Opération Épervier: Lettre ouverte à Paul Biya, Marafa et aux camerounais - Par Olivier Bile

DOUALA - 20 Juin 2012
© La Nouvelle Expression

La démarche prise par le président de la République pour l’assainissement n’a pas encore fini de susciter des réactions. Olivier Bile, malheureux candidat à la présidentielle d’octobre 2011, s’exprime à son tour et sur tout.

Depuis quelques années et suivant une logique qui échappe toujours à l’opinion, une pléthore de très hauts commis de l’Etat sont régulièrement incarcérés dans le cadre de l’opération sans précédent et présumée de lutte contre la corruption dite Epervier.

Se refusant à subir en martyr résigné cette entreprise perçue par une grande partie de l’opinion comme une opération d’épuration politique minutieusement mise en œuvre par Paul Biya lui-même, Marafa H. Yaya s’emploie depuis des semaines à adresser à son mentor d’hier, des lettres à travers lesquelles il lui rappelle quelques autres scandales de corruption majeurs au sommet de l’Etat, tout en clamant son innocence quant aux faits qui lui sont personnellement incriminés. Si ces actualités ont le mérite de sortir la république de sa torpeur et de fournir du grain à moudre à la presse et aux conversations des populations permettez moi, sans catastrophisme excessif mais en toute vérité, de vous révéler qu’elles font aussi clairement apparaître que notre pays se trouve aujourd’hui dans une situation de profonde impasse sociopolitique qui le prédispose, si rien de sérieux n’est fait, à un dénouement chaotique, dont les ingrédients me semblent plus que jamais réunis. Et ce ne sont point ces incantations sur la paix, qui viendront y changer quoi que ce soit.

Monsieur Paul Biya, malgré les apparences, notre pays est aujourd’hui au bord du précipice. Chacun peut désormais constater les conséquences du modèle de gouvernance que vous avez librement instauré, à dessein dit-on. Cette manière de concevoir la politique a produit une phénoménale corruption dont l’ampleur est sans précédent. Je parle de corruption au sens étymologique de l’altération de l’esprit et du mental, qui semble désormais être la chose du monde la mieux partagée dans notre pays. Cette culture machiavélienne et lycantropique qui caractérise votre système politique, est la source même de la déchéance de ces nombreux dignitaires de votre régime dont quelques-uns viennent encore d’être épinglés et d’autres condamnés par le conseil supérieur de l’Etat.

Dans un tel contexte, où chacun constate que tous les responsables publics sont susceptibles d’implication dans des actes de jongli-jongla avec la fortune publique en raison des dynamiques sociopolitiques et politico-administratives en vigueur, pensez-vous que votre politique supposée d’assainissement puisse avoir quelque crédibilité ? Mieux, si l’on considère seulement les récentes révélations sur l’affaire des 32 milliards destinés à l’indemnisation des victimes du crash d’un avion de la Camair en 1995, qui, y compris vous-même et malgré tout mon respect, peut prétendre pouvoir un tant soit peu «lancer la première pierre» au sens de Jésus- Christ? (Jean 8 :7-11)

