Mismanagement - Préjudices: Les plus grandes erreurs de Paul Biya

Yaoundé, 21 Août 2013
© Parfait N. Siki, P. N. S., Christian Lan | Repères

 

Cela va bientôt faire trente-et-un ans que M. Paul Biya trône sans discontinuer sur le Cameroun. En trois décennies, le Chef de l'Etat a posé des actes de gouvernement, pris des options managériales et responsabilisé des fonctionnaires... Parmi les milliers de décisions prises, certaines resteront comme de graves erreurs qui marquent cette génération et marqueront les suivantes.

 

 

 


Reperes: La Une (21/08/2013)
Photo: © CIN


Cela va bientôt faire trente-et-un ans que M. Paul Biya trône sans discontinuer sur le Cameroun. En trois décennies, le Chef de l'Etat a posé des actes de gouvernement, pris des options managériales et responsabilisé des fonctionnaires... Parmi les milliers de décisions prises, certaines resteront comme de graves erreurs qui marquent cette génération et marqueront les suivantes. Dans ce dossier, Repères met l'accent sur des actes qui apparaissent comme des erreurs évitables les plus criantes de la magistrature suprême de M. Paul Biya. 


ERREUR D'HISTOIRE: Le non-rapatriement de la dépouille d'Ahidjo 

Le 30 novembre 2013 sera la date du 24ème anniversaire de la mort d'Ahmadou Ahidjo. Le premier président de la République du Cameroun est enterré depuis son décès le 30 novembre. 1989 au cimetière musulman de Yoff à Dakar, la capitale sénégalaise. Celui qui a dirigé le Cameroun d'une main de fer pendant 25 ans se trouve privé d'une sépulture dans son pays natal, celui qu'il aimait tant, mais qu'il a quitté dans des conditions dramatiques. Condamné par contumace en 1985 à la suite du putsch manqué du 6 avril 1984, Ahmadou Ahidjo meurt en nourrissant une rancœur contre son successeur Paul Biya, à qui il avait volontaire¬ment remis le pouvoir. Le «père de l'indépendance» n'avait pas supporté l'insubordination de celui qu'il avait fait roi et Paul Biya lui en voudra d'avoir tenté de le renverser par un coup d'Etat. 

Deux positions inconciliables qui vaudront à Ahidjo un exil forcé à Dakar, où il trouvera la mort à 65 ans des suites de crise cardiaque, provoquée, disent ses proches, par les mauvaises nouvelles sur la marche du Cameroun qu'il suivait assidument. Deux ans après son décès, Paul Biya fait voter une loi d'amnistie en avril 1991. Ses biens confisqués sont remis à sa famille, qui elle-même peut retourner au Cameroun. Mohamadou Ahidjo, l'aîné des enfants, a été fait ambassadeur itinérant par Paul Biya et une des filles de l'ancien Président est citée parmi les prochains ministres. Le RDPC, parti au pouvoir, est même en coalition avec le parti ahidjoïste, l'UNDP, dont le Président national, Bello Bouba, est Ministre d'Etat sans discontinuer depuis 1997. 

Visiblement, Paul Biya est prêt à toutes les concessions et réconciliations, sauf à organiser le rapatriement de la dépouille d'Ahidjo au Cameroun, comme le réclame son épouse Germaine, dont c'est la condition pour remettre les pieds dans son pays. Une revendication qui est plus qu'une affaire de famille. En septembre 2002, la question était déjà posée en de termes clairs et graves dans le mémorandum du Grand-Nord: «Il n'y a point de grandeur dans la rancune surtout quand elle ne peut même pas épargner ceux qui ont déjà quitté la vanité de ce bas-monde, comme feu le Président Ahidjo dont la dépouille mortelle attend toujours d'être rapatriée!» Paul Biya a nuancé au cours d'une interview en octobre 2007. Il a affirmé que c'est une affaire qui concerne la famille d'Ahidjo et non l'Etat. De nombreux proches de l'ancien président de la République ont plaidé auprès de Paul Biya pour le rapatriement de sa dépouille. Emile Derlin Zinsou, ancien Président béninois a même été reçu à Etoudi, mais rien n'y fait. Le Premier Président de la République du Cameroun est toujours enterré hors de son pays. Certains rétorquent que c'est exacte¬ment ce il a fait à de nombreux autres fils du Cameroun, qu'il persécutés et qui sont morts et inhumés à l'étranger. 


