Obligé d’assumer soins et nourriture, un détenu veut porter plainte contre l’Etat

Daniel Besong:Camer.beAu Cameroun, les détenus n’ont droit qu’à un maigre repas quotidien, et qu’aux premiers soins en cas de maladie. Il ne faut pas être pauvres pour bien manger et être bien soignés. Daniel Bissong, un condamné à mort victime de cette situation, veut poursuivre l’Etat en justice pour obtenir réparation. Condamné à mort pour coaction de vol aggravé avec port d’arme, Daniel Bissong entame sa quinzième année de détention. Il traîne, depuis 2008, des douleurs à la colonne vertébrale, consécutives à une chute. Son pied droit présente au niveau de la cheville une deuxième fracture qui montre, à l’œil nu, une délimitation d’os mal relié. Un cliché de radio, qu’il exhibe, laisse entrevoir la présence de huit balles de fusils logés au niveau de la cuisse. Son carnet médical confirme la présence de ces trois anomalies qui nécessitent des consultations chez des spécialistes et des traitements onéreux.

Pas de dotations

Faute d’argent, ce détenu de la prison de Nkongsamba reste sans soins. "Je dois moi-même les supporter. Je le faisais par le passé, mais, depuis que je n’ai plus de ressources, je suis là et me contente de calmants", explique-t-il.

En effet, la prison de Nkongsamba où il est interné - comme d’ailleurs toutes les prisons du Cameroun - ne reçoit pas de dotations pour supporter les consultations de détenus auprès de spécialistes  et encore moins pour payer les examens médicaux. "Notre infirmerie, qui compte un médecin, reçoit de l’Etat des dotations en médicaments qui nous permettent de prendre en charge le malade pendant une à deux semaines… Si, au bout de cette période, il ne retrouve pas guérison, nous faisons appel à sa famille", explique sous anonymat un infirmier de cette prison. Plus explicite, Ngomba Arnold, le régisseur, soutient que les examens à faire et qui se font en dehors de l’infirmerie de la prison sont à la charge du détenu, tout comme les médicaments que l’infirmerie n’a pas.  Consultations chez des spécialistes et hospitalisations sont supportées par le détenu; quelques fois, la prison sollicite l’aide de bonnes volontés, dont des religieux pour assumer ces soins.

Pauvres, abandonnés par leurs familles, de nombreux détenus ne sont généralement conduits à l’hôpital qu’à l’article de la mort. Bien plus, le transfert à l’hôpital est conditionné par le visa du régisseur pour les condamnés ou du procureur pour les prévenus. Souvent ces autorisations d’extraction de la prison arrivent trop tard.

Traitements inhumains

Daniel Bissong, qui suivait normalement des soins à Douala où il était interné avant son transfert à Nkongsamba déplore aussi le manque de spécialistes dans cette ville. "A chaque consultation, (Ndlr : montrant son carnet), le médecin me réfère chez des spécialistes qui n’exercent pas à Nkongsamba, mais à Yaoundé et Douala où je suivais déjà des soins. J’ai multiplié des requêtes pour y être transféré. En vain", explique-t-il en présentant les copies de ses requêtes. A la différence d’autres détenus qui connaissent la même situation, ce condamné à mort se réserve le droit de porter plainte contre ses geôliers et l’Etat du Cameroun.

A raison ! Car les règles minima pour le traitement des détenus édictées par les Nations unies recommandent la prise en charge totale des détenus. "Pour les malades qui ont besoin de soins spéciaux, il faut prévoir le transfert vers des établissements pénitentiaires spécialisés ou vers des hôpitaux civils", précise une disposition relative à la santé.

Les soins au rabais vont généralement de pair avec une ration alimentaire, unique et déséquilibrée. Les plus nantis la complètent par de la nourriture ramenée par leurs parents, ou achetée. Une situation dénoncée par Olivier de Shutter, rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, qui a visité le Cameroun en juillet dernier. "Lorsqu'un Etat décide de priver une personne de sa liberté, il s'engage à la traiter avec humanité et à lui garantir des conditions de détention conformes au respect de la dignité humaine et n'aboutissant pas à des traitements inhumains ou dégradants", précisait-il dans une note préliminaire à sa visite. "Ceci implique notamment qu'il doit lui fournir une nourriture suffisante et adéquate, sans que la possibilité pour le détenu de s'alimenter correctement dépende de ce que la famille lui apporte. L'argument d'une insuffisance des ressources budgétaires disponibles ne saurait être retenu", dénonçait-il.

Quelques détenus victimes de traitements inhumains et dégradants ont souvent poursuivi l’Etat en justice et obtenu gain de cause. Albert Mukong, homme politique et militant des droits de l’Homme, plusieurs fois incarcéré, avait ainsi gagné en 2001 un procès contre l'Etat du Cameroun devant la commission des droits de l’homme de l’Onu à Genève. Il avait été dédommagé à hauteur de plusieurs dizaines de millions de Fcfa.

© JADE : Charles Nforgang


18/09/2012
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