Opacité financière: Pourquoi des personnalités stockent du cash à domicile

YAOUNDÉ - 20 Juin 2012
© Sylvain Andzongo | Repères

La pratique est usitée dans l'optique d'échapper à l'Agence nationale d'investigation financière.

En 2010, l'Etat du Cameroun requiert les services au célèbre avocat Jacques Vergès et de certains cabinets spécialisés dans les questions de finances. Leur mission: traquer et rapatrier des fonds publics détournés et déposer «auprès des établissements financiers et des organismes financiers internationaux situés dans les zones géographiques ci-dessous: l'Angleterre, l'Amérique du Nord, l'Amérique du sud, les Iles anglaises de Guernesey, l'Asie, le Moyen-Orient, l'Europe, l'Afrique.» Au final, aucun kopeck retracé ou rapatrié d'un compte des barons du régime visés. Mais, 9 milliards de FCFA de frais de mission dépensés pour rien.

«A la vérité, le gouvernement voulait juste montrer à l'opinion qu'elle travaille pour le rapatriement. Je ne suis pas sûr que l'Etat ignore que ces personnalités ne déposent pas l'argent illicite dans des comptes traçables», commente alors un fin connaisseur des pratiques financières internationales. Il explique que ces pontes maîtrisent bien les réglementations financières. Au Cameroun, par exemple, «l'identification est requise même si le montant de l'opération est inférieur au seuil fixé (5 millions de FCFA) lorsque la provenance licite des capitaux n'est pas certaine. Si un établissement financier a des doutes sur la provenance d'un fonds qui est déposé dans un compte, elle doit faire une note confidentielle à l'Agence nationale d'investigation financière».

«Au regard de tout cet arsenal juridique, indique un autre expert comptable, il est courant de voir ces personnalités, à défaut d'ouvrir des comptes bancaires avec des prête-noms, préférer garder des espèces dans leur maison. Leur compte généralement sont peu fournis». De fait, de nombreux exemples confirment la propension des personnalités à stocker des espèces sonnantes et trébuchantes à domicile.

L'on se souvient d'un directeur général d'une entreprise publique qui, pour tromper l'attention de ses prestataires, disait souvent aller à la banque mais leur servait toujours des billets moisis. Ou cet autre Dg, absent du pays, qui a fortement réprimandé son épouse qui avait laissé des techniciens aller détecter une panne d'électricité au plafond. Seulement dans ce plafond, se trouvait des sacs d'argent. Les techniciens se sont servis et ont disparu subrepticement sans que l'épouse de la compagne n'ait de soupçon. Elle-même n'étant pas dans le secret de son mari.



Opacité financière: Le sort des espèces colossales que les personnalités gardent à la maison

Les anecdotes sur des larcins à répétition dans les maisons de ministres, directeurs généraux, délégué du gouvernement.., loin d'être un phénomène nouveau sous le ciel camerounais, ont tout de même la particularité de prendre des proportions inquiétantes au fil du temps. Quelques cas parmi les plus emblématiques.


Le cuisinier de M. Robert Nkili disparait avec une mallette

Quartier Etoug-Ebe, fin 2010. Au domicile de M. Robert Nkili, ministre du Travail et de la sécurité sociale à l'époque des faits, disparait une mallette contenant la somme de 300 millions de FCFA. Des sources proches du ministre racontent que le cuisinier avait attendu le retour du maître des lieux pour servir le souper à toute la famille. Il est environ 20h 30 lorsque le garçon de maison décide de prendre congé. Son maître lui souhaite bonne nuit, après lui avoir remis deux billets de 1 000 FCFA, en guise de gratification spéciale. C'est une fois rentré dans sa chambre à coucher, après le dîner, que M. Robert Nkili constate la disparition de sa mallette.

Il organise une fouille systématique de la maison, en vain. Il finit par s'adresser aux membres de sa famille en leur demander s'ils n'auraient pas vu sa mallette sans pour autant indiquer le contenu de la mallette. Toujours en vain. C'est en interrogeant son vigile en faction au portail qu'il apprend qu'on avait vu sortir le chef cuisinier avec un sac poubelle qui semblait contenir quelque chose de rigide. Veillant à ne pas ébruiter l'affaire, M. Nkili dépose tout de même une plainte contre son chef cuisinier.

L'affaire serait passée sous silence comme le souhaitait le ministre, qui craignait de voir éclater un scandale si seulement les policiers n'avaient pas pris d'assaut le quartier Nsam, lieu de résidence du cuisinier. La police questionne tout le monde, organise des rafles dans les domiciles. Le domicile du suspect est quasiment en état de siège. La compagne du suspect est interrogée, mais rien de ces interrogatoires ne leur permet de mettre la main sur le cuisinier qui a disparu entretemps. Si l'affaire est restée aujourd'hui sans suite, officiellement, l'on n'a plus jamais remis la main sur la mallette d'argent de M. Robert Nkili.