ERREUR DE CASTING: La nomination de Meva'a m'Eboutou aux Finances 

Cela ne s'était jamais vu. Le 9 décembre 2004, jour de passation de service entre Michel Meva'a m'Eboutou et son successeur Polycarpe Abah Abah, des huées accompagnent l'ancien ministre des Finances et du budget. Dans cette foule bigarrée qui crie sa colère, se recrutent à la fois le personnel-maison, agents de l'Etat et fonctionnaires, des prestataires de services et des opérateurs économiques. Les forces de l'ordre ont eu le nez creux en déployant un dispositif spécial au Ministère des Finances, mais chacun pouvait percevoir que la sortie de Meva'a m'Eboutou serait une épreuve pour cet administrateur civil principal, qui laisse les finances de l'Etat dans un piteux état, alors qu'il avait hérité d'une caisse pleine de belles promesses. 

C'est le 27 avril 2001 que Paul Biya fait appel à son oncle maternel, ci-devant Secrétaire général de l'Assemblée nationale, pour prendre la succession de Edouard Akame Mfoumou. C'est sans doute le plus grand malheur de ce haut fonctionnaire sans relief et sans fait d'armes, malgré un passage comme Ministre délégué à la présidence chargé de la Défense (21 novembre 1986 - 8 septembre 1990). En effet, Michel Meva'a m'Eboutou, aujourd'hui Secrétaire général du Sénat, doit faire oublier le brillant Edouard Akame Mfoumou. Quand cet ancien Ministre de la Défense est nommé Ministre d'Etat chargé du super Ministère de l’Économie et des Finances le 19 septembre 1996, l'économie camerounaise est exsangue. Dans une profonde crise économique, le pays est sous perfusion du FMI. Il multiplie des plans d'ajustement structurel aussi inutiles qu'inefficaces. 

Edouard Akame Mfoumou imprime sa marque avec des réformes à grand impact qui rétablissent les équilibres macroéconomiques. Il aligne le pays à l'initiative PPTE. En avril 2000, le Cameroun atteint le point de décision de cette initiative d'allègement de la dette multilatérale, avec un déblocage de 218 milliards de francs CFA à la clé. L'objectif est d'atteindre trois ans plus tard le point d'achèvement, synonyme d'annulation de plus de 4 000 milliards de dette publique asphyxiante. Mais le 27 avril, à la suite d'un épisode non encore élucidé de la vie politique camerounaise, Paul Biya écarte Akame Mfoumou du gouvernement. L'épisode des affiches le présentant comme son successeur et de ses ambitions réelles ou supposées pour Etoudi est passe par là. Aveuglé par son envie de donner une leçon à ce «prétentieux », Paul Biya commet une erreur de casting monumentale en pensant que les hommes sont interchangeables. Michel Meva'a m'Eboutou, 62 ans, prend la relève, mais est incapable de garder la barre où l'a placée son prédécesseur. 

Il interrompt les réformes engagées, oublie l'économie et se mue en gestionnaire de la trésorerie nationale. Son incompétence est si voyante qu'au cours du remaniement du 24 août 2002, Paul Biya lui retire l'économie et recentre son action sur les finances et le budget. En 2004, le Cameroun échoue à l'atteinte du point d'achèvement de l'initiative PPTE, après avoir bénéficié d'une rallonge d'un an. Meva'a m'Eboutou est indexé par ses collaborateurs et les bailleurs de fonds comme le problème. Réputé indolent, il reçoit des visiteurs jusqu'à 2 heures du matin dans son bureau. 

C'est donc un ouf de soulagement qui accueille son remplacement le 8 décembre 2004. L'économie camerounaise peut reprendre sa marche en avant. Mais presque quatre ans ont été perdus, qui auraient sans doute changé l'avenir du pays. 


ERREUR DE CALCUL: Les deux baisses de salaire dans la Fonction publique 

La Centrale syndicale du secteur public (CSP) tient son cheval de bataille. Elle réclame le rétablissement des salaires de la fonction publique au niveau de 1993 et une revalorisation supplémentaire de 15% pour tenir compte du niveau de vie actuel. Une revendication jugée excessive par le gouvernement, car elle induirait une augmentation de près de 150 % des salaires actuels des agents de l'Etat. En effet, malgré les deux hausses de salaires de 2000 et de 2008, les fonctionnaires n'ont jamais plus approché le niveau de leurs rémunérations d'avant 1993. 

