Opinion: La désignation des dirigeants camerounais par la France : d’hier à aujourd’hui.

06 DEC. 2014
© Enoh Meyomesse, Ecrivain | Le Messager

 

Nombreux sont les Camerounais qui demeurent persuadés que le prochain président du Cameroun sera désigné par Paris, ou, tout le moins, avec son aval, et que sans l’accord de l’Elysée, rien n’est possible. Ils tirent cette conviction de notre histoire politique.

 

 

Enoh Meyomesse
Photo: (c) Archives

Nombreux sont les Camerounais qui demeurent persuadés que le prochain président du Cameroun sera désigné par Paris, ou, tout le moins, avec son aval, et que sans l’accord de l’Elysée, rien n’est possible. Ils tirent cette conviction de notre histoire politique. Il se trouve en effet que, depuis le tout premier Premier ministre du Cameroun sous administration française, André-Marie Mbida, le rôle de la France a toujours été déterminant dans l’accession au pouvoir suprême au Cameroun. Cela s’est vérifié par deux fois de suite, étant entendu qu’André-Marie Mbida, en 1957, comme Emmanuel Endeley, en 1954, en accédant aux fonctions de Premiers ministres, n’étaient pas chefs de l’Etat, mais simplement chef des deux gouvernements simultanés du Cameroun, l’un à Buea, l’autre à Yaoundé, tous les deux sous l’autorité de Londres et de Paris. Sans Paris, Ahmadou Ahidjo n’aurait pas pu être président de la République. De même, sans l’Elysée, Paul Biya n’aurait pas accédé au pouvoir. En vérité, Paris a toujours veillé à ce que Yaoundé soit sous son contrôle. Il a ainsi réduit le président camerounais, tout au long des années 1960 et 1970, voire 1980, en une sorte de vassal des temps modernes. Cette situation a été à l’origine du limogeage d’Ahmadou Ahidjo en 1982. Commençons par le commencement.

 

Mai 1955 : mise hors-jeu d’Um Nyobè, Moumié Félix et Ouandié Ernest.

 Sans remonter à la toute première élection de l’histoire du Cameroun le 21 octobre 1945 au cours de laquelle le candidat de Paris, à savoir Fouda André ([1]), a été battu par le candidat du peuple, Alexandre Douala Manga Bell, fils de Rudolf Douala Manga Bell, et aux autres qui ont suivi en 1946 (Arcam), 1947 (Arcam), 1951 (Assemblée nationale française), 1952 (Atcam), on peut situer le premier grand acte d’interventionnisme de l’Elysée dans la désignation des dirigeants du Cameroun au mois de mai 1955, par l’élimination politique de Ruben Um Nyobè, Moumié Félix, Ouandié Ernest, à la faveur des massacres perpétrés par le haut-commissaire Roland Pré, tout au long de la semaine du 22 au 28 mai 1955, dans le but de briser la revendication de la réunification et de l’indépendance que portaient ces leaders. En effet, après avoir décerné des mandats d’arrêt à d’innombrables patriotes camerounais, les obligeants pour certains à se refugier au maquis afin de poursuivre la lutte, pour d’autres à gagner l’exil, le gouvernement français a parachevé l’élimination politique de Ruben Um Nyobè, Moumié Félix et Ouandié Ernest par le décret du 13 juillet 1955 interdisant l’Upc. Trois années plus tard, en 1958, Um Nyobè a été assassiné sous maquis, deux années plus tard encore, en 1960, ce fut au tour de Moumié d’être empoisonné à Genève, et, onze années plus tard enfin, en 1971, Ouandié Ernest était fusillé sur la place publique à Bafoussam.

 

Mai 1957 : intronisation d’André-Marie Mbida premier Premier ministre du Cameroun sous administration française.

