Opération Epervier: Amadou Ali écrit à Paul Biya

Yaoundé, 15 Juillet 2013
© Thierry Djoussi | La Météo

Une lettre de l'ex-Ministre de la Justice au Président de la République serait tombée entre des mains indiscrètes. La Météo en a eu des bribes. Joint au téléphone, Amadou Ali dit ne point s'y reconnaître. Les extraits de la correspondance polémique...

Amadou Ali, dans une lettre rédigée à Yaoundé le 08 juillet 2013, aurait rappelé au Président de la République qu'il s'est «toujours acquitté avec fidélité, abnégation et désintéressement de toutes les missions à [moi] confiées». Et de continuer, «À l'heure où des forces tapies dans l'ombre s'échinent à me caricaturer, à ressortir de faux dossiers pour m'atteindre, recourant même aux ragots les plus sordides, dois-je rappeler que je vous ai été toujours loyal, je le suis, je le serai toujours. Personnellement, je ne crois pas que cela est nécessaire. (...) II apparaît clairement que je paie aujourd'hui le tribut de cette loyauté. Le contexte s'y prête. Par le passé, alors que je faisais l'objet de cabale similaire à celle que j'endure aujourd'hui, vous m'aviez rendu justice. (Amadou Ali, alors Ministre de la Défense, avait été accusé de tentative de coup d'Etat suite à une explosion nocturne de la soute à munitions du quartier général. Paul Biya contre toute attente, l'avait, comme pour le blanchir, muté au Ministère de la Justice où il mettra une dizaine d'années, Ndlr). Je garde une ferme confiance en vous, en votre jugement qui a toujours été droit, sage et éclairé», aurait-il par ailleurs écrit. Votre journal n'a été tuyauté que sur ces fragments de la correspondance.

Joint au téléphone mercredi dernier en soirée, Amadou Ali, tout de go, ne s'est pas reconnu dans la lettre qu'on lui prête. «Je n'ai jamais écrit au Chef de l'Etat», a-t-il martelé. «Cette lettre n'est pas de moi!», s'est-il écrié davantage quand nous lui avons fait part de ces extraits portés à notre connaissance. Puis de conclure: «J'ai opté pour le silence».

Concernant les listings bancaires remis en question par le Procureur général près le Tcs, Amadou Ali, très subtilement, a éludé la préoccupation. «J'ai travaillé sur ce dossier en tant que Ministre de la Justice. Maintenant que je ne suis plus à cette place, je ne peux pas vous répondre dans un sens comme dans l'autre». Très remonté contre la presse, l'ancien «dresseur de l'Epervier» s'est soudainement lâché au téléphone: «on n'a jamais vu ça au Cameroun! C'est bien la première fois que 50 (cinquante) journaux écrivent au même moment contre la même personne. Cela n'est pas normal. J'ai opté pour le silence comme je vous disais tantôt. Mais un proverbe dit ceci la vérité finit par triompher». Amadou Ali qui semble craquer? Une preuve qu'il a apparemment perdu l'assurance qui jadis le caractérisait... Tout un symbole.


Contexte

La vie offre de ces retournements de situation. Hier, fier traqueur des corrompus et des gestionnaires de crédits véreux, aujourd'hui Amadou Ali se trouve dans la situation du chasseur chassé. Son boulet? Un montant de 800 millions de FCFA qu'il aurait remis à Dooh Collins. Cet expert en intelligence économique, aux antécédents douteux, a aussi reçu de l'ancien Ministre de la Justice pouvoir de «conduire une enquête d'expertise et investigation financières internationales contre la corruption des fonds de l'Etat du Cameroun, auprès des établissements et organismes financiers internationaux basés aux Etats-Unis d'Amérique, en Grande Bretagne et au Canada», précisait une lettre de mission attribuée à Amadou Ali. Lettre qui, à l'époque, a abondamment circulé dans la presse, sans rencontrer le moindre démenti officiel.

Problème: aucun compte d'emploi des 800 millions n'a été fourni. Pis, l'authenticité des avoirs bancaires imputés à des ex-pontes du régime (Ondo Ndong, ancien Dg du Feicom; Gilles Roger Belinga, ancien Dg de la Sic, pour ne citer que ceux-là) est aujourd'hui sérieusement remise en cause par Émile Zéphyrin Nsoga, Procureur général près le Tribunal criminel spécial (Tcs). Pour ne pas arranger les affaires d'Amadou Ali, Dooh Collins, lors de son audition, le 08 mai, aurait rejeté avoir fourni à celui-ci quelque compte bancaire de quelque personnalité que ce soit. Suffisant pour qu’Émile Zéphyrin Nsoga demande à entendre Amadou Ali. En effet, une confrontation des auditions est nécessaire pour déterminer qui est à l'origine des listings bancaires «douteux», et aussi pour éclaircir les soupçons de détournement qui planent autour des fameux 800 millions de FCFA. Gros obstacle sur la voie du Procureur: un Ministre en fonction, selon la loi en vigueur, ne peut faire l'objet d'une audition si ce n'est à sa propre demande.

Amadou Ali n'a pas l'âme d'un kamikaze. Tant qu'il restera au gouvernement (le fils prodige de Kolofata occupe depuis le 09 décembre 2011, la peu gratifiante fonction de Ministre délégué à la présidence chargé des Relations avec les Assemblées, quoiqu'il lui a été maintenu l'honorifique grade de vice-Premier Ministre), jamais il ne concédera une audition. Ses détracteurs n'attendent que cela pour l'accabler davantage.

En entendant, une certaine presse se charge du sale boulot. Les cadavres d'Amadou Ali sont exhumés et étalés à la une. Les tirs groupés à son encontre semblent n'en plus finir. C'est dans ce contexte qu'Ali, jadis impassible, aurait cédé à l'angoisse, à la méfiance, et enfin à la peur d'une fin de carrière brutale derrière les barreaux. La lettre à Paul Biya, qui ne l'aurait plus reçu en audience privée depuis plus d'un an, renvoie l'image d'un être désespéré, réduit à lancer un strident SOS au seul homme capable de le protéger contre ses bourreaux. Contre un procès imminent. Contre une descente aux enfers forcément épique.


15/07/2013
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