Sous la pression des institutions financières internationales, notamment le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, le gouvernement avait été amené, en 1992 et 1993, à baisser par deux fois les salaires de ses agents de l'ordre de 30 à 65%, en même temps qu'il procédait à des licenciements massifs touchant 28 000 fonctionnaires, élégamment appelés les défaites. Venant à la suite des mois d'arriérés de salaires, preuve de l'incapacité du gouvernement à les honorer, les baisses décidées semblaient la solution inévitable mais idoine pour réduire les dépenses publiques afin de relancer l'économie. Un an plus tard, en janvier 1994, la dévaluation de moitié du franc CFA achevait cette architecture de l'erreur de calcul. 

Déjà, le gouvernement avait désengagé l'Etat des secteurs productifs comme l'agriculture et ses millions de planteurs, avait gelé les concours dans la fonction publique, engagé la privatisation des entreprises publiques qui pouvaient encore l'être et liquidé celles qui n'étaient plus viables. Sans en avoir conscience, toutes ces mesures, au lieu de rétablir les grands équilibres économiques et renflouer les finances publiques, ont envoyé le signal d'un pays en faillite et cassé les velléités qui s'obstinaient à penser que ce n'était qu'une mauvaise passe provisoire. 

La morosité née de cette période d'austérité conduit les ménages à limiter la consommation et à se recroqueviller dans une épargne thésaurisée qui favorise la croissance d'une économie parallèle. Les entreprises privées ferment et les recettes fiscales en souffrent. Le pays mettra vingt ans à s'en relever, sans jamais avoir retrouvé sa santé d'antan. Le budget de l'Etat est aujourd’hui quatre fois son montant de l'époque, mais les salaires des fonctionnaires stagnent. La forte corruption dans nos administrations publiques n'est pas totalement étrangère à cette réalité. 

Les économistes s'accordent que ce fut une erreur de réduire le pouvoir d'achat des populations dans une économie poussé par la consommation des ménages. Le même FMI qui avait encouragé Paul Biya à cette solution de la baisse des salaires a reconnu pendant la crise européenne que l'austérité engendre l'austérité. Il a plutôt encouragé à des plans de relance en injectant des sommes massives dans des économies complètement en faillite. Ce qu'il s'était refusé à faire pour le Cameroun, où il n'offrait que des plans d'ajustement structurel de 18 mois assortis de déblocage de financements dérisoires pour un pays en crise. 


ERREUR DE STRATÉGIE: La politisation de l'opération Epervier 

En 1998 et 1999 le Cameroun est le pays le plus corrompu au monde, selon l'indice de perception de la corruption de Transparency International. Ce triste record traduit la fragilité de la moralité publique. A la corruption rampante s'ajoutent les multiples détournements des fonds publics dont le corolaire est l'enrichissement illicite et ostentatoire. Des faits qui ont abondamment écorné l'image du Cameroun sur la scène internationale. Le pays dirigé par M. Paul Biya était l'un des plus mauvais élèves en matière de gestion des finances publiques et de gouvernance. Une thérapie de choc s'imposait de toute urgence. C'est ainsi que l'opération d'assainissement de la moralité publique est lancée début 2006. Les premières proies de l'Opération Epervier sont happées, traduites en justice, inculpées, jugées et finalement condamnées à de lourdes peines privatives de liberté. Le Cameroun affirme sa volonté de faire reculer les détournements de deniers publics. Il est question pour le pays de reconquérir sa crédibilité auprès des partenaires au développement et de la communauté internationale. 

Lors du congrès ordinaire du RDPC de septembre 2006, M. Paul Biya a affirmé que les délinquants à col blanc allaient «rendre gorge», quel que soit le palier sur lequel ils sont juchés sur l'échelle politico-administrative. Mais les arrestations des présumés prévaricateurs ne laissent pas voir clairement les critères d'interpellation et la volonté d'éradication. Certains sont happés par la justice après un rapport et une déchéance prononcés par le Contrôle supérieur de l'Etat. Pendant le même temps, d'autres gestionnaires, reconnus fautifs par la même institution, ne sont pas inquiétés. Tout se décide à partir d'Etoudi, dont les instructions de mise sous mandat de dépôt de certaines personnalités ont été rendues publiques par la presse. Ce qui laisse planer des doutes sur les procédures que d'aucuns estiment être un état de non-droit permanent. 