La liquidation politique de Ruben Um Nyobè a procuré le grand avantage pour Paris de ne se retrouver qu’en présence de politiciens plutôt « tièdes » dans la revendication de la réunification et de l’indépendance, voire carrément hostiles à celles-ci. En effet, n’étaient demeurés sur la scène politique légale, en majorité que les « intellectuels du Bloc Démocratique Camerounais », à savoir les jeunes « évolués » ([2]) qui avaient adhéré au Bloc Démocratique Camerounais, en abrégé BDC, le parti anti-indépendance créé par Louis-Paul Aujoulat en 1951, et que ses contradicteurs qualifiaient de « Bande De Cons », à savoir, les Ahidjo, Mbida, Okala Charles, Bindzi Benoît, Onana Awana Charles, Bétayéné Jean-Faustin, etc. Sur ce, voilà que surviennent, au mois de janvier 1956, les élections législatives pour l’Assemblée nationale française à Paris. Mbida André-Marie bat opportunément campagne sur les thèmes de l’Upc dissoute quelques mois auparavant. Il a pour principal challenger dans la circonscription du sud où il est candidat, Louis-Paul Aujoulat. Ce dernier bénéficie du soutien du clergé catholique encore aux mains des Blancs.Mais, la propagande de Mbida est beaucoup trop forte, d’autant qu’il rallie à sa candidature d’innombrables voix nationalistes outrées par la mise hors-jeu politique de Ruben Um Nyobè et ses camarades de lutte. Il bénéficie aussi de la vive dissension entre Assale Charles et Medou Gaston dans l’actuelle région du sud, qui lui vaut le ralliement de ce dernier. Il bénéficie enfin du désir de Paris d’éliminer politiquement Louis-Paul Aujoulat, qui appartient à un parti adverse, le MRP, Mouvement Républicain Populaire, mouvement centriste animé de nos jours par François Bayrou, alors que le pouvoir était quant à lui Sfio, Section française de l’internationale ouvrière, actuel Parti socialiste français, le Président du Conseil (Premier ministre) étant Guy Mollet. Il remporte largement le scrutin devant Louis-Paul Aujoulat, et devient le second député indigène du Cameroun à l’Assemblée nationale française, après Douala Manga Bell Alexandre. La même année, il est aisément élu Conseiller territorial, à l’Atcam, Assemblée territoriale du cameroun, le 23 décembre 1956. De cette assemblée devait émerger le second gouvernement camerounais, le premier étant celui d’Emmanuel Endeley à Buea depuis le 1er octobre 1954.Guy Mollet a donné son aval pour son élection, et quelques mois plus tard, pour sa nomination au poste de Premier ministre du Cameroun.

     Le 11 mai 1957, il est désigné Premier ministre par Pierre Mesmer, haut-commissaire de la France à Yaoundé, sur les instructions de Guy Mollet, en sa double qualité de député à Paris, mais également parce qu’une fois à l’Assemblée nationale française, il s’était apparenté Sfio, ([3]) histoire d’être en phase avec le  parti au pouvoir en ce temps-là en France, en plus, aussitôt devenu député, il a rapidement  abandonné le discours pro-upéciste qui l’avait fait élire. Pour tout dire, il avait retourné la veste. Pour ces trois raisons principales, il rassurait Paris.

 

Février 1958 : nomination d’Ahidjo ou la brouille Mbida/René Coty.