Loin de prendre le parti de qui que ce soit, mon intention est simplement de vous ouvrir les yeux sur la construction politique qui est vôtre depuis trois décennies. A cause de l’endurcissement continuel de votre cœur et de votre gouvernance pharaoniste, notre pays où devrait pourtant couler le lait et le miel est plutôt semblable à l’Egypte biblique des sept plaies. A cet égard, est-il encore besoin de rappeler les misérables et inhumaines conditions de survie de nos concitoyens dont certains viennent encore d’être tués à Mokolo juste pour avoir tenté de se débrouiller? Est-il besoin de rappeler qu’à cause de l’esprit de mauvaise foi et de tricherie promu, le système politique et le processus électoral du pays ont été plus que jamais viciés par les dernières réformes, dont la logique n’est que promotion du dieu argent et de la corruption électorale, au détriment de l’indispensable moralisation des mœurs politiques qui ne fait l’objet d’aucune attention dans votre code ? Est-il besoin d’évoquer les problèmes élémentaires d’eau, d’électricité, de famine, de santé, de pouvoir d’achat, de routes et d’une vie chaque jour plus injuste, plus précaire et plus favorable aux compromissions et aux abominations à laquelle les Camerounais sont exposés? Il faut le seriner, tout cela est invariablement ce qui s’accomplit dans les nations où la gouvernance n’est point fondée sur la haute éthique de l’amour et la crainte de Dieu. M. le Président, nous avions pourtant cru à un moment donné que comme pharaon face à Moïse, vous aviez décidé de changer radicalement d’orientation. C’était, hélas, sans nous rappeler que malgré ses multiples engagements jamais tenus de libérer le peuple d’Israël, pharaon ne le lâcha pas jusqu’à l’engloutissement de lui-même et son armée de poursuivants dans la mer rouge.

Monsieur Marafa H. Yaya, vous avez considérablement contribué à bâtir ce régime dont vous êtes un pur produit. Vous n’avez au reste jamais contesté ses orientations idéologiques fondamentales. Toutefois, et contrairement à la plupart de vos camarades codétenus qui, pour les raisons que l’on imagine, restent solidaires de la machine de persécution, vous avez le mérite à travers vos lettres, de faire acte de courage en révélant tous ces nauséeux scandales politico-financiers qui contribuent à coup sûr, à ouvrir les yeux des Camerounais sur la vraie nature des dirigeants actuels. Il faut espérer que la conscience politique nationale elle-même très chancelante, en sortira affermie. Aussi, voudrais-je vous exhorter à continuer à crever les abcès qui gangrènent le pays en poursuivant cette action de production de la vérité sur ces affaires d’Etat apparaissant aujourd’hui comme de véritables Watergate à l’échelle du
Cameroun. Cependant vous devez avoir claire conscience de ce que malgré leur brin de sympathie à votre égard, les Camerounais ne sont pas amnésiques. Ils savent que les mêmes causes produisent les mêmes effets, ce qui veut dire qu’étant fondé dans la même filiation idéologique que M. Biya, votre action politique éventuelle produirait les mêmes résultats. Il est écrit qu’un certain Amon, roi de Juda, «fit ce qui est mal aux yeux de l’Eternel, comme avait fait Manassé son père; il marcha dans toute la voie où avait marché son père, il servit les idoles qu’avait servies son père…». (2 Rois 21 : 20-21). Il est encore écrit que: «Parce que Manassé, roi de Juda a commis ces abominations… je vais faire venir sur Jérusalem et sur Juda des malheurs qui étourdiront les oreilles de quiconque en entendra parler» (2Rois 21 : 11-13).

Cher peuple du Cameroun, il paraît que les peuples à chaque époque, n’ont que les dirigeants qu’ils méritent. Je souscris à cette idée et constate en effet que notre société, à tous les niveaux, est beaucoup trop habitée par ce que j’appelle la foi négative qui n’est pas que l’apanage du système dirigeant, loin s’en faut. Je sais qu’en ce moment vous vous repaissez avec une singulière délectation, des empoignades actuelles par presse interposée. Je comprends que vous ayez besoin d’exutoire à vos colères mais le plus important est de redonner du sens à la politique dans notre pays. Je veux également saisir cette occasion pour vous dire qu’on vous a fait croire à une idée fausse, qui a été à l’origine d’incalculables dégâts. On vous a fait croire que la politique est l’art de la foi négative et qu’elle serait fondée sur la culture de l’hypocrisie, du mensonge, de la mafia, la mauvaise foi, la ruse, la malice, la perfidie, la trahison, la tricherie, la méchanceté, l’oppression cynique du prochain, etc. Cette politique des «mains sales», fondée théoriquement sur l’héritage philosophique de l’humanisme moderne et qui place l’homme, son orgueil et ses lois souvent égoïstes au centre de tout, n’est qu’une des deux manières de concevoir les choses.

