Me Alice Nkom: "Pourquoi il faut libérer immédiatement Yves Michel Fotso !"

YAOUNDE - 01 septembre 2011
© Guy Ndzié Essomba | L'Actu

On la connaît très engagée sur le front de la défense des droits des homosexuels. Pendant que ces personnes étaient traitées comme des rebuts de la société, elle était de tous les combats pour que celles-ci aient droit à plus de dignité. C’est dire si Me Alice Nkom, Avocate et présidente du réseau international de soutien au juge intègre (RISJI), connaît le contre-courant. La voici aujourd’hui aux côtés de Yves Michel Fotso, l’un des hommes d’affaires les plus en vue de notre pays, mais victime de l’opération Epervier et incarcéré à Kondengui à Yaoundé. Me Alice Nkom qui pense que les droits de cet homme ne sont pas respectés, compte se battre pour que justice lui soit re


Me Alice NKOM
Photo: © Le Jour


Le Cameroun est engagé depuis quelques années dans une série d’arrestations de dirigeants d'entreprises publiques et parapubliques connues sous le nom de «L'Opération Epervier». Quels sont selon vous les fondements juridiques d'une telle opération ?

L’Opération épervier est la réponse que le Chef de l'Etat, Président de la République du Cameroun, a voulu donner à ses compatriotes qui se sont réveillés un matin pour découvrir que non seulement le monde entier les avait classés comme les champions toutes catégories de la corruption, mais que leur pays était pauvre et très endetté !

Ce qui n’a pas manqué de les plonger dans la stupeur et la honte d'être regardés désormais comme la peste à fuir absolument. C’est ainsi que leur mandataire national leur a promis de se pencher sur les causes de ce cataclysme et de «faire rendre gorge» à leurs auteurs. D’où l'Opération d'assainissement des mœurs et de bonne gouvernance baptisée «Epervier».

Le Président n'a jamais donné à qui que ce soit la liste des personnes à arrêter, à jeter en prison et à condamner. Il a, comme il se doit, compté sur l'institution de la Justice, dotée des moyens nécessaires et de ressources humaines a priori compétentes, pour monter des dossiers, rechercher les responsables dans le plus strict respect de nos procédures et autres textes en vigueur.


La plupart des observateurs y voient surtout une forme de règlements de compte politique. Qu'en Pensez-vous ?

J'ai été la première à réagir à l’annonce faite par le Président, sous la forme de soutien et autres félicitations, sur le plateau d'une télévision locale perchée au 14è étage d'un bâtiment connu à Douala.

Aujourd'hui, c'est le cauchemar, et la désolation face à cette opération épervier défigurée et détournée qui n’a plus d'assainissement que le fait quelle a débarrassé quelques personnes de leurs rivaux de petits copains qui jouent à «la mafia»: rien à voir avec l’esprit qui a animé notre président !

L’opération épervier est devenue l'opération charognard au grand dam des pauvres Camerounais et du chef de l’Etat qui ne verra sortir des gorges que quelques filets du sang, sur fond de ravages sur ce qu'il a de plus cher: l'unité et le progrès de son pays!

C'est pourquoi le Réseau international de soutien au juge intègre (RISJI) dont l’objet est l’instauration et la promotion de l'Etat de droit, notamment, a pris la résolution de s’intéresser de plus près à cette opération épervier Charognard, pour informer tant le président de la République que les populations sur la gestion des dossiers au niveau du monde judiciaire et pour attirer l'attention nationale et internationale sur l'évaluation à faire de L'Etat de droit au Cameroun, permettant ainsi au président initiateur de cet important projet d'en effectuer un meilleur suivi orientation !


Certains organismes de défense des droits de l'homme dénoncent régulièrement le non respect des droits des mis en cause. Etes-vous de cet avis ?

N'importe qui peut, s'il s'y penche, constater que les interpellations et les détentions des mis en cause obéissent à tout, sauf aux exigences légales en vigueur tant sur le plan universel, que sur le plan national Un exemple simple, le cas d’Yves Michel Fotso qui comme chacun le sait, a été arrêté, et conduit à Yaoundé où il a finalement été incarcéré le 1er décembre écoulé.

