Opération Epervier: La Justice face aux pièges des manipulateurs

YAOUNDE - 04 Avril 2012
© Dominique Mbassi | Repères

Le déroulement des procès ouverts dans le cadre de la campagne d'assainissement de la morale trahit une tentative d'instrumentalisation du pouvoir judiciaire.

Ils ne sont pas des saints. Loin s'en faut. Mais depuis le début, leurs affaires dévoilent des faits, des actes, des décisions et des curiosités qui accréditent la thèse d'une machination bien ficelée. «Aujourd'hui, on se rend compte que beaucoup de dossiers sont vides. On a voulu instrumentaliser la Justice pour couvrir des fautes à la fois politiques et juridiques», corrobore Me Charles Tchoungang, ex-bâtonnier de l'Ordre des avocats du Cameroun. Mais qui sont-ils, ceux qui ont pris le président de la République et l'opinion publique en otage? La chaîne des collusions s'étend du Contrôle supérieur de l'Etat (Consupe) jusqu'au ministère de la Justice en passant par la présidence de la République.

Dans presque tous les cas, tout part du Consupe, gui produit de rapports controverses. Ce que ne dément pas l'ex-Consupe. Le 22 janvier 2010, M. Siefried David Etame Massoma dénonce les collusions de ses collaborateurs, la qualité discutable de leurs rapports quand ceux-ci ne règlent pas simplement des comptes.

Curieusement aucune sanction, prévue par exemple par l'article 164 du Code pénal qui punit la fausse expertise, n'est prise. De quoi conforter ceux qui sont convaincus que le Consupe est l'auteur intellectuel du complot, surtout que certaines administrations échappent bizarrement aux contrôles pendant de longues années alors que d'autres sont presque harcelées par des missions d'inspection.

C'est alors qu'entre en jeu le secrétariat général de la présidence de la République, l'interface entre le Président et toutes les administrations. La tour de contrôle. La tour de contrôle. «Même si de sa posture institutionnelle le secrétaire général est mal placé pour savoir si le Contrôle supérieur de l'Etat a mal ficelé un rapport, c'est tout de même lui qui soumet les dossiers à la décision du chef de l'Etat en vue de la saisie des instances appropriées. Et il discrimine naturellement», précise une source au palais de l'Unité. «Ce genre de dossier peut aussi être présenté au Président par son conseiller juridique», oppose une autre source qui confie par exemple que «pour le dossier de M. Fotso, ce n'est pas M. Laurent Esso qui a requis et obtenu la décision du Président, qui l'a justement envoyé au ministère de la Justice pour mettre de l'ordre dans ces affaires».

Justement, les récriminations sont unanimes sur l'immixtion de la chancellerie dans le déroulement des procès de la campagne d'assainissement des mœurs publiques. «Effectivement, on avait l'impression qu'il y avait une pression claie chancellerie sur le système judiciaire; pour que toutes ces affaires dites affaires de l'«Opération épervier» aillent dans le même sens : condamner, condamner, condamner, sans pour autant toujours motiver», soutient Me Charles Tchourtgang.

En tout cas, croit savoir une source policière, il n'était pas question pour M. Amadou Ali, ex-vice Premier ministre en charge de la Justice et maître d'œuvre de cette campagne autour de laquelle il a bâti une popularité, de perdre la face devant M. Paul Biya et l'opinion publique. D'autant que, «pour beaucoup de raisons liées à leur carrière, il est difficile aux magistrats d'un certain niveau de résister aux assauts de la une pression similaire sur les hauts magistrats de la Cour suprême», susurre une source judiciaire.

Conséquence : les accusations ont beau être fantaisistes, les condamnations suivent toujours. Et pour le malheur de certaines victimes, il se trouve toujours une main noire qui s'emploie à les maintenir dans les mailles de la Justice. Dès qu'une lueur d'espoir poind à l'horizon, elle sort un autre dossier pas forcément bétonné. La deuxième affaire Edzoa l'illustre à merveille. Au moment où l'ancien SG/PR et son coaccusé Michel Thierry Atangana terminent une première peine d'emprisonnement de 15 ans, ils sont en passe d'écoper d'une nouvelle.