Mbida Premier ministre, la brouille avec Matignon, le Premier ministère, et l’Elysée, la présidence de la République,  ne tarde pas. Il est devenu viscéralement anti-upéciste. Cela rassure Paris. Il n’est pas favorable à une indépendance dans l’immédiat. Il estime que la France doit auparavant remplir ses obligations, conformément à l’accord de tutelle du 13 décembre 1946, à savoir former les hommes avant d’évoquer cette idée-là.Cela rassure davantage Paris. Mais, dans le même temps cependant, il n’est pas pour l’adhésion du Cameroun à l’Union française, à savoir, la modification de son statut international, c’est-à-dire sa transformation en colonie pure et simple, ainsi que venait de le faire le Togo - autre territoire sous tutelle des Nations Unies à l’administration confiée à la France -, comme tous les autres territoires français d’Afrique noire et Madagascar. Plus grave, il dote le Cameroun d’un drapeau national ainsi que d’un hymne. Il se base pour cela sur une résolution des Nations Unies de 1949 qui stipulait que, dans les territoires sous tutelle, trois drapeaux devaient flotter sur les mâts : 1/- le drapeau des Nations Unies ; 2/- le drapeau de la puissance qui assure la tutelle ; 3/- le drapeau du pays sous tutelle s’il en existe un. Ceci est une provocation que Paris ne peut admettre. Pis encore, en fin d’année 1957, face à la violence de la guerre d’indépendance déclenchée dans la nuit du 18 décembre 1956 par la première armée camerounaise dirigée par Nyobè   Mpandjock, Paris décide d’octroyer rapidement l’indépendance au Cameroun avant que cette guerre ne s’internationalise, le Cameroun étant un territoire sous tutelle des Nations Unies, il est difficile au gouvernement français de prétendre pendant longtemps que son armée y mène des opérations de maintien de l’ordre en incendiant des villages. Mbida s’y oppose : « niet à une indépendance où les Camerounais continueront à être les boys des Blancs ». Ce fut une attitude de trop. A la fin du mois de janvier 1958, l’Elysée entame des consultations pour trouver un remplaçant à l’impertinent Mbida avec ses histoires d’opposition à une « indépendance sans contenu ». Paul Soppo Priso, apparenté Sfio comme lui, est contacté. Ce dernier décline l’offre qui lui est faite. Il n’est guère prêt à mener la guerre contre l’Upc ainsi que le fait déjà Mbida, ni d’accepter une indépendance de forme. Puis, Njoya  Arouna, en sa qualité de sénateur à Paris, et également apparenté Sfio, est contacté à son tour. Nouveau refus, pour sensiblement les mêmes raisons. Ce dernier oriente plutôt Paris vers Ahidjo, qui, lui, cependant, n’est pas apparenté Sfio. Il est beaucoup trop conservateur pour s’acoquiner avec les socialistes. Il est pour sa part un féodal, il ne veut pas de la révolution. Il est un conservateur. ([4]) Ce dernier hésite d’abord, car lui et son groupe parlementaire essentiellement composé de féodaux du Nord, l’Union camerounaise, Uc, sont carrément opposés à la réunification et à l’indépendance. Ils n’en veulent pas tout simplement. Selon eux, ce sont des inepties de « Sudistes ». Paris insiste et lui donne des gages, lui fait comprendre que de toute façon il a déjà été décidé d’octroyer rapidement l’indépendance au Cameroun, et que cette décision est irréversible au vu de l’ampleur de la guerre que livre l’Upc en Sanaga maritime contre le colonialisme français.Il lui est même annoncé que sa nomination au poste de Premier ministre ne sera que pour assurer une sorte d’intérim, en attendant de trouver quelqu’un d’autre. Finalement, après une longue tergiversation, Ahidjo accepte. Le 11février 1958, il démissionne du gouvernement avec tous les ministres du Nord. Le 16 février, il est désigné pour former le gouvernement. Le 18 février 1958, il est investi second Premier ministre du Cameroun sous administration française, et troisième Premier ministre, tout court, après Emmanuel Endeley et Mbida André-Marie.