L’article 140 du Code de Procédure dit ceci: «Est compétent, le Procureur de la République ! Soit du lieu de commission de l’infraction, soit du lieu de domicile du suspect, soit du lieu d'arrestation En cas de saisine concurrentielle, la priorité revient au Procureur du lieu de commission de l'infraction»

Pas besoin d'être agrégé ou docteur en droit pour savoir que le domicile de Yves Michel Fotso étant à Bali-Douala ayant été arrêté à Douala, c’est le juge de Douala qui est compétent.

En ce qui concerne le lieu de commission de l'infraction, c'est-à-dire le lieu où l'argent a été détourné, il faut savoir que Yves Michel Fotso est en prison parce qu'il est dit qu'il a détourné les 31 millions de dollars que la SNH a fait virer de son compte à l'étranger au compte de la société américaine GIA, à Portland dans l'état de l'Oregon, sans escale et sans transiter le moins du monde dans les comptes de Yves Michel Fotso, destinés à l'achat de l'avion de notre Président.

Or, Me Muna, avocat du Cameroun, a reconnu et signé un solde de tout compte avec GIA en Aout 2006, acceptant que le Boeing 767 200, appartenant à GIA, ainsi que la somme de 858 mille dollars qui l'accompagnaient, réglaient définitivement le litige relatif à ces 31 millions de dollars et que le Cameroun renonçait désormais à faire quelque réclamation que ce soit y relative.

L’affaire des 31 millions de dollars s'est donc déroulée et s'est définitivement réglée en terre américaine. Ni Douala, ni Yaoundé ne sont compétents pour en connaître. Lorsque le code de Procédure est si grossièment violé par ceux-là même qui l'ont élaboré et défendu à l’Assemblé Nationale du Cameroun, voici ce qui est prévu à l'article 3 du même Code:

La violation d'une règle de procédure pénale est sanctionnée par la nullité absolue lorsqu'elle préjudicie aux droits de la défense définis par les dispositions légales en vigueur ; porte atteinte à un principe d'ordre public. La nullité prévue au paragraphe 1 du présent article ne peut être couverte. Elle peut être invoquée à toute phase de la procédure par les parties, et doit être d'office par la juridiction de Jugement. Il faut donc libérer immédiatement Yves Michel Fotso


On vous attribue la création d'un mouvement tendant à défendre les droits d'une des victimes de l'opération épervier en la personne d’Yves Michel Fotso. En quoi les droits de l'ancien administrateur directeur général de la défunte Camair son-t-ils bafoués ?

Je suis avocat au barreau du Cameroun depuis 1968, mais je suis surtout aujourd'hui, un farouche défenseur des droits de l’Homme. Dans ce dossier d'Yves Michel Fotso, je voudrais rendre un hommage appuyé et exprimer ma gratitude à ses avocats, mes éminents confrères Mes Albert Eloundou et Jackson Ngnie Kamga qui n’ont pas ménagé leur temps pour m’expliquer les malheurs de leur client lorsque, en ma qualité de présidente du Réseau international RISJI, je me suis rapprochée d’eux pour confronter les articles de presse rendant compte du déroulement de l'affaire à la Cour Suprême. Cela nous à permis, au niveau du Réseau, de nous approprier ce dossier sous le prisme de l'Etat de droit, des droits de l'Homme en somme.

Lorsqu'on est l'Etat, qu’on dispose de tous les moyens d'investigation et de tous les instruments juridiques nationaux et internationaux pour traiter d'un dossier comme celui de l'Opération Epervier, on se soumet et on respecte la règle de droit qu'on a soi-même mise en place.

Yves Michel Fotso est poursuivi aussi bien en Suisse qu'au Cameroun pour exactement les mêmes faits, au mépris des principes généraux du droit sur la Litispendance: la logique, l'équité, les textes de lois nationaux et internationaux qui commandent qu'on ne poursuive pas la même personne deux ou plusieurs fois pour les mêmes faits.