Dorénavant, M. Yves Michel Fotso expérimente aussi cette stratégie. «Une deuxième plainte contre l'homme d'affaires a été déposée dès qu'on a appris qu'il était en négociation avec la Justice pour recouvrer la liberté. Même le chef de l'Etat est acquis au principe que les gens obtiennent un arrêt des poursuites en échange du remboursement de l'argent présumé détourner. La nouvelle procédure judiciaire vise à faire reculer l'actu, ministre de la Justice», se convainc une source. Mais Me Tchoungan se veut optimiste: le nouveau garde des Sceaux, un haut magistrat, a un regard différent sur le affaires de l'«Opération épervier».



Affaire Olanguena et compagnie: La Cour suprême recadre le procès

L'accusation était cousue de fil blanc.

L'accusation était cousue de fil blanc. Et les charges se sont mises à fondre comme beurre au soleil. De presque 15 milliards de FCFA retenus par le Contrôle supérieur de l'Etat, il ne reste plus que 600 millions de FCFA dans l'ordonnance de renvoi devant le tribunal de grande instance du Mfoundi (TGI) du juge d'instruction. L'affaire, qui n'a pas encore fini de révéler ses surprises, aurait bien pu s'arrêter au terme de l'information judiciaire, si le magistrat instructeur avait fait montre de courage.

L'affaire qui agite aujourd'hui la République nait à la suite d'un séjour d'une mission de contrôle du Consupe au ministère de la Santé publique (Minsanté). Les premiers doutes se font jour lorsque l'équipe conduite par l'inspecteur d'Etat Gilbert Bayoi exige à l'ancien Minsanté qu'il lui verse 50.000 FCFA par jour pendant les 90 jours que dure la mission. Soit au total près de 27 millions de FCFA. Cette exigence ne prend pas en compte les besoins en carburant et autres commodités. Au sein de ce département ministériel, des responsables d'autres structures sont pris da fonctionnaires du Consupe. Ainsi, au terme des deux premiers mois de leur séjour au Comité national de lutte contre le sida (Cnls), les auditeurs ont consommé yaourts, croissants et autres pour près de deux millions de FCFA. La note de frais est bien entendu supportée par le Cnls. Du fait de la suppression de ces commodités, la mission va se poursuivre dans une ambiance délétère.

Les tensions sont exacerbées par le refus du Minsanté de satisfaire totalement les doléances des auditeurs. Inspecteur d'Etat dans une autre vie, M. Urbain Olanguena Awono ne comprend pas que les fonctionnaires du Consupe, chargés d'auditer une administration située à un jet de pierre de leur lieu de travail, exigent des frais de mission aussi exorbitants. Il saisit par écrit le Consupe en précisant qu'au regard de la réglementation il ne peut que mettre sept millions de FCFA à la disposition de ses collaborateurs. Mais M. Etame Massoma oppose un silence assourdissant à son collègue du gouvernement.

La suite se décline par la production d'un rapport relevant des irrégularités et fautes de gestion évaluées à près de 15 milliards de FCFA que le Consupe transmet aussitôt à la présidence de la République. Le 12 mars 2008, le secrétaire général adresse une note au président de la République dans laquelle il sollicite son accord en vue de la «traduction des mis en cause devant le Conseil de discipline budgétaire et financière ainsi que les juridictions compétentes». Le quitus obtenu, le conseil juridique, M. Jean Foumane Akame peut alors, le 17 mars, répercuter «au garde des Sceaux, les hautes directives du chef de l'Etat tendant à la mise en mouvement de l'action publique contre les gestionnaires des programmes de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose, acteurs de malversations financières évaluées à 14.806.850.966 FCFA».



La deuxième affaire Edzoa: L’accusation ignore le non-lieu

Le principal pilote de la campagne d'assainissement de la morale ; publique s'était jusque-là défendu du caractère politique des arrestations et de l'instrumentalisation de la Justice.

Le principal pilote de la campagne d'assainissement de la morale ; publique s'était jusque-là défendu du caractère politique des arrestations et de l'instrumentalisation de la Justice. M. Amadou Ali tombe le masque lorsque le 23 octobre 2008, M. Pascal Magnaguémabé rend une ordonnance de non-lieu partiel et de renvoi devant le tribunal de grande instance du Mfoundi dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler la deuxième affaire Edzoa. Par cette décision, le juge d'instruction ordonne une mainlevée du mandat de dépôt décerné le 4 juillet 1997 contre M. Michel Thierry Atangana, ainsi que la levée du blocage de ses comptes bancaires. La même ordonnance établit l'innocence de M. Titus Edzoa sur trois chefs d'accusation sur les cinq préalablement retenus contre l'ancien secrétaire général de la présidence de la République.