Comme dans toutes les autres situations de la vie où on a toujours le choix entre le bien et le mal, il existe en effet une autre manière de concevoir la politique. Il s’agit de la politique principielle qui célèbre les vertus de la foi positive. Cet autre modèle de praxis proclame la centralité de Dieu, le Maître du temps et de l’histoire dans la gouvernance politique. Quelques pays à travers le monde l’ont expérimenté et ont bénéficié des grâces et de la prospérité qui en ont découlé. Le roi Salomon connut une fortune différente de celle de Manassé car Dieu lui dit: «Puisque tu demandes de l’intelligence pour exercer la justice, … je te donnerai, en outre ce que tu n’as pas demandé, des richesses et de la gloire, de telle sorte qu’il n y aura pendant toute ta vie aucun roi qui soit ton pareil» (1 Rois 3 : 11-13).

Les choses étant parfaitement claires, chacun devrait désormais choisir son camp en matière politique car le poncepilatisme et l’indifférence serviront toujours la cause contraire à vos désirs. Vous devez vous indigner de la situation en présence et vous engager en surmontant la peur et la lâcheté qui sont les principaux ennemis de ce pays! Quant à la culture de l’hypocrisie en vigueur, qui prescrit aux cadres du régime de soutenir en public ce qu’ils dénoncent avec véhémence en privé, celle-ci me semble bien révélatrice de ce qu’au bout de trente ans de faire-semblant, personne ne croit plus au Chef de l’Etat. Chacun sait au fond que les fameux projets structurants qui semblent être réveillés un peu ces jours, sont en réalité très loin d’être à la hauteur des enjeux et des véritables besoins socioéconomiques du peuple. Je voudrais également dire à ceux qui, méprisants ou indifférents à l’égard du destin du pays, ne pensent qu’à préserver leurs idoles représentées par leurs biens et leur petit confort personnel, que le risque de chaos qui va chaque jour grandissant dans notre pays, ne pourra qu’entraîner désarroi et perte dudit confort. On ne peut pas indéfiniment souhaiter la paix tout en créant les conditions de la guerre.

M. Le Président Biya, compte tenu du climat qui prévaut actuellement, je voudrais achever mon propos en vous suggérant, de vous prêter à un exercice de communication avec les Camerounais à travers les médias locaux publics et privés. Ce serait la meilleure manière pour vous, de faire prévaloir l’exigence démocratique de transparence et de manifester à vos «chers compatriotes», la vérité et le respect auxquels ils ont droit. Les récentes révélations que l’on pourrait désigner «Camairgate», ont déjà produit des effets éminemment dévastateurs dans l’opinion. Je suis convaincu qu’en lieu et place de la stratégie du silence ou de celle tout aussi désastreuse et insatisfaisante qui consiste à faire parler quelques uns de vos lieutenants, cette communication pourrait vous être profitable dans la mesure où elle permettrait d’apporter de la lumière aux nombreuses zones d’ombre qui chaque jour, assombrissent votre
système de gouvernement.

J’ai pensé qu’il était de mon devoir, de tirer la sonnette d’alarme en effectuant cette mise en garde destinée à l’ensemble de la communauté nationale dont le désarroi et l’embarras semblent de plus en plus perceptibles. Nos égarements ne doivent pas nous faire oublier la manière selon laquelle le chaos est apparu dans nombre d’autres Etats africains. Le Cameroun nous étant cher à tous, notre devoir devrait désormais consister à prendre toutes les mesures courageuses, qui permettront de le préserver véritablement des périls qui le guettent et en même temps, d’y promouvoir une profonde éthicisation des mœurs, une saine et forte prospérité à la faveur d’une sincère et puissante fraternisation de ses enfants toutes régions, toutes classes sociales et toutes sensibilités confondues. A bon entendeur….

Que Dieu bénisse le Cameroun!

Olivier Bile



20/06/2012
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