M. Tsimi Evouna volé par son propre fils

Décembre 2010, M. Gilbert Tsimi Evouna, délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé (CUY), fait arrêter son chauffeur, M. Essomba. Ce dernier est soupçonné d'avoir dérobé à son patron la somme de... 300 millions de FCFA. Mais selon les recoupements faits par la police, M. Essomba n'est pas seul dans le coup. Le fils du délégué de la CUY, un certain Willy, est aussi cité. Selon les enquêtes policières, le chauffeur avait observé les petites combines de Willy, détenteur du double de la clé de la chambre de son père. A chaque fois que le fils s'infiltrait dans la chambre parentale, il délestait la mallette de son père d'au moins trois millions de FCFA, sans que ce dernier ne s'en rende compte. Ce qui permet à Willy de rouler carrosse alors qu'il n'est qu'étudiant à l'université de Yaoundé II, à Soa. le fils de M. Tsimi Evouna s'achète un véhicule de marque Toyota Ke 90, qu'il prend soin de garer toujours très loin de la résidence familiale, son père n'étant pas au courant de cette acquisition.

M. Essomba songe à tout révéler au délégué mais se ravise car, Willy est généreux. Grâce à l'argent volé, le chauffeur s'offre quatre véhicules, dont deux Ke 92 à usage taxi, une Toyota Carina E version américaine qui lui sert de véhicule personnel, une Toyota Ke 100 climatisée affectée au transport clandestin sur la ligne Mokolo-Oyom-Abang. La police découvre aussi que le chauffeur du délégué est propriétaire d'une porcherie, de plusieurs motos et d'autres biens. Un niveau d'embourgeoisement suspect pour quelqu'un qui, avant son recrutement à la CUY, avait pour seul activité le transport clandestin sur la ligne Mokolo-Oyom-Abang

Finalement, la perspective de l'interpellation de son fils qui impacterait à coup sûr sur son image politique n'enchante pas le délégué du gouvernement. Il exige de la police d'arrêter ses investigations. Les enquêteurs ne voulant pas obtempérer, il fait intervenir le délègue général à la Sûreté nationale, M. Martin Mbarga Nguelé. Ce dernier fera même mettre en cellule M. Tobie Ekoé, le policier qui a permis de découvrir le pot-aux-roses.


Les 300 millions de M. Mama Fouda dans la nature

Les sources policières, c'est le 14 mai que le ministre de la Santé publique (Minsante) fait déposer une plainte au commissariat central numéro 3 de Yaoundé contre trois de ses personnels domestiques pour vols répétitifs. Bien que le Minsanté veuille, d'après des sources proches de l'enquête, entretenir le plus grand mystère autour du montant cumulé soutiré, l'on a pu apprendre qu'il s'agit de... 300 millions de FCFA.

Le 28 mai, Ernest Ndi le cuisinier, Audrey Moukolo le jardinier et Jean Letni l'agent de ménage ainsi que son épouse qui ne travaille pourtant pas chez le Minsanté, sont gardés à vue. Mais une perquisition au domicile du couple Letni a permis de saisir un carnet de compte d'épargne au nom de Mme Letni qui a reçu une provision d'environ 22 millions de FCFA entre 2010 et 2012. En plus, des objets disparus chez le Minsanté ont été retrouvés dans le domicile de l'un des employés.

D'après l'enquête de «Repères», c'est un accident qui a éveillé l'attention et aiguisé l'appétit du personnel domestique du Minsanté. En effet, le 28 août 2009, un train transportant du gasoil, du pétrole et du super dans 15 wagons déraille au passage à niveau au quartier Obobogo à Yaoundé, provoquant un violent incendie. Les flammes menacent la résidence de M. Mama Fouda, située dans les parages. L'ancien directeur de la Maetur rapplique chez lui pour coordonner la sécurisation de l'impressionnant parc automobile dans tous les garages alentours. Le personnel découvre alors que parmi les autres effets sécurisés, il y a beaucoup de sacs d'argent transférés dans un lieu sûr. «Je n'avais jamais su ou imaginé qu'il y avait autant d'argent dans cette maison», souffle un témoin oculaire. A en croire une source, c'est depuis ce temps que le personnel domestique s'est mis à se servir.

Les gardés à vue dans le cadre du vol de 300 millions de FCFA chez le Minsante résistent un temps mais cèdent finalement aux tentatives de leur patron de récupérer quelques biens leur appartenant. M. Mama Fouda a récupéré un véhicule acquis avec l'argent volé et une importante somme d'argent, une maison avant de faire libérer ses employés. Mais il ignore qu'un autre employé qui tire tous ses revenus de son emploi chez le ministre est entre autre propriétaire de deux immeubles et d'une quincaillerie.



21/06/2012
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