Le juge d'instruction prend le vice-Premier ministre en charge de la Justice de court. A des proches M. Amadou Ali confie que le juge d'instruction a abattu un travail exemplaire mais a commis de le tenir informé en premier des conclusions de son instruction. Et que c'est à lui qu'il revenait d'en informer le chef de l'Etat, étant donné qu'il s'agit d'une affaire politique. Toujours est-il que le Minjustice adresse une correspondance guère favorable au juge d'instruction, dans laquelle M. Amadou Ali suggère au président de la République de laisser l'affaire Edzoa suivre son cours, pour ne pas jeter le discrédit sur l'opération d'assainissement en cours. La même note propose également à M. Paul Biya de ne pas accéder à la demande d'évacuation sanitaire de M. André Booto à Ngon, ancien ministre des Finances et Pca du Crédit foncier, qui mourra finalement en prison.

Pour la suite à donner à l'affaire, M. Amadou Ali n'attend pas les instructions présidentielles. Le 14 novembre 2008, le président de la Chambre de contrôle de l'instruction de la Cour d'appel du Centre reçoit une requête du ministère public relevant appel de l'ordonnance sus évoquée. Cette requête s'appuie essentiellement sur les dépositions de M. Mapouna. Elle souligne par exemple que «les dénégations de Edzoa et Atangana Abega ne résistent pas aux affirmations de Mapouna qui, en tant que secrétaire particulier du premier cité, était au courant de certaines confidences et partant bénéficiait de ses largesses».

Or les investigations menées et les confrontations organisées par la police judiciaire dans le cadre d'une plainte déposée le 17 octobre 2007 par M. Michel Thierry Atangana contre M. Titus Edzoa et autres pour fausses accusations, diffamation et déclarations mensongères ont mis en lumière les contradictions du discours de M. Mapouna et son caractère peu crédible. «Il est apparu de manière claire que le nommé Mapouna, ancien secrétaire particulier du Pr. Edzoa Titus et actuellement chargé d'études au secrétariat général de la présidence de la République, est celui ayant abondamment contribué à répandre dans l'opinion les contrevérités actuellement contestées par sieur Atangana Abega Thierry Michel. En effet, sieur Mapouna qui a avoué avoir agi pour se venger de Atangana Abega qu'il accuse d'avoir pris sa place auprès du professeur Edzoa Titus, a été identifié comme le principal informateur des autorités ayant eu à gérer le sort de Atangana Abega», confiait en 2008 une source proche de l'enquête. Les deux autorités indexées sont M. Amadou Ali depuis le temps où il était SG/PR et M. Mvondo Evezo'o, actuel procureur général de la Cour d'appel du Centre et procureur de la République au moment où l'affaire se nouait.

Après moult entorses au Code de procédure pénale, l'ordonnance est annulée, comme une simple décision comme le précisera plus tard un haut magistrat de là. Cour suprême pour s'en émouvoir. Et le deuxième procès contre MM. Titus Edzoa, Michel Thierry Atangana et autres va finalement s'ouvrir. Devant la barre, ces deux accusés continuent de nier d'avoir notamment obtenu 400 millions de FCFA en faisant du trafic d'influence autour du projet d'extension de la Sonara. M. Mapouna, qui a avoué pendant l'enquête préliminaire et à deux reprises au cours de l'information judiciaire avoir perçu 90 millions de FCFA issus de cette prétendue opération, reste en liberté. Pourtant, il a par ailleurs, à plusieurs reprises, reconnu avoir menti au tribunal.



Me Charles Tchoungang: «On a voulu instrumentaliser la Justice pour couvrir des fautes politiques et juridiques»

Dans ces extraits d'une interview accordée au quotidien Mutations (29/03), l'ancien bâtonnier de l'Ordre des Avocats du Cameroun dévoile les véritables motivations de l' «Opération épervier».