Son arrestation, pour ne pas dire sa capture, a violé les dispositions prévues à l'article 140 cité plus haut.

L’article 3 conclut que tout ce qui se fera ultérieurement dans une telle procédure est d’une nullité absolue.


Il n'empêche qu'Yves Michel Fotso est sous le coup de plusieurs procédures, dont l'affaire Albatros qui a été déclenchée plutôt à Yaoundé par l'entremise de la Snh qui a financé l'achat de l'avion présidentiel... Est-il possible que le juge se soit appuyé là-dessus pour l’incarcérer à Yaoundé ?


Votre information n’est pas bonne: en l’état actuel des choses, le mandat qui permet de détenir Yves Michel Fotso en prison repose sur la seule inculpation de détournement de deniers publics dont le montant est fixé à 31 Millions de dollars de l'achat de l'avion présidentiel, un point, c'est tout: ce mandat de détention provisoire est illégal, nul, et rend l’embastillement d’Yves Michel Fotso tout aussi illégal et arbitraire, ce n’est pas digne de notre justice.


Toutes ces exceptions de forme ne disent pas qu’Yves Michel Fotso est innocent ! Que voulez-vous démontrer au juste ?

L’article 8 de notre Code de procédure pénale dit ceci: «Toute personne suspectée d'avoir commis une infraction est innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie au cours d'un procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées. La présomption d’innocence s’applique au suspect, l’inculpé, au prévenu et à l’accusé».
Ce que je veux démontrer, c’est la façon bien particulière dont notre pays viole ses propres lois et nous classe sur la liste des Etats de non droit aux conséquences incalculables sur la sécurité, le chômage. Aucun investisseur sérieux ne peut placer son argent dans un pays qui n’assure pas la sécurité de ses personnes et des biens, la prospérité, le progrès du pays, l'épanouissement et le bien-être de ses populations.

Pensez donc, nous sommes dans un pays où deux Avocats sont en prison pour avoir perçus des honoraires que la loi protège comme étant librement débattus et fixés entre l'avocat et son client, et un huissier Me Baleng Maah, pour avoir exécuté une décision de justice définitive où était apposée la formule exécutoire selon laquelle, «Au nom du peuple camerounais, le président de la République mande et ordonne aux procureurs généraux, procureurs de la République, officiers de police, gendarmes ... huissiers de prêter main forte au détenteur de la décision qu’il a gagnée, en vue de son exécution…»

Me Baleng Maah est en prison pour avoir fait son travail. Mal lui en a pris, il exécutait contre un ami, un protégé d'un grand quelqu'un: la sanction est tombée: la prison !

Si on ne voit pas là la mort programmée des professions judiciaires, avec son lot de chômage, de fuite de cerveaux et de misère: le Cameroun peut-il prétendre se développer en se privant de la contribution de tous ses enfants, cautionnant ainsi de sombres règlements de compte de quelques-uns enrichis sur le dos sale et égoïste de la corruption?

Pourquoi avoir choisi Yves Michel Fotso alors même que ce que vous dénoncez est le lot de quasiment tous les mis en cause de l'opération épervier ? Que cache votre engagement auprès du fils du milliardaire de Bandjoun ?

J'ai choisi le cas Fotso, parce que ses avocats sont ouverts et que lui-même n’hésite pas, et n’a pas peur de communiquer. Beaucoup refusent, attendant peut-être une grâce, une clémence qui leur viendrait de ceux-là même qui les ont envoyés en enfer.

Et puis, je ne voulais pas que le bébé soit jeté avec l'eau du bain: le cas Fotso illustre bien l'audace et la détermination de la mafia qui peut ainsi déployer les signes de sa puissance et de son arrogance, d'aller jusqu'au bout de sa logique, d’anéantissement, au vu et au su du chef de l’Etat… Impunément.

Imaginez que j'ai choisi un pauvre hère poursuivi pour ... homosexualité, vous verrez que le message, important de l'Etat de droit aurait été violemment jeté avec le sujet.

