Nelson Mandela: Le Visionnaire mal compris

 

Nelson Mandela

Lorsque l’on demande à un Sud-Africain noir ce qu’il pense de Mandela, il répond généralement en demandant des précisions sur lequel des deux Mandela porte la question: de celui d’avant la prison ou de celui d’après; cet état d’esprit est partagé par beaucoup de personnes, formant ainsi un ensemble hétéroclite qui va des intellectuels comme le Professeur Molefi Kete Asante deTemples University (US), aux idéologues comme Bernard Lugan de l’extrême droite Française, en passant par des politiques comme la député française Christine Boutin; chacun avec des intentions plus ou moins avouables.

C’est vrai que le changement est dans la nature même de l’être humain, mais accuser Mandela d’un revirement de position qui pourrait s’apparenter à de la trahison, c’est aller très vite en besogne.  Un examen sérieux des objectifs politiques et stratégiques, autant de l’ANC que de L’OUA (ancêtre de l’UA, l’Union Africaine) prouve que Nelson Mandela est non seulement un leader charismatique, mais aussi et surtout un visionnaire pragmatique qui a de la suite dans les idées. 

Avec comme catalyseur le puissant discours prononcé  par Pixley Ka Isaka Seme en 1911, l’ANC (African National Congress) voit le jour le 8 Janvier 1912 en réponse directe aux injustices que subissaient les noirs d’Afrique du Sud de la part du gouvernement blanc au pouvoir. Nelson Mandela entre véritablement en scène en 1944, lorsqu’il crée avec Walter Sisulu et Oliver Tambo la ligue de la jeunesse de l’ANC. EN 1955 l’ANC adopte la Charte des Libertés, un document qui est remarquable par sa demande pour, et son engagement à lutter pour une société sud-africaine multiraciale, non raciste et égalitaire. A la suite des massacres de Sharpeville, l’ANC est frappée d’interdiction en 1960, Mandela est arrêté en 1963, et condamné à la prison à perpétuité l’année d’après; la légende Mandela est née.

Entre-temps, l’OUA voit le jour en 1963. Malgré la trahison de son idéal panafricain par le groupe dit de« Monrovia », et tous les disfonctionnements qui ont caractérisé cette organisation tout au long de son existence ; tous ces membres réussissent néanmoins à  s’accorder sur deux thèmes : la décolonisation de toute l’Afrique, et la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Mais les intellectuels africains de grande envergure comme Cheikh Anta Diop entrevoient une autre menace : la création d’un état exclusivement blanc sur le continent qui aurait eu pour mission la mise à mort définitive de l’avènement d’un Etat Fédérale africain. Leur peur se fondait sur l’analyse des manœuvres que les Occidentaux multipliaient en partenariat avec le gouvernement raciste d’Afrique du Sud. Pour référence, l’interview que Cheikh Anta Diop donne à Afriscope en Février 1977 (vol.7, no 2), constitue un document crucial.

Pendant ce temps, en Afrique du sud, le gouvernement durcit ses positions sociales, modernise l’idéologie de l’apartheid, tout en encourageant une immigration Européenne. La vie des noirs devient un enfer. Le 16 Juin 1976, l’on assiste avec horreur aux émeutes de Soweto, et  le 12 Septembre 1977, Steve Biko est assassiné.

Que fait la communauté internationale dans tout cela?

L’Afrique condamne le régime d’Afrique du Sud mais n’ose pas agir ; le colonel Kadhafi est le seul qui envisage une opération de lutte frontale contre le régime raciste, mais ne trouve pas d’adeptes. Pire encore, certains pays d’Afrique noire tels le Gabon d’Omar Bongo, et la Côte-D’ivoire d’Houphouët-Boigny envisagent sérieusement de normaliser leurs relations avec l’Afrique du Sud. 

Le conseil de sécurité des Nations Unies vote plusieurs résolutions condamnant l’Afrique du  Sud, notamment les résolutions 181 d’Aout 1963, et celle 418 du 4 Novembre 1977, mais celles-ci ne sont pas contraignantes. Certain des pays qui condamnent ce régime en plein jour, entretiennent et développent avec le même régime une coopération dans l’ombre. L’on peut citer dans ce groupe l’Allemagne, la France, et même les Etats-Unis.