Comment comprendre et expliquer que des personnalités qui ont fait subir des préjudices financiers énormes à l'Etat soient en liberté, alors que d'autres dont les préjudices financiers sont moindres soient pris en tenaille par la justice? Le profil des présumés coupables de l'Opération Epervier échappe à la seule technicité juridique, mais épouse davantage les contours prédéfinis par le politique qui, en dernier ressort, est le dispensateur des mauvaises et bonnes grâces. Urbain Olanguena Awono parle clairement à son sujet d'opération d'«épuration politique». Et de façon concrète, cette opération dite d'assainissement des mœurs publiques ne réussit pas à produire les résultats escomptés. Car, la politisation ne favorise pas l'éradication des détournements des fonds publics. 

La politisation a même fini par discréditer certains hauts fonctionnaires qui, à un moment de leur carrière administrative, ont été proches des procédures relatives à cette entreprise dite de lutte contre la corruption et les détournements des fonds publics. Ce d'autant que de nombreuses collusions sont étalées dans le montage des dossiers qui, pour certains, épousent les contours du rouleau compresseur. 


ERREUR D'ÉPOQUE: La révision constitutionnelle d'avril 2008 

Paul Biya voulait certainement endormir les esprits critiques. Lors d'une interview accordée à la chaîne de télévision France 24 en octobre 2007, il nie ouvertement l'éventualité de la révision de la constitution. M. Biya n'envisage pas la suppression de la limitation des mandats. Car l'article 6 alinéa 2 de la loi constitutionnelle du 18 janvier 1996 disposait que le Président de la République est élu pour un mandat de sept ans, renouvelable une fois. Après 1996, M. Biya a été élu en 1997, et réélu en 2004. Selon les termes de la Constitution en vigueur l'époque, M. Paul Biya, en l'état, ne devait pas être candidat à la présidentielle d'octobre 2011. 

Mais en avril 2008, un projet de loi portant révision de la constitution du 18 janvier 1996 est introduit à l'Assemblée nationale. L'article 6 (2) figure parmi les dispositions modifiées. Les nouvelles dispositions lèvent le verrou de la limitation des mandats présidentiels. Car le Président de la République, élu pour un mandat de sept ans, est désormais rééligible, selon le nouvel article. Avant la présidentielle d'octobre 2011, l'éventualité de la candidature de M. Paul Biya fait débat; d'aucuns estiment que la candidature du Président sortant est illégale. 

«La révision constitutionnelle du 14 avril 2008 peut-elle avoir eu pour effet, et si oui sur quelle base, de changer la nature du mandat en cours du Président de la République, d'un mandat obtenu du peuple en 2004 sous les auspices de la clause constitutionnelle de limitation des mandats, en un mandat renouvelable indéfiniment, en l'absence de toute précision de cette nature dans le texte constitutionnel même, à l'instar de ce qui avait été prudemment fait dans les dispositions transitoires lors de la révision du 18 janvier 1996?». Interrogation du Pr. Alain Didier Olinga peu avant la présidentielle d'octobre 2011. Cet enseignant de droit fait partie de ceux qui croient que la révision constitutionnelle qui a fait sauter la limitation des mandats n'a contribué qu'à renforcer le pouvoir de l'actuel détenteur du pouvoir présidentiel. 

Certains analystes présentaient la limitation expresse des mandats présidentiels au Cameroun comme étant une disposition résolument démocratique. Mais le Chef de l'Etat a réussi l'exploit d'attirer, une fois de plus, les quolibets de la communauté internationale et des médias internationaux sur le Cameroun au même titre que M. Mamadou Tandja au Niger, Idriss Déby Itno au Tchad, Abdelaziz Bouteflika en Algérie, Gnassingbé Eyadéma au Togo, Omar Bongo Ondimba au Gabon, Ben Ali en Tunisie, ces chefs d'Etats qui ont fait sauter la limitation des mandats présidentiels pour être rééligibles ad vitam aeternam. M. Paul Biya a aussi réussi à figurer dans les classements les plus obscurs après la révision constitutionnelle qui lui permet d'être rééligible indéfiniment. En 2012, le site slateafrique.com a classé le Chef de l'Etat camerounais parmi «les dinosaures africains» qui «s'accrochent au baobab» aux côtés de MM. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, Jose Edouardo Dos Santos, Robert Mugabe, etc. Et la politique camerounaise n'est pas toujours bien cotée à la bourse des valeurs démocratiques par les institutions spécialisées.


21/08/2013
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