Mai 1958. A Paris, Charles de Gaulle est de retour au pouvoir. Il a comme idée en tête de restaurer le prestige de la France, et, pour cela, de mettre fin à son passé colonial. Il désire sortir son pays des ruineuses guerres tant sur le plan militaire que politique qu’il mène en Algérie et dans d’autres territoires coloniaux.Il est pour l’inauguration d’une nouvelle République, et par voie de conséquence, l’adoption d’une nouvelle constitution. Il a pour fidèle compagnon Jacques Foccart, qui, depuis son départ du pouvoir en 1946, continue à animer les réseaux gaullistes sur le continent noir. Il a ainsi maintenu une sorte de RPF, Rassemblement du peuple français - le parti de De Gaulle -africain, celui-ci ayant pratiquement disparu en France. Il a été parlementaire pendant toute cette période, au sein de l’Assemblée de l’Union française, où il maintenait tant bien que mal vivante la flamme du gaullisme auprès des Africains. Il y a connu Ahmadou Ahidjo, qui y siégeait pour le compte du Cameroun, l’Assemblée de l’Union française étant comme celle de l’Union africaine aujourd’hui, une assemblée constituée de délégués des parlements territoriaux. De Gaulle le nomme conseiller technique auprès de lui, étant encore Premier ministre,([5]) puis lorsqu’il sera élu président de la République six mois plus tard, Secrétaire général de l’Elysée chargé des affaires africaines. Pour de Gaulle et Foccart, l’indépendance du Cameroun est acquise. C’est pourquoi ils n’incluent pas le Cameroun dans le référendum constitutionnel français du 28 septembre 1958 mettant en place la 5ème République, comme tout le reste des territoires français d’Afrique noire et Madagascar. Ils ne désirent pas y remédier. Ils approuvent le point de vue des gouvernements précédents, qui estimaient qu’il fallait éviter que le Cameroun, à travers la guerre qu’y mène l’Upc, ne se transforme en boulet pour la France.De même, ils approuvent la décision d’y placer à la tête un homme sûr, c’est-à-dire, un personnage qui n’a jamais fleurté avec le mouvement nationaliste. Ahmadou Ahidjo, en sa qualité de féodal anti-indépendance, est tout indiqué. Jacques Foccart décide de le maintenir au pouvoir à Yaoundé. Il cesse dès lors d’être, aux yeux de Paris, un « Premier ministre intérimaire », pour se transformer en futur président du Cameroun indépendant. Il passe ainsi du parapluie de Louis-Paul Aujoulat, qui l’avait fait évoluer jusque-là, à celui de Jacques Foccart, patron de la politique française en Afrique noire. Il lui reste juste une toute dernière condition à remplir, celle de prouver qu’il est prêt à offrir le sous-sol du Cameroun indépendant à la France. Ce qu’il fait avec empressement le 30 décembre 1958, à travers les premiers accords de « coopération » entre Paris et Yaoundé.

 

Novembre 1982 : limogeage d’Ahmadou Ahidjo.

 

  1. Valéry Giscard-d’Estaing est élu président de la République. Lui, il n’est pas gaulliste. Bien mieux, il a contribué au départ du pouvoir de De Gaulle en 1969, à travers son parti politique, les Républicains Indépendants, RI. Il décide de démanteler les réseaux gaullistes en Afrique noire, d’autant qu’il craint que la longévité au pouvoir des « pères de l’indépendance », ne soit de nature à faire basculer le continent noir vers le communisme. Il les sait tyrans et très impopulaires. Il en choisit trois à limoger en premier lieu et dans les meilleurs délais. 1/- Léopold Sédar Senghor ; 2/- Félix Houphouët-Boigny ; 3/- Ahmadou Ahidjo. A l’Elysée, il a limogé Jacques Foccart, et l’a remplacé par René Journiac, son adjoint. Ce dernier a travaillé pour que le Cameroun à la fin du régime colonial, ne sorte pas du giron français. Il connait parfaitement Ahidjo, l’a beaucoup aidé politiquement. Giscard le charge de la mission de « démissionner » ces trois chefs d’Etat, et les remplacer par des personnages plus jeunes, ayant en commun de n’avoir jamais fleurté non plus avec les mouvements nationalistes de leurs pays respectifs. Ils doivent remplir pour autre condition majeure d’avoir été des directeurs de cabinets, et plus tard des Premiers ministres des présidents à destituer. Enfin, ils accèderont au pouvoir par « démission volontaire» des trois présidents.

Au Sénégal, tout se passe sans anicroche. Senghor se plie de bon cœur et docilement aux exigences giscardiennes. Il « démissionne volontairement » de ce fait du pouvoir au mois de décembre 1980, et le cède « constitutionnellement » à son ex-directeur de cabinet devenu Premier ministre : Abdou Diouf.

En Côte d’Ivoire, Houphouët-Boigny se met en colère au su des prétentions de Giscard. Il rabroue vertement René Journiac.

