retirée et niée comme celle de se choisir un héros ?
En réalité, les partisans de la littérature de caniveau, eux, mettent le peuple dans la « poubelle » et l’assimilent au pays ! Il faut que le peuple n’existe point qu’il n’ait pas de référence commune, pour que le pays soit dans la poubelle, oui, qu’il n’existe pas. Lors des obsèques de Charles Ateba Eyene, le peuple absent dit-on a voulu justifier son absence en étant présent où personne ne l’attendait et surtout où personne ne l’a invité. Celui qui n’a pas voix au chapitre et qui ne décide pas de son sort, le voilà qui fait irruption dans l’espace des autres et, même cette irruption lui est niée.

Peut-on retenir quelque chose de cette non-littérature ? De cet apostolat de la haine ? En faisant de la haine de son semblable une chose banale, en niant ce que l’on est c’est-à-dire un être sociable, en montant les uns contre les autres, en faisant du tribalisme son kérosène peut-on rouler loin ? Non ce n’est qu’un effet de mode dans notre belle époque-marketing sans pour autant assumer le devoir de vigilance qui devrait être le nôtre.

Le Cameroun est une terre en friche où les peuples visibles comme invisibles ne se connaissent pas et rien n’a été fait jusque-là pour rapprocher les uns et les autres. Voilà pourquoi cette littérature de caniveau peut prospérer ; la chienlit peut pousser et il sera alors difficile de la désherber et par la suite d’y semer le bon grain. Nous ne devons pas non plus penser qu’il faut laisser l’ivraie et le bon grain pousser ensemble en nous disant que nous les séparerons au moment de la récolte. Dans un texte publié il y a une semaine sur le « Tribalisme au Cameroun » je montrais déjà comment les dérives sectaires qui relèvent de la psychologie inter-mentale ne sauraient relever de la sociologie car tout ce qui est antisocial, tout ce qui est construction du désaccord ne saurait constituer un lien social. Partant du même postulat, oui, il ne suffit pas de maîtriser les techniques d’écriture pour se voir parachuter au rang d’écrivain. Ecrire, être écrivain c’est être capable d’ajouter un plus à l’immense et impressionnant héritage littéraire à nous légué par Mongo Beti, Amadou Kourouma, Camara Laye… Et pourquoi pas Flaubert, Proust, René Char, Dostoievski, Wole Soyinka. Oui comparaison n’est évidemment pas raison, mais nous reconnaissons unanimement que ces écrivains, chacun à son époque, et dans son couloir ont fait leurs preuves, non ils n’ont pas fait du « caniveau » leur ndolé !

Ces écrivains savaient que la littérature était d’abord -et doit le rester- une question de valeurs. Des valeurs humaines, alors trop humaines, pour emprunter une expression-culte au grand philosophe allemand Frederich Nietzsche. Ou encore cette autre formule consacrée de l’auteur du célèbre roman « L’Idiot », Dostoievski : « Il n’y a que le beau qui peut sauver le monde ». Mais, hélas, cela n’est pas entendu de la même oreille. On a de la peine à concevoir que des « fouille-poubelle » soient bombardés « écrivains », que le noble métier d’écrire soit réduit à une question de « haine de l’autre » et que le lecteur ne soit plus considéré que comme un « voyeur », avec ce que cela suppose en termes de pathologie.

Tout comme le métier de strip-teaseur, pour être écrivain, il faut « s’étaler, verser sa vomissure », c’est le moyen le plus sûr pour appâter le commun des « lecteurs-voyeurs ». Le reste, c’est-à-dire l’essentiel, ne serait alors plus que de la « mauvaise littérature ». C’est, du moins, ce que semblent nous montrer nos sites d’information en ligne soutenus et alimentés par des hommes sans foi ni loi. La logique minable du marketing de la haine, de la xénophobie est là, hélas, mille fois présente.

Le peuple camerounais existe et il n’est pas un tribunal

Le peuple camerounais existe, il est mobilisable et surtout, dans sa « dangereuse inertie », il refuse tout épithète, il refuse tout adjectif car l’adjectif transforme des valeurs en tension. Le peuple camerounais, celui qui se déploie dans une totale invisibilité, presque dans la clandestinité est une superposition de tous les peuples que nous avons nommés en introduction, et ce peuple-là arrache aux bien-pensants et aux politiques ce qui fait son essence c’est-à-dire le statut de « peuple ». C’est ce peuple-là qui pleure et qui érige en héros un des siens, celui qui vit avec eux dans les marchés avec les nnanga-boko, les bayam-selam, les prostitués comme les universitaires frustrés, les sans-logis comme les sans eau et les sans médicaments.
Voilà qui est vrai et voilà la voix silencieuse du peuple !



15/04/2014
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