L’Afrique du sud raciste est plus forte que jamais, le régime en place ne masque même plus son arrogance face à la communauté dite internationale, ce d’autant plus que le pouvoir de Pretoria a réussi grâce à l’aide d’Israël à se doter de l’arme nucléaire; information confirmée par Cheikh Anta Diop et Carlos Moore.

Il est informatif d’ouvrir une parenthèse ici afin de rappeler aux lecteurs comment l’état d’Israël s’est lui-même procuré d’un arsenal nucléaire.

D’après Howard M. Sachar, le tournant se situe en 1954 lorsque Bernard Goldschmidt, et Frédéric-Joliot Curie (Directeur du CEA, Commissariat à l’Energie Atomique) persuadent le gouvernement de Pierre Mendes-France d’explorer la possibilité d’aider Israël à enrichir l’uranium. Trois ans plus tard, un accord secret de coopération en recherche nucléaire est signé entre le gouvernement du premier ministre Français Bourges-Maunoury et Israël.
Revenant sur l’Afrique du Sud, nous avons affaire à un gouvernement central qui donne toutes les apparences d’être au faite de son pouvoir, face à une communauté internationale inefficace, à une Afrique au lit avec des puissances occidentales et officiellement paralysée par la peur de l’arme nucléaire, mais qui en vérité est bien contente d’avoir désormais trouvé un prétexte en béton pour justifier son inaction.

Mais tout ceci, comme nous l’avons dit précédemment est vrai en apparence seulement; la réalité est toute autre. Bien que les historiens et les chercheurs ne s’accordent pas toujours sur tous les facteurs qui ont pu influencer Fréderic De Clerk, il existe néanmoins une conjonction d’événements qu’il est difficile d’ignorer.

Le changement de stratégie de lutte de la nouvelle classe dirigeante de l’ANC. L’inquiétude grandissante que suscitent les sanctions économiques et diplomatiques dans le milieu des affaires des blancs d’Afrique du Sud ; ces derniers  initient  d’ailleurs la rencontre de Lusaka en 1986 avec la direction de l’ANC. Mais aussi et surtout des enseignements que livrent les guerres du Zimbabwe, et de l’Angola, et dans le dernier cas, la bataille de Cuito Cuanavale est décisive.

C’est dans ce contexte que Mandela se voir offrir l’occasion unique de présider au destin du pays.Qu’aurait-on voulu qu’il fasse, qu’il dise non? Mandela a compris le sens historique  de l’opportunité rare qui s’offrait à lui, et l’a saisie malgré tous les sacrifices personnels que cela impliquait, écartant au passage pour le reste de l’Afrique la menace d’un état blanc nucléaire et hostile sur son continent, et pour les autochtones l’abrogation des lois de l’apartheid, et le rétablissement du suffrage universel, qui de fait signifie le contrôle par les autochtones du pouvoir politique probablement à perpétuité.

Ou bien l’on aurait voulu qu’une fois élu, il engage un bras de fer avec un groupe qui contrôlait toujours dans la pratique presque tous les leviers du pouvoir, notamment l’économie qu’il se devait de garder forte s’il voulait justement avoir une chance crédible d’aider les noirs?  Mandela n’est pas un homme stupide, mais plutôt un visionnaire; il a compris et a fait un parcours sans faute dans une situation où beaucoup de gens se seraient cassé la figure d’entrée de jeu.

En conclusion, pouvait-on espérer que Mandela fasse plus et mieux pour les noirs d’Afrique du sud? Absolument, mais se focaliser uniquement sur les problèmes sociaux qu’il a trouvés, et dont il n’a pas apporté de solutions entièrement satisfaisantes, c’est perdre de vue le sens historique de son action qui s’inscrit dans la durée et fait déjà de lui probablement l’homme politique le plus influent de la fin du 20e siècle et du début du 21 siècle.

Paul Daniel Bekima  (Afriqinter Radio & Le Sphinx Hebdo)
pbekima@yahoo.com



05/09/2013
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