Au Cameroun, tout commence bien, et il est prévu qu’Ahmadou Ahidjo, lors de son discours de clôture du congrès de l’UNC à Bafoussam, annonce son retrait du pouvoir. René Journiac est en mission commandée pour cela. A la veille de l’ouverture du congrès, Ahidjo se rend à Ngaoundéré avec l’ambassadeur de France en poste à Yaoundé, Mazeyrac,où devrait se tenir un ultime entretien incognito avec l’envoyé de Giscard. Tous les deux se rendent à l’aéroport de Ngaoundéré. Ils voient arriver l’avion de Journiac. Subitement, celui-ci disparait derrière la broussaille en bout de piste. Puis s’élève dans le ciel une épaisse fumée noirâtre. L’avion s’est écrasé sous leurs yeux. Ils en sont stupéfaits. Plus d’entretien Ahidjo/Journiac. Finalement, le congrès de Bafoussam s’ouvre et s’achève, sans qu’Ahidjo n’annonce son retrait des affaires. Il a sauvé sa peau. Nous sommes au mois de février 1980. A Paris, une fois Journiac décédé, l’esprit de Giscard se déporte ailleurs. Il ne se met plus qu’à penser à sa réélection. Le scrutin a lieu l’année d’après, au mois de mai 1981.

     10 mai 1981. François Mitterrand est élu président de la République. Il reprend le dossier Ahidjo, avec les mêmes critères : un personnage plus jeune, dans la quarantaine, n’ayant pas trainé les pieds dans les rangs des nationalistes, ayant exercé les fonctions de directeur du cabinet présidentiel, puis de Premier ministre. Enfin le président de la République en poste doit se retirer volontairement du pouvoir par « démission », et son remplaçant doit lui succéder « constitutionnellement ». Ahidjo lui-même commet des maladresses. Au nombre de celles-ci, il se construit un nouveau palais présidentiel, alors que l’ancien est en excellent état et infiniment plus récent et plus beau que celui de l’Elysée à paris. Il ne date en effet que de 1932, alors que celui de l’Elysée date quant à lui du 17ème siècle. Le coût du nouveau palais est pharaonique. On parle de 250 milliards à l’époque !!! Quoi qu’il en soit, Ahidjo convie plusieurs de ses homologues africains à son inauguration, fixée au 20 mai 1982, et invite François Mitterrand à en présider la cérémonie. Erreur fatale. Colère noire de ce dernier. Ahidjo, effrayé, annule finalement toutes les invitations.

Vendredi 30 octobre 1982, il est convoqué à Paris. Il en revient mercredi 3 novembre 1982, au soir, tout abattu, tout démoralisé. Il tend des mains toutes froides aux autorités venues l’accueillir à sa descente d’avion et gagne sans tarder le palais. Pas d’audience à l’aéroport comme à l’accoutumée. Il a le regard mauvais.Le lendemain jeudi 4 novembre au soir, il annonce sa démission à travers un message radio. Samedi 6 novembre, Paul Biya, son « successeur constitutionnel », selon les desiderata de Paris,  prête serment à l’Assemblée nationale. Lundi 8 novembre 1982, Ahidjo s’envole pour Paris, de Garoua où il s’est rendu en fin de matinée le 6 novembre. Pour y rendre compte à ceux qui l’ont protégé depuis 1958 ?

 

Après Ouagadougou et Dakar : la conservation du pouvoir aujourd’hui en Afrique selon la France…