Je n’ai pas oublié que l'affaire des tops 50 de 2006, parce qu'elle concernait les grands de ce pays, n’a donné lieu à aucun emprisonnement sur la base du délit de faciès, mais en plus le président de la République est intervenu lui-même pour rappeler que la sexualité relevait de la vie privée, qui elle, est sacrée, et a mis ainsi fin aux spéculations sur les vices et vertus des uns et des autres indiquant que même la liberté d'expression qui est un droit fondamental avait pour limite la vie privée...

Cela n'a pas empêché que les arrestations, les condamnations continuent pour homosexualité dès lors que ce sont de pauvres gars, sans voix ni prétentions, qui sont régulièrement arrêtés arbitrairement et injustement condamnés. Ceux-là n'ont pas droit à la vie privée !

Yves Michel n'est pas n’importe qui: idole des jeunes, bâtisseur, grand pourvoyeur d'emplois de sa génération, très important contribuable, fils d'un pilier du régime, proche du chef de l'Etat, bardé des meilleurs garanties de représentation en justice, a été kidnappé comme n’importe quel bandit et jeté arbitrairement en prison, sans le moindre respect des lois de la République qu'on a violées allègrement et avec une certaine arrogance du style: tu descends en enfer, parce que je le veux et que j'en ai le pouvoir: va dire !

Le cas Yves Michel Fotso sera lu facilement et entendu le plus haut possible et je sais qu’a travers lui, tel Moïse, les autres passeront à sec. C'est le rôle que RISJI a confié au comité de soutien d’Yves Michel Fotso mis en place depuis le 3 aout et qui attend et enregistre déjà des adhésions, à cette cause dans laquelle la vérité est en train d'ébranler tous ceux qui ont cru que leur forfaiture allait passer sous silence et prospérer.


Jusqu'ici, vous vous êtes démarquée en défendant les homosexuels persécutés par la justice et une partie de l'opinion. Où en êtes-vous avec la défense de cette minorité sociale ? Etes-vous en train de changer votre fusil d’épaule pour vous occuper désormais des victimes de l'opération épervier ?

Je continue à défendre l’égalité des droits, à défendre le fait que les droits des minorités sexuelles sont les droits de l’Homme, même s’il y a de plus en plus d’arrestations, à promouvoir l’Etat de droit.

Il est de plus en plus établi qu'il y a un lien très étroit entre les droits de l’homme et le succès de la lutte que nous menons contre la pandémie du Sida.

On ne peut pas prétendre éradiquer ce fléau en excluant les couches vulnérables des soins et traitements.

L’an dernier, on a condamné deux jeunes gens trouvés porteurs de préservatifs et de lubrifiants qui portaient les inscriptions «gay» ou «glisse entre mecs». Le tribunal les a condamnés à des peines d'emprisonnement ferme et ordonné la destruction des préservatifs !

Alors à quoi servent les messages les plus officiels sur le port du préservatif comme moyen d'éviter la contamination du VIH ?

Pourtant, le Cameroun a obtenu 64 milliards du Fonds Mondial pour lutter contre le Sida, le Paludisme, et la Tuberculose, et dans une interview parue dans Cameroun Tribune au début de l'année, le Ministre de la Santé a dit qu'un des axes d'utilisation de cet argent est réservé aux hommes ayant du sexe avec des Hommes, c'est-à-dire les homosexuels. Je voudrais savoir comment le ministre de la Santé va concilier ses propos avec la répression qui sévit au Cameroun contre les homosexuels et ce que son homologue de la justice en pense... Le Premier ministre devra harmoniser les positions gouvernementales sur cet important sujet.

Je ne change pas de fusil d'épaules: j'ai constaté que le combat des homos, qui est celui des droits de l'Homme, est le même que celui de l'opération épervier: ils ont en commun de rechercher à évoluer dans l’environnement d'un Etat de droit, celui où l'Etat respecte la loi, la hiérarchie des normes juridiques, la légalité des peines et des textes, et où le juge jouit d'une indépendance par rapport à l'Exécutif...



05/09/2011
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