La Cour suprême vient d'annuler trois chefs d'accusation mis à la charge de l'ancien ministre de la Santé publique Urbain Olanguena Awono. Quelle réaction vous inspire cet arrêt de principe, pris dans le cadre de l'«Opération épervier»?

Cette décision est une première. C'est une indication de la prise en charge de son indépendance par le pouvoir judiciaire, face à des mécanismes de poursuites qui, depuis quatre ans, ont montré qu'il s'agissait des poursuites à tête chercheuse et qu'on a pris beaucoup de libertés sur les droits de la défense, sur les droits des accusés, sur la manière de mettre en mouvement l'action publique sans tenir compte du fait qu'il fallait respecter scrupuleusement les prescriptions des articles du Code de procédure pénale. Et face a cette vague qui était accompagnée par un mouvement d'opinion qui, à juste titre, dénonçait les détournements de deniers publics, sans discernement, on a, sur la base des rapports d'inspecteurs d'Etat qui ne sont pas des rapports judiciaires ou des rapports d'officiers de police judiciaire, mis en mouvement des poursuites qui, face à la contradiction ont montré leurs limites du point de vue du droit. Depuis cette date, les acteurs du système judiciaire que nous sommes ont essayé d'attirer l'attention des juridictions de jugement sur la vacuité de charges qui étaient mises à l'encontre de ces accusés et, comme vous avez pu l'observer, sur la quasi-totalité du territoire national, les juridictions ont comme par enchantement décidé d'opposer une fin de non recevoir à toutes les demandes de mise en liberté, d'Habeas Corpus et d'annulation des actes de poursuites.


Peut-on alors parler d'acharnement?


Effectivement, on avait l'impression qu'il y avait une pression de la chancellerie sur le système judiciaire, pour que toutes ces affaires dites affaires de l' «Opération épervier» aillent dans le même sens : condamner, condamner, condamner, sans pour autant toujours motiver. Lors de la dernière rentrée solennelle, le procureur général près la Cour suprême avait déjà donné une indication en précisant que les magistrats ont une obligation de motiver leurs décisions, et qu'il ne suffit pas de dire que telle personne est coupable pour que ce soit une vérité (...) Ce n'est pas parce que les inspecteurs d'Etat ont constaté des fautes de gestion que celles-ci se transforment, ipso facto, en fautes pénales.


L'autre pan de cette décision est la récusation, par la haute juridiction, de la collégialité de la présidente Nomo Zanga. Que vous inspire ce désaveu?

(...) Ces arrêts, qui ont été rendus dans un contexte extrêmement particulier, où le garde des Sceaux a changé, peuvent être justifiés par le fait que nous savons, aujourd'hui, qu'à la chancellerie nous avons un garde des Sceaux qui est un haut magistrat et qui a un regard différent sur ce type d'affaires «Epervier». On aura de moins en moins d'interventions de la chancellerie dans ces affaires, et les juges auront de plus en plus de liberté pour rendre leurs décisions parce qu'ayant moins de pression sur eux-mêmes. (...) Vous aurez observé, comme moi, que dans le cadre de ces affaires aujourd'hui, les parquets travaillent un peu plus, les parties civiles sont obligés de faire beaucoup plus de travail alors qu'avant, ils considéraient que c'était acquis. Dès qu'on vous poursuivait dans le cadre de «Opération épervier», peu importait la qualité du parquet, peu importait la qualité des avocats de l'Etat, on avait la certitude que les juges allaient suivre.


Que pensez-vous de l' «Opération épervier» et de la manière dont les poursuites sont menées devant les tribunaux?

(...) On a voulu impressionner l'opinion publique par beaucoup de bruits autour d'un tonneau, qui s'est avéré vide. Dans la plupart de ces affaires, la précipitation a fait qu'on n'a pas eu le temps de bien préparer les poursuites. Aujourd'hui, on se rend compte que beaucoup de dossiers sont vides. Et on a voulu instrumentaliser la Justice pour couvrir des fautes à la fois politiques et juridiques (...) L'Histoire retiendra que ce processus, sur la base de l' «Opération épervier», aura été une grosse nuit noire dans la recherche de la lumière, de la vérité dans notre pays.

Evariste Menounga


09/04/2012
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