Dans l’interview qu’il a accordée depuis le palais de l’Elysée le 27 novembre 2014 aux questions des journalistes de France 24, RFI et TV5 monde, le président français a été sans équivoque.Pour demeurer au pouvoir en Afrique désormais, lorsque l’on désire ne pas fâcher Paris : 1/- il ne faut pas modifier la constitution, pour faire sauter le verrou de la limitation du nombre de mandats présidentiels ; 2/- il faut que le scrutin présidentiel que remporte le chef d’Etat en poste ne souffre d’aucune critique ; 3/- il ne faut pas que le peuple descende dans la rue, car c’est lui et lui seul qui est souverain, et non pas le président de la République, et s’il le fait, la France va le soutenir. Aïe !!!Dans l’émission « l’invité » de RFI-Afrique du mardi 2 décembre 2014, Alain Juppé, ancien Premier ministre, puis ministre des Affaires étrangères français, a répété la même chose. Il a été plus loin, en révélant qu’il avait été le premier à dissuader Blaise Compaoré de modifier la constitution. Et de conclure : « les faits m’ont donné raison ». Trois années auparavant, Paris a pris fait et cause pour Ouattara dans son conflit avec Gbagbo, au point de faire intervenir son armée pour le placer au pouvoir et chasser Gbagbo. On peut pinailler sur  les motivations profondes et probablement cachées de cette action. Mais, une chose est sûre : l’époque des dirigeants français ayant connu la guerre, puis la colonisation, et désireux de redresser l’économie de leur pays en pompant l’Afrique, est révolue. Les de Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac, c’est terminé. La classe politique française actuelle nous a connus, nous étudiants africains en train de dénoncer les dictatures dans nos pays respectifs. Nous étions dans les mêmes amphithéâtres, les mêmes cités et restaurants universitaires, les mêmes salles de télévision qu’eux, en même temps qu’eux. Eux comme nous, n’avons pas connu la guerre. Eux comme nous, n’avons pas connu Foccart, l’avons même détesté après coup, lorsque nous avons su tous les malheurs qu’il a causés à l’Afrique. Nous nous plaignons tous de l’assassinat de Lumumba par la CIA et son agent Mobutu, d’Um Nyobè, d’Amilcar Cabral, de Martin Luther King, de Malcolm X, de l’emprisonnement de Mandela, nous l’admirons tous, et nous sommes tous réjouis de la fin de l’Apartheid. Bien mieux, ces Français et Européens d’une manière générale aux affaires actuellement, ont même davantage œuvré pour l’abolition de la ségrégation raciale en Afrique du Sud que nous Africains. Faudrait-il rappeler que le gouvernement camerounais n’a accordé aucun soutien de quelle que sorte que ce soit à l’ANC pendant sa longue lutte, ni passeport, ni fonds, ni bourses d’études, ni représentation à Yaoundé comme c’était le cas à Brazzaville, Dakar, Alger, Bamako, etc., rien ? Sarkozy accordant une audience furtive à Paul Biya, avait placé entre son visiteur et lui … le portrait de Nelson Mandela. N’est-ce pas significatif ? Où se trouve la rue, l’avenue ou le lycée Mandela à Yaoundé ? Hollande, à Conakry, a déclaré, « lorsque le dernier président français avait été ici, à savoir Jacques Chirac, il y a 19 ans, vous, Alpha Condé, monsieur le président, vous étiez en prison ; aujourd’hui, vous êtes chef de l’Etat ».Ces propos sont-ils anodins ? Auparavant, de Gaulle quant à lui n’avait-il pas plutôt approuvé l’empoisonnement de Moumié Félix en 1960 à Genève par un agent de la Main rouge, une organisation secrète française chargée de la liquidation des opposants africains ? Pompidou n’avait-il pas cautionné l’assassinat d’Ouandié Ernest en 1971 ? Giscard n’avait-il pas interdit l’Unek (Union Nationale des Etudiants du Kamerun), en France, sur demande d’Ahidjo ? Aujourd’hui, Juppé et Hollande se réjouissent du renversement du régime de Compaoré, pourtant francophile irréprochable. Les temps ont changé. Il faut désormais en tenir compte…

 

Enoh Meyomesse, Ecrivain  

www.enohmeyomesse.net

[1] - Cette défaite de Fouda André l’amènera à détester Mbida par la suite, qui lui avait ravi le soutien de Paris au point de devenir Premier ministre, etle poussera à se coaliser avec Ahidjo pour le combattre.

[2] - Terme de l’époque équivalent de celui « d’élite » aujourd’hui.

[3] - Lors du scrutin du 19 janvier 1956, le 1er groupe parlementaire à l’Assemblée était le groupe communiste,avec 150 membres, suivi du groupe socialisteavec 95 élus, le groupe MRP et indépendants d’Outre-mer, auquel appartient Aujoulat et qui n’est pas au pouvoir, quant à lui n’a que 83 membres. Par ailleurs, Guy Mollet est Président du Conseil (Premier ministre), de février 1956 à juin 1957, et en même temps Secrétaire général de la SFIO. Les socialistes sont de ce fait au pouvoir en France.

[4] - Entretiens avec Assale Charles et Paul SoppoPriso. Confirmation par une interview de Germaine Ahidjo disponible sur le net.

[5] - De mai à décembre 1958.

 



06/12/2014
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